Cette semaine, on a dit au revoir à Succession. Ce n’est jamais simple quand on est fan d’une série, mais dans ce cas précis, ce fut plus facile que prévu. Qu’on s’entende bien : les Roy et leurs petits parasites vont nous manquer, leur perfidie aussi. Les personnages et leurs interprètes qui ont tout donné, l’écriture acérée de Jesse Armstrong et sa team de scénaristes, ainsi que la musique spectaculaire de Nicholas Britell ont fait de ces quatre saisons une échappatoire inégalable. Quand on dit que les adieux ont été plus faciles que prévu, c’est parce que ce final nous a amenés exactement là où il le devait. Le deal entre la série et nous a été parfaitement respecté. Elle nous a parfois mis sur des fausses pistes, mais elle ne nous a jamais trompés. Et ses antihéros, qui préféreraient voir le monde brûler plutôt que de perdre la face, n’ont pas droit au bonheur (à défaut d’avoir des milliards à claquer).
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“Where’s the logic?”
Les enfants Roy n’ont pas fait du surplace mais ils n’ont pas tant changé que ça non plus. Ce n’est généralement pas ce qu’on attend d’une série, le temps permettant d’écrire les personnages dans un arc de progression, de rédemption ou de descente aux enfers. Mais dans le cas de Succession, il s’avère que la meilleure option était, pour citer Céline Dion, “on ne change pas”. Surtout pas eux. Prisonniers de leur destinée, tels des protagonistes de tragédie grecque en plein New York, ils ont en fait accompli un parfait tour sur eux-mêmes (un joli 360°, avec beaucoup de zigzags en chemin). Même après avoir symboliquement tué le père, tout le monde perd. Sauf le public, qui s’est régalé, évidemment.
© HBO
Il n’y a pas non plus de tristesse à tourner la page. L’absence de Shiv, Kendall et Roman se fera sentir, bien sûr. La force de l’habitude. Mais a-t-on vraiment aimé ces personnages au point de leur souhaiter un avenir radieux ? On a adoré les voir, on s’est passionnés pour leurs manigances et, oui, on a parfois été manipulés au point d’avoir de l’empathie, voire de la tendresse. Maintenant que c’est terminé, on réalise la puissance diabolique qu’a Jesse Armstrong sur notre âme fragile avide de divertissement. Arrêter Succession au bout de quatre saisons, voilà une noble décision. Ça ne laisse pas à la série le temps de devenir moins bonne ni au public le temps de s’en lasser. Et bon sang, quel dernier round virtuose. Le final n’est sans doute pas le meilleur épisode de la saison ni celui de la série mais c’est le plus important. C’est lui qui viendra fixer dans nos mémoires les derniers moments passés avec ces golden boys and girls et la morale de l’histoire. Bien fucked up, la morale, forcément.
“Where’s the logic?” dit Kendall dans une scène de destruction mutuelle qui restera gravée dans nos mémoires. En fait, c’est une fin totalement logique, narrativement parlant. Succession n’a jamais été dépendante de ses twists et surprises. Elle a méticuleusement tracé, depuis quatre saisons, la trajectoire de ses personnages. Les trahisons, c’est le fuel de la série. Mais elle en a tellement abusé, en a tellement testé toutes les configurations possibles qu’on finit par se désinvestir un peu des rapprochements entre Kendall, Roman et Shiv, tant ces trois-là nous ont habitués à s’aimer pour mieux se tirer dans les pattes après. Comme le chien de Pavlov, nous voilà conditionnés à attendre l’entourloupe chaque fois que le trio verse dans le sentimentalisme (ce que le reste de l’humanité appellerait “amour”). Dans le final, le revirement de Shiv n’apparaît donc pas vraiment comme une surprise. Rien de grave, ça a toujours été l’intention du show.
