Danse, peinture, mannequinat : MUTEKIRENA fait résonner la voix du cœur à travers les arts

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Danse, peinture, mannequinat : MUTEKIRENA fait résonner la voix du cœur à travers les arts

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© Adrien “hazembsm” Antoine

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Par Lise Lanot

Publié le

À même pas 30 ans, MUTEKIRENA a trouvé la recette de son invincibilité en écoutant son cœur. Rencontre pleine de ressources.

Depuis plus de quinze ans, Konbini reçoit des artistes et personnalités mondialement connu·e·s de la pop culture, mais a aussi à cœur de spotter des talents émergents.

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© Adrien “hazembsm” Antoine

Au milieu du brouhaha ambiant, il est parfois difficile d’entendre sa propre voix, diminuée au milieu des assertions extérieures, des sirènes sociétales, des injonctions familiales. Heureusement, MUTEKIRENA a le don de faire taire les cacophonies environnantes pour laisser s’exprimer toute sa force. C’est sans doute pour cela – en plus du fait qu’elle s’autoproclame “geek qui adore les mangas” – que son nom de scène, qui signifie “Rena l’invincible”, s’est imposé à elle.

Quand elle arrive à notre rendez-vous, petit déjeuner à la main, elle me dit qu’elle le “mangera plus tard” parce qu’elle “n’aime pas faire plusieurs choses à la fois”. L’affirmation prête à sourire, sachant que l’artiste multiplie les talents et les projets. Connue pour sa carrière de danseuse waacking, MUTEKIRENA est également peintre, mannequin, professeure de danse et membre de l’association Mille Horizons, qui promeut et célèbre la danse pour tou·te·s. C’est que la jeune femme a décidé qu’elle ne laissera personne choisir à sa place, surtout pas celles et ceux, noyé·e·s de racisme et de misogynie, qui ont essayé d’assourdir sa voix.

“J’étais pas mal discriminée quand j’étais jeune, parce que j’étais noire, très foncée de peau, que je suis une femme. On me disait que j’étais grosse, que j’étais grande, on me faisait toujours ressentir que je n’étais pas belle. Ça fait que, toi, si t’écoutes tout le temps ce que les gens te disent, tu y crois. Mais je trouvais ça injuste. Puis, quand t’es enfant, on te dit tout le temps que tu dois respecter, que tu dois être gentille… On ne t’apprend pas à répondre à la discrimination et à ne pas discriminer. On m’a toujours appris à fermer la bouche face à la discrimination que je subissais : ‘C’est rien, oh, mais ignore, ignore, ignore.’ […]

Un jour, je me suis assise devant un miroir et je me suis demandé comment je me trouvais. Et objectivement, j’avais assez d’opinions pour pouvoir me dire : ‘Mais en fait, moi, je m’aime bien.’ Je ne me trouvais pas parfaite, mais j’étais bien avec moi-même. Y avait un côté survie pure aussi. Même si c’est du déni, je préfère ça en fait, parce que la violence que les gens te donnent à l’extérieur, c’est trop. Si je les écoutais, je rentrais en dépression.”

“Enfant, on ne t’apprend pas à répondre à la discrimination et à ne pas discriminer”

Ce choix de faire résonner l’intérieur lui a ouvert les portes de son rayonnement extérieur. À commencer par la danse, qu’elle embrasse de façon professionnelle vers ses 23 ans, alors qu’elle étudie dans “une école d’animation” dans l’idée de devenir “autrice de bande dessinée” : “C’est tard, finalement, 23 ans, sachant que je dansais depuis mes 13 ans. Depuis toujours en vrai, sachant qu’on dansait tout le temps chez moi, qu’on écoutait de la musique tout le temps. Culturellement, c’est super présent : on danse parce qu’on s’amuse, parce qu’il y a un rassemblement familial… Je savais que la danse allait toujours faire partie de ma vie, mais je ne me disais pas que ça allait être mon activité principale.” Tout arrive à point à qui sait attendre et MUTEKIRENA n’oublie pas de rappeler que, plus jeune, les ouvertures professionnelles n’étaient pas les mêmes :

“Le hip-hop, c’était pas ce que c’est aujourd’hui. On dirait que j’ai 80 ans quand je dis ça, mais mine de rien, je me rends compte que je danse depuis mes 13 ans, et en 16 ans, ça a énormément évolué. Avant, si tu ne faisais pas des danses très commerciales, les gens n’étaient pas intéressés. Sinon, il fallait faire du ballet ou du contemporain. La plupart des danses underground étaient rangées sous l’étiquette hip-hop, mais il ne faut pas tout mélanger. C’était des sous-cultures parce que ce n’était pas des danses académiques et ce n’est pas né en studio, donc il n’y avait pas les mêmes perspectives. Devenir danseuse pro de house dance ou de waacking – ce que je fais –, ce n’était même pas une option.

