Totalement invraisemblable et essayant désespérément d’être pop et cool en dépit d’une base dramatique, Suicide Squad est une déception à tous les niveaux.
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Glaçante ironie du sort : attendu comme un nouveau départ pour l’univers cinématographique DC, après un Batman v Superman : L’Aube de la Justice qui avait globalement déçu au box-office comme chez les critiques, Suicide Squad reprend finalement les défauts de celui-ci en les amplifiant à l’extrême.
Quand le premier souffrait notamment d’un montage sacrifiant sans pitié des scènes entières pour atteindre une durée de 2 h 30, le second est un monstre de Frankenstein filmique avec des parties ostensiblement ajoutées à la dernière minute. Le film semble avoir été découpé à la hache pour tenter d’obtenir un compromis acceptable entre drame et comédie, univers dévasté et répliques cinglantes. Le problème ? Cela ne fonctionne jamais vraiment et Suicide Squad se traîne une tonalité schizophrène jusqu’à sa conclusion.
Tandis que le film de Zack Snyder n’hésitait pas à bombarder – quand il fallait – le spectateur des thèmes pompeux de Hans Zimmer et Junkie XL, celui de David Ayer a tellement peur du silence qu’il déroule sans répit ses deux bandes-son (l’une orchestrale, l’autre entre Action Bronson et Queen) jusqu’à créer un bruit de fond permanent. Comme s’il fallait absolument que le spectateur ne décroche pas.
[Spoiler ahead]
Une irrévérence de surface
Suicide Squad pouvait difficilement répondre aux attentes placées en lui. Son plan marketing insistait tellement sur certains aspects du projet finalement décevants ou à peine présents dans le film. Un exemple ? Le Joker de Jared Leto, qui en fait des tonnes pour compenser le manque d’espace qu’on lui a attribué.
L’irrévérence du film reste de surface et se dilue progressivement à mesure que le scénario avance et, plus gênant, son casting d’antihéros est terriblement sous-exploité. Le premier problème à ce niveau touche le film comme il touchait un Captain America : Civil War : il y a trop de monde à l’écran.
Néanmoins, contrairement au dernier blockbuster de Marvel, Suicide Squad n’a pas eu le temps d’introduire ses personnages et se voit donc contraint de ruser pour leur donner rapidement une histoire, à grand renfort de flash-back insérés ici et là.
Les deux protagonistes les plus développés, Deadshot (Will Smith) et Harley Quinn (Margot Robbie), ont le droit à quelques minutes d’exposition, d’autres une poignée de secondes, et les moins chanceux semble vaguement jetés dans l’arène sans grande justification – pauvre Slipknot, tué pour l’exemple.
Des bad guys qui ne le sont pas
Deuxième souci : Suicide Squad ne tient pas les promesses de son postulat. Ses bad guys à la cruauté tant vantée, ses supposés sociopathes affreux, sales et méchants, ne dépassent jamais leur côté gentiment poseur et finissent par entrer dans le moule classique de l’héroïsme à l’ancienne avec empathie pour leur prochain. Dès que le film renonce à leurs motivations initiales égoïstes, il n’assume plus son point de départ et donne au spectateur un feu vert tristement consensuel pour s’identifier à ses personnages sans malaise potentiel, “parce qu’ils ont un bon fond, hein, en fin de compte”.
Le groupe devient “comme une famille” en une poignée d’heures pour les besoins de l’histoire, sans qu’aucun lien ne se soit réellement construit entre ses membres. Et tout ce petit monde avance main dans la main jusqu’à un affrontement final déjà vu mille fois, sous la pluie avec éclairs, agglomérat de nuages apocalyptiques autour du QG ennemi, et boss de fin de niveau générique en images de synthèse.
Un script et des personnages peu approfondis
Guère sauvé par sa réalisation clipesque, malgré quelques effets spéciaux impressionnants, ni par ses environnements verdâtres dont aucun ne sort vraiment du lot, Suicide Squad est surtout handicapé par un script dont on pardonnerait plus facilement les aspects invraisemblables (encore une fois, le montage n’a pas dû aider) si ses personnages étaient mieux écrits.
Hélas, bien que Will Smith s’en tire relativement bien dans un rôle classique de tueur à gages froid mais secrètement gaga de sa fille, et que Cara Delevingne apparaît comme un choix intéressant de casting pour interpréter son double personnage moitié bon, moitié maléfique (sa transformation est visuellement très réussie), Captain Boomerang (Jai Courtney) et Killer Croc (Adewale Akinnuoye-Agbaje) sont presque totalement transparents et El Diablo (Jay Hernandez), pyromane rongé par la culpabilité, aurait mérité un meilleur développement pour dépasser sa caractérisation stéréotypée de chef de gang latino.
Des femmes malmenées
Dramatiquement, le pire sans doute reste le sort réservé aux femmes dans Suicide Squad. Passons sur Amanda Waller (Viola Davis), qui représente simplement l’agent du gouvernement fédéral typique de ce type de productions. Elle sait se faire respecter mais son plan est perclus de trous béants et sa logique parfaitement défaillante du début à la fin.
Non, l’éléphant dans le couloir, c’est évidemment le personnage de Margot Robbie. Son costume, culotte et T-shirt moulant en mode Who’s your daddy aux côtés d’un crew de vieux briscards lourdement équipés, faisait jaser de longue date (y compris du côté des connaisseurs éclairés de Harley Quinn, toujours folle mais généralement plus habillée) mais on donnait au film le bénéfice du doute, dans l’espoir d’une justification intelligente.
Malheureusement, le spectateur n’obtiendra rien d’autre qu’une objectification récurrente de la belle actrice et des relents de sexisme parfois très embarrassants.
Comme Katana (Karen Fukuhara), combattante japonaise façon ABCD du Ninja au cinéma, qui parle à son sabre contenant l’âme de son défunt mari, et plus ou moins comme le Dr Moone (jouée par Cara Delevingne), Harley Quinn existe principalement à travers un personnage masculin – en l’occurrence le Joker, dont elle est tombée follement amoureuse (comment est-ce arrivé ? on ne sait pas trop. Mais c’est arrivé). Un point fidèle au comics, indéniablement ; mais les violences gratuites répétées qu’elle subit donnent un arrière-goût assez nauséabond à ses nombreux moments “femme fatale lol” écrits pour le film.
Un accident industriel que l’on espère isolé
Confus, survolé dans ses enjeux dramatiques et rarement drôle au-delà des phrases entendues dans les trailers, Suicide Squad est ce blockbuster que l’on aurait voulu aimer pour ses différences, dans la lignée des Gardiens de la Galaxie mais avec un appareillage sombre et torturé.
Si les antihéros sont bien de sortie à première vue, on découvre vite un film à la fois terriblement conventionnel, à peine intéressé par ses personnages au-delà de leur apparence, et plutôt inquiétant pour l’avenir de l’univers cinématographique DC qui entend se développer durablement au cours de ces prochaines années.
Mais Batman s’en tire plutôt bien, allez. Et on espère de tout cœur se tromper.