Avec Culture Clip, Konbini s’immisce dans l’histoire intime des vidéos qui ont marqué la musique. Récemment, Michel Gondry a illustré un titre acoustique des White Stripes : une bonne raison de parler de son travail sur “Star Guitar” des Chemical Brothers.
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Mardi 12 septembre, Jack White fêtait la récente sortie d’une compilation acoustique de chansons enregistrées entre 1998 et 2009 avec le clip de “City Lights”. Le morceau remonte à l’époque où le musicien de Detroit n’avait encore dissous le groupe qu’il formait avec Meg White, les fameux White Stripes. Bon copain de Jack White, Michel Gondry a tenu à offrir pour ce titre, une vidéo de sa confection, personnelle et spontanée, mais loin d’être sa meilleure. Car réaliser des films géniaux n’a jamais suffi au cinéaste français.
Parce que oui, au cours de sa carrière, le Versaillais n’a pas seulement produit des pépites cinématographiques telles que Soyez sympas, rembobinez ou Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Si on jette un coup d’œil à sa page Wikipédia, on se rend compte que Michel Gondry a consacré une grande partie de son temps à la réalisation de clips.
Ils sont nombreux, et surtout, les groupes et interprètes avec qui il a collaboré ne sont pas n’importe qui : The Whites Stripes d’abord (“Fell in Love With a Girl” et “The Hardest Button to Button”), mais aussi Björk (“Bachelorette”, “Army of Me”, “Human Behavior”…), Radiohead (“Knives Out”), IAM (“Je danse le MIA”), ainsi que The Chemical Brothers.
Pour ces derniers, Michel Gondry a signé les clips de “Let Forever Be”, et le récent “Go”, extrait de leur dernier album Born to Echoes, sorti en 2015. Mais celui qui mérite toute notre attention n’est autre que le génial “Star Guitar”, tourné en 2002.
Ce titre, qui figure sur le quatrième opus des Chemical Brothers, Come With Us, est un véritable tube à lui tout seul. Mais là où Michel Gondry réussit un coup de maître, c’est qu’il a fait de “Star Guitar” une chanson qui se regarde.
Voyage en train lunaire
Avant tout, le clip est hypnotique. Le spectateur se retrouve à bord d’un wagon, avec une vue sur la fenêtre, et observe des paysages qui défilent. On dirait la France. On saura plus tard que Michel Gondry a saisi ces images à bord d’un train de la SNCF, lors d’un trajet entre Nîmes et Valence. Tour à tour, on contemple, à perte de vue, des forêts, des champs, des zones industrielles, puis parfois, surgit une gare, puis une seconde, différente.
Pour les moins attentifs il ne s’agira que de boucles d’images répétitives. Car Michel Gondry est loin de s’être contenté de les apposer successivement, de manière aléatoire. Le réalisateur a fait preuve d’une remarquable ingéniosité.
Si on accorde vraiment toute son attention à la composition de la vidéo et à celle de la musique, on se rend vite compte que chaque élément du paysage représente un son ou un effet musical. Il serait trop long de tous les répertorier mais, par exemple, il est très facile de repérer que les trois poteaux électriques qui apparaissent au tout début du morceau surgissent en même temps que les “kicks” de la chanson.
Plus tard, à une minute et 53 secondes, le synthé que l’on entend pendant le pont est symbolisé dans la vidéo par le passage d’un train en sens inverse. On pourrait passer des heures à décortiquer à la fois l’image et la musique, tant le travail opéré est minutieux et bien pensé.
Michel Gondry, savant fou
Le réalisateur français avait déjà testé ce schéma avec le clip d'”Around the World” de Daft Punk, en 1997. Rappelez-vous ce clip au format carré, dans lequel d’étranges danseurs s’activent peu à peu tandis que la chanson se dévoile. Tel pas de danse représentait tel son, telle intervention de tel personnage n’était que l’illustration visuelle de tel ou tel kick, d’un coup de charley ou d’une simple phrase musicale. Une chorégraphie mécanique, réalisée avec la précision d’un ingénieur ou d’un mathématicien. Et pour “Star Guitar”, le principe est exactement le même.
Dans le DVD The Work of Director Michel Gondry (en français : “le travail du réalisateur Michel Gondry”) figure, entre autres, le making of du clip de “Star Guitar”. Les coulisses sont édifiantes : le processus de création a pris des heures, voire des jours entiers, et la patience dont a fait preuve le cinéaste français est à la hauteur du résultat.
Armé d’un simple crayon et d’une feuille de papier, Michel Gondry semble dessiner la musique qu’il entend. Tout est précis et calibré à la note près. En guise de brouillon, il s’attarde dans la rue et façonne son propre clip, très artisanal, avec des verres, des couverts, des oranges et des baskets. Ces images lui serviront de base pour la version finale de la vidéo du duo britannique. Et parce qu’Internet est un outil merveilleux, le making of est disponible sur le site de Michel Gondry.
Dans l’art de la vidéo musicale, rares sont celles qui s’accordent de manière aussi parfaite avec la musique. Et sans son clip, “Star Guitar” perd cette certaine saveur mystérieuse, hypnotisante et complexe. Un exemple de la définition pure du concept de clip : ici, il fait bien plus qu’illustrer la chanson des Chemical Brothers. Il la complète, totalement.