Critique : Les Crimes du futur, le film testament de David Cronenberg

Critique : Les Crimes du futur, le film testament de David Cronenberg

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(© Metropolitan FilmExport)

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Par Arthur Cios

Publié le , modifié le

Un film impressionnant, porté par une Léa Seydoux en grande forme.

Au cours du Festival de Cannes, Konbini vous fait part de ses coups de cœur.

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Les Crimes du futur, c’est quoi ?

Le retour du grand David Cronenberg est forcément un événement. Pour Cannes, certes, et pour tout le monde. Son dernier long-métrage, qui avait divisé, Maps to the Stars, est sorti en 2015. Sept ans plus tard, le cinéaste canadien revient à son premier amour, lui qui avait quitté le body horror après eXistenZ en 2002, avec Les Crimes du futur.

Un film difficile d’accès de prime abord, puisqu’il prend place dans un monde visiblement post-apocalyptique où le sexe ne passe pas par nos organes génitaux, mais par la mutilation (!) d’un artiste (Viggo Mortensen) qui peut, comme quelques autres humains, faire pousser des tumeurs qui deviennent des organes.

Il s’associe à une chirurgienne artiste (Léa Seydoux), qui va tatouer ses entrailles avant de les extraire dans des prestations artistiques (!), et ces derniers vont questionner leurs gestes artistiques quand un gosse pouvant développer un autre type d’organe débarque. Cela vous semble perché ? Pourtant, si vous connaissez le cinéma de Cronenberg, vous devriez vous y retrouver.

Pourquoi c’est bien ?

C’est le film le plus autobiographique de son réalisateur, le plus critique de l’industrie du cinéma et de notre société actuelle, et celui qui semble le plus éloigné de ce qu’on connaît de Cronenberg – alors que c’est tout l’inverse. Allons à l’essentiel.

Le personnage de Saul, incarné par Viggo Mortensen, est l’avatar de Cronenberg. C’est un artiste qui offre des œuvres charnelles et organiques en puisant dans son for intérieur, et qui choque faussement les critiques. Un homme connu pour offrir des spectacles morbides encensés. Vieillissant, il souffre de créer autant et se questionne sur sa pertinence et sur le temps qui lui reste.

Cronenberg cite en permanence son cinéma dans Les Crimes du futur. Le décor désertique d’Athènes rappelle Le Festin nu. La technologie craspouille digne de Giger rappelle eXistenZ. La beauté de l’intérieur des corps rappelle Faux-semblants. Le traitement de l’enfant rappelle Chromosome 3. Le lien entre technologie et corps, et l’importance du body art (cher à l’auteur), rappellent Vidéodrome.

Un film somme, mais qui a l’intelligence de dépasser ces références. Si le film ne parlait que du réalisateur, il pourrait être vain. Ce qui interpelle, c’est la réflexion de l’auteur sur le monde dans lequel on évolue. Ce n’est pas que Saul (ou Cronenberg) qui s’interroge sur sa pertinence, le film questionne aussi ce monde où seuls les enfants semblent se soucier de la survie de notre espèce.

Il est difficile de l’expliquer, mais ce long-métrage est aussi profondément féministe, et queer d’une certaine manière. De la part d’un réalisateur de 80 ans, qui a écrit ce scénario il y a plus de vingt ans (le script a été pensé au moment de Crash, qui est sorti en 1996), ça impressionne.

Enfin, Les Crimes du futur est une réflexion globale sur l’industrie du cinéma. Cronenberg s’amuse à nier en interview, mais la critique acerbe de Hollywood semble être au cœur du projet. Une industrie dans laquelle le Canadien n’a jamais vraiment eu sa place, encore moins maintenant. Sur la forme, cela se traduit par un minimalisme assez déroutant.

Cela ne veut pas dire que la mise en scène ne contient pas son lot de détails et que les choix de cadre ne sont pas signifiants, au contraire. Cronenberg se pose simplement aux antipodes des montages surchargés où l’on retrouve huit cadres différents au sein d’une scène. Le tout avec un duo d’acteurs au sommet de son art, dans une sobriété parfaite.

Les Crimes du futur est un film riche, qui sera certainement analysé dans les années à venir. Alors qu’il semble difficile à aimer car trop froid, il est d’une générosité assez déconcertante.

On retient quoi ?

L’actrice qui tire son épingle du jeu : Léa Seydoux, toujours aussi exemplaire

La principale qualité : sa richesse folle

Le principal défaut : assez difficile d’accès pour les non-amateurs de l’auteur

Un film que vous aimerez si vous avez aimé : Crash de David Cronenberg, Le Festin nu de David Cronenberg et Faux-semblants de David Cronenberg

Ça aurait pu s’appeler : Inside Out

La quote pour résumer le film : “Un film qui retourne (littéralement) les tripes”