Un air faussement zozo, des bizarreries plein les tiroirs et déjà l’un de nos meilleurs acteurs français. On l’avait repéré dans Les Mauvais Garçons, le court-métrage d’Elie Girard primé en 2020 aux César. Dans cette ode émouvante à l’amitié masculine, Raphaël Quenard incarne Guillaume qui, chaque semaine, retrouve Victor et Cyprien, ses amis du lycée, au Mille et une nuits, le kebab du coin, un lieu hors du temps. Un jour, Victor leur apprend qu’il va devenir père et qu’il ne pourra plus honorer leurs rendez-vous hebdomadaires. Entre bières, frites et rencards Tinder, Cyprien et Guillaume doivent désormais se remettre en question, avancer seuls et réinventer leur amitié sous les néons blafards du Mille et une nuits.
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Déjà dans ce court de 40 minutes, Raphaël Quenard irradiait l’écran d’une présence atypique, à la fois comique et un peu malsaine, dans un personnage de zozo plus ambigu qu’il n’y paraît. En quelques années seulement, tant de chemin parcouru. On a évidemment vu sa dégaine légèrement de guingois dans des comédies du grand et du petit écran – avec un choix capillaire douteux dans le charmant Fragile, des problèmes intestinaux dans Coupez !, membre de la bande farfelue à Dupieux dans Mandibules et Fumer fait tousser, en grand méchant dans la saison 3 de Family Business – mais aussi sous tension dans Novembre. L’an dernier au Festival de Cannes, il s’est murmuré qu’il détenait même un record avec quatre films présentés sur la Croisette.
“J’adore Bruce Lee et récemment, j’ai vu un documentaire qui s’appelle Be Water où il dit qu’il faut être comme l’eau et s’adapter au contenant en s’infiltrant dans tous les cadres. J’essaie d’installer de la poésie et de la philosophie, même dans le combat.”
Dans Chien de la casse, il incarne son premier rôle principal et l’atout majeur du premier film de Jean-Baptiste Durand. Dans cette nouvelle histoire d’amitié masculine, son personnage s’inscrit dans la droite lignée des personnalités ambivalentes à qui il aime offrir son sourire charmeur et ses traits parfaitement symétriques qui savent aussi être menaçants. Il y est Mirales, charismatique, amoureux du bon mot et meilleur ami de Dog, discret et un peu gauche. L’arrivée d’Elsa dans leur ennuyeux petit village du sud de la France va bouleverser les dynamiques de leur relation et muer le film en une captivante et malaisante chronique d’amitié toxique.
“J’aurais adoré travailler à la même période que Michel Audiard, Jean Gabin ou Lino Ventura. Je fantasme sur d’autres époques, celles des grands patrons, car j’ai trop le goût du bon mot, du phrasé gras mais toujours fleuri, avec des petites incursions d’excentricité.”
Ce premier rôle principal qui confirme son immense talent, cet enfant tout sauf de la balle – fils d’un chercheur en matériaux d’isolation thermique et d’une employée de la Macif élevé dans la banlieue grenobloise – a été le chercher avec les dents. En 2017, une réalisatrice formée comme lui au sein de l’association 1 000 Visages lui parle d’un long-métrage en cours d’écriture “avec un rôle qui était exactement [lui]”.
Il se rend donc à la projection des courts-métrages dudit réalisateur, Jean-Baptiste Durand, “il ne me calcule pas”, il lui envoie ses courts à lui, “il les trouve éclatés”, et il lui écrit des messages sur Facebook, sans succès. Jusqu’à ce que le réalisateur accepte finalement de lui faire tourner quelques scènes provisoires, avant de trouver son acteur principal, “pour donner aux financiers un aperçu de l’ambiance du film”.
Finalement convaincu par Quenard, Jean-Baptiste Durand lui confiera le rôle de Mirales. En contrepartie, il devra gommer son accent, ce phrasé voilé qui donne une impression de perpétuel nez bouché.
“Mais moi, je l’entends pas, surtout que c’est pas un accent, c’est ma façon de parler. Finalement, c’est lui qui ajoutera une ligne de dialogue sur le fait que je viens de Grenoble pour justifier ma façon de parler.”
