L’art, ce monde impitoyable… Comment devient-on artiste ? Comment infiltre-t-on le monde si fermé de l’art contemporain, des institutions muséales, des galeries chics du Marais ? Comment vit-on de son art et est-ce qu’on peut même vivre d’art et d’eau fraîche ? Face à ces questions déterminantes, que nous pose souvent notre jeune audience, on s’est dit qu’il serait bon de demander directement aux concernées, à des femmes qui ont “percé”, qui se sont fait une place dans un milieu élitiste et compétitif.
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Pour ce deuxième article “Comment t’as percé ?”, Maylis Maurin, restauratrice de tableaux, a accepté de répondre à nos questions. Rencontre.
Konbini ⎥ Peux-tu te présenter en quelques mots et nous raconter ton parcours ?
Maylis Maurin ⎥ J’ai 29 ans et je suis restauratrice de tableaux depuis cinq ans. Juste après mon bac L, je suis rentrée à l’École de Condé à Paris, qui forme, avec un Master 2 en conservation-restauration de patrimoine, au métier de restaurateur·rice ! J’ai suivi des cours d’histoire de l’art, de dessin, de copie, de techniques artistiques, de chimie, et des ateliers de restauration. Au bout de cinq années, stages et mémoire compris, j’ai obtenu le diplôme de conservation-restauration du patrimoine. En parallèle, j’ai aussi fait une licence d’arts plastiques à La Sorbonne par correspondance.
Parle-nous du métier de restauratrice de tableaux. En quoi ça consiste ?
Le métier de restaurateur·rice d’œuvres d’art est un métier formidable, de sciences, de patience et de passion artistique. Devant l’œuvre d’art confiée, la restauratrice a plusieurs regards. Une première approche d’observation, afin de comprendre son histoire et la multitude de ses matériaux constitutifs. Comme une enquêtrice sur une scène de crime : il faut recueillir le maximum d’indices, en tirer des conclusions, par exemple : où sont placés les clous, au bon endroit ou non ? Cela peut indiquer le format d’origine. Il faut tout écrire, rédiger un rapport et décider d’un plan.
Une seconde approche de réflexion : faire le choix du meilleur pour le tableau, des traitements les plus adaptés pour sa conservation, afin que l’œuvre traverse encore des siècles… On peut commencer à faire des tests très légers pour voir comment réagit la peinture, s’il y a eu des ajouts de couches, de vernis : on entre véritablement dans le tableau. Et une troisième approche manuelle : la restauration commence vraiment, on est au plus près de l’œuvre et comme une chirurgienne, on vient la restaurer avec des gestes précis, minutieux et surtout respectueux ! Deux mots d’ordre : réversibilité (tous les produits utilisés doivent pouvoir être retirés facilement) et effacement (il y a une éthique). C’est ainsi que la phase d’observation est très importante et qu’il est bon de ne pas être seule dans cette étape. Il faut s’effacer et rendre sa place à l’artiste, ne pas réinterpréter son œuvre, mais seulement la ressusciter.
“À l’époque, j’habitais en Russie avec mes parents, je ne pouvais pas aller aux forums estudiantins, etc. J’ai fait toutes mes recherches sur Internet.”
Quel genre d’œuvres restaures-tu ? As-tu déjà restauré des œuvres d’artistes très célèbres ?
Il faut distinguer la restauration de la toile, et la restauration de la couche picturale : ce sont deux spécialités différentes et personnellement, je fais les deux. Je restaure des œuvres de toutes les époques, je ne me suis pas spécialisée dans une période donnée. Ce sont pour la grande majorité des huiles sur toile ou panneaux de bois, mais cela arrive aussi (notamment pour des œuvres plus contemporaines) que les matériaux changent et soient plus composites. J’ai déjà restauré des œuvres de Marc Chagall, Eugène Boudin, Modigliani, Moïse Kisling, et des œuvres très anciennes du XVIe ou XVIIe siècle…
As-tu su très jeune que tu voulais faire ça ?
J’ai su assez tôt que je voulais faire ce métier. Très jeune, je feuilletais avec plaisir les Gazettes de Drouot (un magazine de ventes aux enchères) de mes grands-parents, je regardais toutes ces œuvres ; cela a contribué à éduquer mon regard. J’aimais aussi peindre, je sens que cela me donne aujourd’hui plus de facilité et de rapidité pour comprendre les matières et trouver les couleurs adéquates quand je dois combler des lacunes.
Comment as-tu eu connaissance de ce métier et des moyens pour y accéder ?
J’ai connu ce métier car un membre de ma famille le pratiquait, et par une amie qui était entrée à l’École de Condé. À l’époque, j’habitais en Russie avec mes parents, je ne pouvais pas aller aux forums estudiantins, etc. J’ai fait toutes mes recherches sur Internet, je suis rentrée une fois en France pour passer l’entretien de l’École de Condé, et c’était bon !
Quels ont été les obstacles rencontrés sur ton chemin ?
Les principaux obstacles arrivèrent après les études. J’ai fait pas mal de sacrifices pour lancer mon activité et j’ai saisi toutes les opportunités qui s’offraient à moi. J’ai dû convaincre les gens de me faire confiance malgré ma jeunesse, ou mon parcours dans une école privée – le diplôme de l’École de Condé ne permet pas de travailler dans les musées par exemple, contrairement à l’INP ou La Sorbonne. J’ai eu la chance de partager dès le début un atelier avec une autre restauratrice, qui avait déjà une belle carrière de 35 ans derrière elle, et qui m’a accueillie et épaulée. Elle continue à le faire avec patience et dévouement ! Mon entreprise est désormais florissante et je vis de ma passion.
“J’ai dû convaincre les gens de me faire confiance malgré ma jeunesse, ou mon parcours dans une école privée.”
Quelles sont les leçons que tu as apprises et les conseils que tu donnerais à des jeunes ?
Je n’ai jamais regretté de m’être lancée dans un métier de “passion”. Certes, cela demande des sacrifices et beaucoup d’énergie, mais je suis si heureuse de me lever le matin pour retrouver mes tableaux ! Comme dans tous les métiers, il y a des hauts et des bas… Je conseillerais de ne pas idéaliser les métiers d’art, car ce sont des métiers difficiles. Je conseillerais aussi ce métier à un profil de personne artiste mais pas forcément créative – plutôt manuelle qu’artiste, d’ailleurs, car on s’efface derrière l’œuvre restaurée. Et enfin dernier conseil : saisir toutes les opportunités qui peuvent enrichir un parcours : rencontres, visites, expositions, stages… Allez à la rencontre des professionnel·le·s qui vous font rêver et posez-leur des questions… Bref, soyez curieux·ses !