Et finalement, les portes se sont ouvertes naturellement parce que j’étais déjà là, je faisais partie de la communauté, j’allais danser en club parce que c’est là où tu te perfectionnais. C’est de belles expériences parce que tu n’es pas dans l’optique d’être danseuse. Il y a ce truc-là dans l’underground où beaucoup de gens ne sont pas danseurs professionnels et dansent pour le plaisir de la danse. Ils poussent la discipline, mais c’est une échappatoire. Tu vas au travail puis tu vas au club. Tu vas au bureau la semaine, et tu vas faire un battle le week-end. C’est un truc normal : juste, ton activité extrascolaire, elle ne s’est jamais terminée. C’est limite une façon de vivre en fait. Les danses qui ne sont pas académiques, elles sont nées dans des contextes sociaux où des groupes de personnes se sont rassemblées parce que soit elles vivaient les mêmes struggles, soit elles venaient de la même communauté.”

© Adrien “hazembsm” Antoine

“La scène, c’est comme une drogue. Pour moi, c’est hyper libérateur”

Aujourd’hui, MUTEKIRENA a la chance de danser pour vivre, et de profiter de la scène, son “nirvana” : “C’est comme une drogue. Pour moi, c’est hyper libérateur. Quand j’arrive sur scène, j’ai comme une grosse euphorie, je suis hyper bien. C’est trop bien, c’est trop précieux.” Tant mieux pour la danseuse : la majeure partie de son année 2025 se passera sur scène, puisque la pièce STUCK, créée par Mounia Nassangar et dans laquelle MUTEKIRENA danse, part en tournée européenne à partir du mois de janvier. En attendant, dans les moments de latence, loin de l’euphorie de la scène, c’est seule, face à ses toiles et loin des restrictions académiques de ses études d’animation, qu’elle se ressource :

“À l’école, je trouvais que les profs nous restreignaient trop. On t’apprend que l’art, c’est un seul truc. Et j’ai toujours été frustrée de constater que tout ce qui n’était pas créé par des personnes faisant partie de la culture occidentale, c’était tout le temps traité comme si ce n’était pas de l’art. Et je trouve ça aberrant. On ne regardait que les Italiens, les Européens, des hommes qui volaient les idées de leur femme, de leur assistante, d’autres civilisations. J’avais l’impression qu’on invisibilisait, qu’on effaçait une partie de l’histoire du monde. Mais comme c’est une histoire qui ne t’arrange pas, tu vas dire que ce n’est pas de l’art, que c’est juste des trucs anciens, que c’est ‘trop figuratif’. En Afrique, l’art est très figuratif, et moi, j’aime ça.”

“On ne peut pas dissocier la tête du cœur, on est des humains, pas des robots”

Revenue à une pratique plus personnelle après ses études, l’artiste s’est mise à peindre de nombreux portraits, d’abord ceux de personnes qui l’entouraient, puis les siens, afin de travailler les formes, les mouvements, les expressions, sans s’attendre à plaire à tout le monde, puisque “l’art n’est pas objectif”. “Tu ne peux pas dire que tu fais de l’art juste pour de l’esthétique. Tu racontes toujours quelque chose.”

Par son art, ses mouvements, ses projets multiples, MUTEKIRENA fait résonner la voix du cœur et enjoint celles et ceux qui l’écoutent à faire entendre la leur, sans avoir peur d’être trop : “Ce n’est jamais mauvais d’être trop animée par ses émotions. Il faut juste savoir les écouter et agir en conséquence. On ne peut pas dissocier la tête du cœur, on est des humains, pas des robots, sinon ça serait complètement bazardé. Pour moi, c’est complètement malsain de se dire que tu n’as marché qu’avec ton cerveau.” Pour elle comme pour nous, que 2025 soit l’année de l’équilibre et de la communication de la tête et du cœur.

© Adrien “hazembsm” Antoine

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