Le “love language” de Succession
La série nous a tellement fait aimer ces personnages atrocement imparfaits qu’elle nous a fait oublier qu’à la fin, aucun d’entre eux ne devait finir heureux. Personne ne gagne, chacun y perd des plumes. À plusieurs reprises cette saison, on nous a fait croire à une solidarité fraternelle ou, du moins, à un front uni contre ceux qui voulaient s’approprier leur héritage. Mais Succession n’est pas une histoire d’amour, c’est tout l’inverse. Les Roy, même ensemble, sont toujours seuls. Les unions ne font jamais long feu et la série ne pouvait pas s’achever sur une entente paisible entre Kendall, Roman et Shiv. Il fallait que l’un d’eux flanche, qu’il ou elle retourne sa veste, plante un couteau dans le dos des deux autres. C’est ça, le “love language” de Succession.
Savoir qui allait s’asseoir sur le trône laissé vacant par la mort de Logan, c’était l’enjeu le plus évident, d’où le titre. Mais ce n’est pas la raison d’être de Succession. Donc, peu importe le résultat, il fallait que ça fasse sens au regard des différentes trajectoires des personnages. Jesse Armstrong a patiemment avancé ses pions durant quatre saisons et personne ne devrait être surpris par sa décision de placer Tom Wambsgans à la tête de Waystar Royco. Il n’y a pas de morale à cette fable acide. On donne à Tom l’illusion du pouvoir mais il reste un homme de paille. Et Shiv, qui s’est bien fait avoir par Matsson, sera la femme de l’ombre. Roman est peut-être celui des trois qui a le plus “évolué”, même s’il reste un gamin capricieux au pouvoir de nuisance quasi illimité… mais aussi un gamin qui a su se montrer particulièrement touchant après la mort de son père (à qui, on le rappelle, il avait quand même envoyé sa dick pic en pleine réunion).
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Kendall, le petit prince, quant à lui persuadé depuis ses 7 ans qu’il est le seul héritier légitime, est à deux doigts de se foutre en l’air à la toute fin de la série. On ne sait d’ailleurs pas s’il survit au-delà du générique. Le doute reste permis. Les seuls petits reproches que l’on pourrait faire à ce final, c’est sa durée et la quasi-absence de moments de comédie. 1 heure et 30 minutes, c’est long, trop long. Succession est une grande œuvre, entre autres parce qu’elle existe dans un espace restreint, celui de l’épisode. 1 heure et 30 minutes, c’est une durée proche de celle d’un film, ce qui est rarement justifié (et encore moins bénéfique) pour un épisode de série. Croire qu’on a besoin de plus de place pour un final est souvent le signe qu’on n’a pas su faire certains choix pour éditer son récit. Ce dernier épisode souffre un peu de ça : le rythme trinque, mais les enjeux émotionnels sont heureusement là et c’est le principal.
Entre deux scènes de violence, toujours très éprouvantes pour nos nerfs, cet épisode manquait aussi d’humour, un ingrédient pourtant omniprésent depuis les débuts de la série et qui en faisait une œuvre aussi intéressante à disséquer et à regarder. Les critiques, aux États-Unis comme ici, se sont souvent demandé si Succession ne serait pas aussi, au fond, une comédie bien cynique, bien acerbe, bien méchante, mais une comédie tout de même. Les petits jeux cruels et les insultes qu’ils se balancent tous à la figure sont toujours du travail d’orfèvre et de vrais moments cathartiques (pour nous comme pour eux). Ce final donne l’impression d’être soudain très premier degré, et sans doute qu’il lui a manqué un peu de piment.
C’est le moment de vous confesser qu’ici, on ne captait strictement rien aux manigances financières de Succession. La dramaturgie dans chacun de ces deals, elle, a toujours été limpide. C’est encore, s’il le fallait, une preuve de la virtuosité de l’écriture de Jesse Armstrong et de son équipe. Une chose est certaine, on a hâte de voir quels seront ses prochains projets. Et maintenant, une bonne fois pour toutes : fuck off!
Les quatre saisons de Succession sont disponibles sur Prime Video avec le Pass Warner.