Sept vies
Mais son phrasé légèrement anachronique n’est certainement pas la seule de ses excentricités. Car avant de décrocher ses premiers rôles, Raphaël Quenard a endossé de nombreux costumes à mille lieues de la personnalité qu’il nous donne à voir à l’écran. Il a d’abord enfilé l’uniforme et rejoint les pupilles de l’air, puis usé les bancs des amphithéâtres de chimie pendant cinq ans, avant de devenir assistant parlementaire auprès de Bernadette Laclais, députée de la 4e circonscription de Savoie. Au cours de sa carrière au cinéma, c’est finalement le costume de flicard qu’il revêtira le plus souvent.
“La valeur du travail est très importante pour mes parents et je l’ai intériorisée au-delà des mots. Moi je suis rigoureux dans le travail mais j’aimerais être rigoureux dans le désordre. Je suis toujours hyper préparé et tout est très consigné dans ma tête. Je peux m’atteler très longtemps à une tâche si c‘est pour un objet créatif que je kiffe.”
Mais c’est dans une de ses autres vies, celle de chanteur dans un cabaret aux États-Unis, que sera peut-être semée la graine de la comédie, lorsqu’un réalisateur de snuff movies – ces films qui montrent de véritables morts ou tortures à l’écran – lui conseillera de tenter sa chance dans un court-métrage, flairant peut-être déjà son attirance pour les personnages troubles, border, voire toxiques, davantage clown blanc qu’Auguste au nez rouge.
S’il ne suivra pas le conseil mortifère, il se verra pourtant proposer, quelques années plus tard, un scénario sur une pellicule de snuff movie disparu, “un peu comme dans 8 mm avec Nicolas Cage”.
“On a commencé à faire des impros mais finalement, le film n’est jamais sorti. Mais en 2018, j’ai tourné un autre film avec ce même réalisateur, Thomas Liegeard, et c’est le meilleur pitch que tu n’aies jamais entendu. Ça s’appelle Flash Drive. J’y ai tourné avec une vieille dame de 94 ans qui est décédée pendant le tournage. Les deux coréalisateurs se sont embrouillés et ça n’est jamais sorti non plus.”
L’amoureux du bon mot qui savait aussi se taire
S’il semble que l’acteur a un certain nombre de bizarreries dans les tiroirs, notamment un rôle principal dans Conte nuptial, “une comédie sur le consentement en impro, très polémique, les personnages c’est une boucherie, personne ne veut sortir le film alors que ça peut-être vraiment bien”, il se construit en parallèle une impeccable filmographie.
Récemment, il a rejoint la distribution du film de Jeanne Herry, Je verrai toujours vos visages, où se côtoient stars du cinéma français, acteurs montants et comédiens de théâtre. En une seule et unique scène de quelques minutes seulement – celle des retrouvailles entre une sœur abusée et son grand frère violeur – d’une intensité qui nous a cloués à notre fauteuil rouge, il emporte tout le film avec lui, éclipsant le reste du pourtant talentueux casting. L’amoureux du bon mot sait aussi se taire et continuer de briller.
“La liberté, c’est un truc que j’aimerais avoir. Mais on n’est jamais libres, on réfrène tout le temps. Les pensées qui nous viennent, on est constamment obligés d’y appliquer un filtre. Mais la fiction, elle excuse tout, donc dans un personnage, tu peux y mettre toute la chiasse qui constitue ta pensée.”
Concernant la suite des réjouissances, il sera notamment à l’affiche de Pourquoi tu souris ? avec Jean-Pascal Zadi et d’une comédie tournée à la Réunion avec Jonathan Cohen, un nouveau film dans un commissariat “avec des flics un peu bancals”.
À chaque fois, l’acteur tente, il propose, il teste ses limites et parfois celle des autres.
“JoCo, c’est une master class, il utilise le réel dans la fiction. J’ai essayé de reprendre ça sur le tournage avec Zadi mais ça n’a pas eu le même effet. J’avais un relent de vomi dans la bouche et au moment où j’ai entendu “moteur”, je me suis dit qu’il fallait que je saisisse ce petit cadeau de l’univers. J’ai dit mes répliques avec du vomi dans la bouche et je me suis fait insulter.”
Faux zozo et bizarreries plein les tiroirs, on a définitivement apprécié le voyage sur la planète Quenard.