On pourrait définir Paul Joubert, l’écrivain qui se cache derrière le compte Grosso modo sur TikTok et Instagram, comme étant un poète de rue. Il sublime le banal en filmant les choses à côté desquelles on passe quotidiennement en les décortiquant jusqu’à ce qu’elles deviennent de véritables œuvres d’art. Bienvenue dans son univers, où un simple accoudoir devient un toucan et la lune une “étoile filante pas pressée du tout”. Entre jeux de mots finement choisis et métaphores, Les Balades de mon imagination de Paul Joubert nous invitent à prendre le temps d’observer notre monde, en ouvrant grand les yeux sur les choses insignifiantes qui se transforment en figures fantastiques. C’est une façon de voir le monde différemment en laissant venir les choses à vous sans jamais vous empêcher de les personnifier.
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Parallèlement à son activité sur les réseaux, Paul Joubert a écrit un livre intitulé Tuer le temps, paru chez L’Archipel en 2024. Ce roman raconte la vie en 2080 d’une femme de 28 ans, Édith, qui, après avoir mis fin à ses jours, se réveille en 1905 et tente alors de se fondre dans le décor. “Et si en finir avec la vie n’était pas mourir mais changer d’époque ?”, suppose la quatrième de couverture. Entre roman et poésie de rue, Paul Joubert n’a donc pas fini de nous surprendre.
Konbini | Salut, Paul ! Comment t’est venue l’idée de créer ce compte Instagram Grosso modo et Les Balades de ton imagination (et pourquoi l’appeler “Grosso modo”) ?
Paul Joubert | L’idée du compte Grosso modo commence surtout en novembre 2022. Je viens de finir d’écrire un énième roman dans mon coin (traduction : jamais publié). Je suis un peu épuisé mais si je ne fais rien, je déprime. D’autant plus que c’est l’hiver. Alors il me faut quelque chose à faire. C’est là que le premier “concept”, qui donne son nom au compte, fait son apparition. Je vais proposer (sur TikTok d’abord) seulement le titre et la quatrième de couverture d’un roman que j’ai imaginé mais que je n’écrirai jamais. Je racontais donc “grosso modo” l’histoire que j’avais en tête.
Ça a plutôt bien marché, j’ai eu quelque chose comme 20 000 abonnés en deux mois (j’étais totalement stupéfait, j’avais comme objectif de raconter mes quatrièmes de couverture imaginaires pendant un an en espérant avoir 10 000 abonnés au bout de cette année). Je continue donc à raconter mes histoires puis, quelques mois plus tard, en juillet, je suis en week-end et il me vient l’idée des balades.
J’ai pris l’habitude de recouvrir le monde de mon imaginaire, c’est plus agréable et soutenable ainsi, alors je me dis que je pourrais proposer à tous les histoires que je me fais dans ma tête. Autant le premier concept était prémédité et j’espérais beaucoup de lui, autant les balades, j’ai fait ça comme ça, en me disant qu’au pire ça ne serait qu’une énième vidéo cringe sur les réseaux sociaux. Sauf que ça a beaucoup plu. Si bien qu’en juillet la majeure partie de mes abonnés étaient là pour les balades plutôt que mes histoires loufoques. Ensuite, ça a été le tour d’Instagram en août où j’ai dû avoir quelque chose comme 100 000 abonnées en quelques jours à peine. C’était totalement fou. Je peinais à y croire. Depuis que j’ai seize ans, j’écris dans mon coin (beaucoup, beaucoup trop) et je n’avais rien en retour. Soudainement, tant de personnes qui apprécient ce que je fais. C’était quelque chose.
Comment décrirais et expliquerais-tu ta démarche ? Ton processus de création ?
Ma démarche s’est construite après avoir proposé les premières balades car je n’imaginais pas que ma simple imagination, ma manière d’habiter le monde du mieux que je le peux pour ne pas être trop triste, puisse plaire autant. Alors maintenant, avec Grosso modo, j’ai envie de “réenchanter le monde”. J’ai envie de créer toujours plus de choses qui puissent traduire une idée dans ma tête en une concrétisation dans un projet poétique.
Est-ce qu’observer tout ce qui t’entoure de façon poétique a toujours été présent chez toi ?
J’ai toujours aimé et voulu voir le monde un peu différemment. Même avant de découvrir l’écriture, je voulais être prestidigitateur. Je voulais même en faire mon métier. Là, ce n’était pas simplement voir le monde de manière poétique mais le rendre tout simplement magique aux yeux des autres. Je n’ai pas assumé tout le temps être le “rêveur de service”. Comme beaucoup, à l’adolescence notamment, j’ai essayé de ressembler à ce qu’il fallait être. Au collège, en tout cas de ce que j’en ai vécu, c’était avoir des TN aux pieds, une banane Lacoste et faire le “wesh” comme on disait dans les années 2000, ou alors être un skater ultra-à l’aise avec tout le monde. Je n’étais bon ni dans l’un, ni dans l’autre. Je n’ai jamais ressenti autant de tristesse qu’à ce moment-là, quand j’essayais d’être “popu”. Alors dès le lycée, quand j’ai découvert la littérature, j’ai compris que voir le monde poétiquement pouvait être une particularité, souvent raillée certes et peut-être naïve, mais quelque chose qui était moi, après tout. Je l’ai donc assumé.
Quel est ton intérêt dans le fait de sublimer le banal ?
Honnêtement, voir autre chose de plus beau et réjouissant qu’une vie “banale” justement. Avant que les balades plaisent, je n’imaginais pas une seule seconde que mon humble point de vue sur le monde puisse plaire. C’était avant tout pour moi, pour me soulager. Quand une rame de métro est bondée ou quand on s’ennuie dans une salle d’attente, autant imaginer des choses, des histoires. Autrement, c’est la déprime. Mon imagination est un médicament sans ordonnance, en tout cas pour moi.
Finalement, pourquoi la poésie ?
La poésie parce que, attention je vais faire mon intellectuel : dans le sens étymologique grec, c’est “création”. Autrement, je ne me suis jamais considéré comme un poète ou comme faisant de la poésie. L’étiquette est trop lourde à porter et trop connotée. Ou alors, c’est comme Boris Vian, Dino Buzzati ou Gabriel García Márquez et dans ce cas, c’est plus de l’onirisme selon moi, ou du “réalisme magique”, un courant que j’affectionne beaucoup dans mon écriture.
Qu’attendre à l’avenir du compte Grosso modo ?
Sur, grâce et via le compte Grosso modo, j’ai envie de proposer mon imagination dans tous ses états, si ça n’est pas trop présomptueux dit comme ça. Grosso modo m’a ouvert beaucoup de portes et je souhaite devenir un courant d’air pour pouvoir en ouvrir d’autres. Bref, même si c’est un peu tristouille dit comme ça, mon mantra a toujours été : faire des choses avant d’y passer.
Ah oui et mon deuxième roman publié arrive l’année prochaine a priori ! Ce sera un roman beaucoup plus onirique, qui traitera de nos rêves d’enfance qu’on réalise ou qu’on oublie.