Frappée par la crise sanitaire, la jeunesse se retrouve dans une situation de grande précarité et de détresse psychologique. France Inter et Konbini se mobilisent pour lui donner la parole, mais aussi pour apporter des solutions et valoriser les initiatives solidaires.
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La jeunesse a subi de plein fouet cette pandémie mondiale, qui a profondément transformé sa façon de rêver. Comment continuer à créer et comment s’imaginer un avenir quand tout ce qui nourrit cette jeunesse s’éteint, quand elle a l’impression que le monde s’écroule ? Inès, Ornella et Solveig, trois étudiantes en école d’art, ont accepté de répondre à nos questions, entre crainte, résilience et espoir.
Inès Yahyaoui, 22 ans, musicienne et étudiante en première année d’un master des Beaux-Arts spécialité curation d’art contemporain, à Londres
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Konbini arts | Salut Inès ! Raconte-nous un peu comment tu vis la crise sanitaire et la pandémie que nous traversons depuis un an.
Inès Yahyaoui | Au début, ça allait, j’étais en fin d’études, en troisième année de médiation culturelle et géopolitique de l’art, on avait des dossiers à faire, c’était un peu dur d’être motivée mais ça allait. Là, ça commence à être un peu long, j’ai déménagé à Londres en octobre 2020, avec une promesse de l’université que tout allait être fait pour obtenir une alternance de cours en ligne et cours en présentiel. Mais ça n’a jamais été fait. Certain·e·s de mes professeur·e·s n’ont carrément jamais déménagé à Londres alors que les étudiant·e·s ont été fortement incité·e·s à le faire.
Ça commence à être difficile de faire des concessions, parce qu’on nous demande d’en faire, d’être enfermé·e·s, de ne pas avoir vraiment de soutien de l’université, surtout dans des domaines artistiques. En curation, j’ai besoin de dialoguer avec des artistes pour monter des expositions, d’aller en studio, de pouvoir faire des installations, de visiter des galeries. La fac n’est pas en train de nous élever particulièrement. C’est pesant. Concernant la vie sociale, il y a un aspect très cool : ça a été ralenti, certes, mais il y a une solidarité étudiante qui a été incroyable. Il y a des membres de ma classe qui organisent toutes les deux semaines des rencontres entre artistes et curateur·rice·s. C’est génial d’avoir mis en place ce genre de choses mais c’est assez limité.
Quel a été l’impact de la pandémie sur ton parcours estudiantin ?
Pour la partie curation, je n’ai accès à aucun matériel et aucune ressource de l’école, pour lesquels j’ai payé, donc il y a une grosse impression de s’être fait arnaquer. Pour la partie musique, c’est très compliqué de pouvoir enregistrer en studio à Londres – ou il faut aller dans des studios privés qui sont très chers. Le plus gros défi, c’est de ne pas avoir accès aux ressources dont j’ai besoin pour continuer à travailler.
J’ai réussi à poursuivre certains projets grâce à la solidarité des étudiant·e·s, mais aussi en innovant. J’ai repensé mes projets autour de la pandémie : au lieu de faire des grosses expositions, j’ai réfléchi à créer des espaces expérimentaux, immersifs, où il n’y aurait que deux, trois personnes simultanément mais où il n’y aurait pas de règles, où on peut s’inventer, créer.
Ce qui m’a fait évoluer dans ma pratique, c’est de devoir innover face à l’imprévu, de rester créative. Parfois, je me dis qu’il n’y a pas de fin à ce confinement… Je ne sais pas comment je vais pouvoir réaliser mes projets un jour, mais je suis soutenue par d’autres étudiant·e·s qui sont dans la même situation. On se maintient un peu à flot. Pour l’instant, c’est comme cela que j’arrive à poursuivre mes cours et à croire en mes projets.
“Ma plus grande peur : l’avenir de la culture.”
Quelles sont tes peurs et les grandes difficultés que tu traverses ?
Ma plus grande peur, c’est quand je vois l’avenir de la culture : il n’y avait déjà pas beaucoup de financements, là, j’ai l’impression qu’on nous a volé une partie de nos rêves et nos projets. Je vois beaucoup de galeries fermer. J’ai l’impression que ce que je fais maintenant n’a pas vraiment de sens, que je n’aurai pas l’occasion de le pratiquer en tant que métier, et que le monde de la culture mettra des années à se remettre de la pandémie et de la crise.
Pour la musique, c’est pareil, les festivals s’annulent les uns après les autres, des bars mettent la clé sous la porte et on ne sait pas vraiment comment restaurer tout l’argent perdu et comment le réinvestir dans de jeunes artistes. C’est difficile quand tu es en début de carrière, face à cette difficulté, dans un milieu très compétitif, de te dire que tu devras peut-être abandonner ce que tu aimes faire pour faire quelque chose que tu n’aimes pas, pour vivre à peu près correctement.
“Ce qui me manque, c’est de ne pas prévoir, de se laisser surprendre. La surprise du monde d’avant me manque.”
Qu’est-ce qui te manque du monde d’avant ?
Avoir des moments d’imprévus, sortir, aller en galerie, aller en concert, rencontrer des gens, des artistes, aller dans des sessions de studio pour créer à plusieurs. Ce qui me manque, c’est de ne pas prévoir, de se laisser surprendre. La surprise du monde d’avant me manque : être proche des gens, créer avec les gens, collaborer avec des gens. Cette période m’a fait prendre conscience que le métier de curation est impossible à faire seule, car je suis tellement inspirée par les personnes qui m’entourent.
Dirais-tu que cette pandémie a eu un impact positif sur certains aspects de ton mode de vie, sur ta créativité ?
Oui, je fais plus attention aux gens autour de moi, à mes relations, à mon mode de vie, mon espace de vie. Je me suis appliquée à me faire un espace de création sain et positif malgré tout. Avant, je n’y pensais pas. J’ai commencé d’autres pratiques artistiques, comme la peinture, la sculpture, des choses que je peux faire chez moi pour continuer à me stimuler. Je lis beaucoup plus. La pandémie m’a appris à me concentrer sur d’autres scènes artistiques que je ne regardais pas forcément. Ça m’a ouvert à d’autres pratiques qui ont nourri ma curation et ma musique.
As-tu fait de belles rencontres (en ligne ?) en rapport avec ton domaine dans l’année ?
J’ai fait des rencontres incroyables, en musique et en curation, avec des personnes qui ne sont pas forcément dans le même pays, dans la même ville. En musique, Instagram a aidé : ça a lié les gens, beaucoup de personnes se sont mises à montrer leur art, j’ai rencontré un producteur avec qui je travaille encore. En curation, j’ai des ami·e·s que j’ai rencontré·e·s en ligne, grâce à mes cours sur Zoom et, malgré tout, grâce à mes camarades de classe qui font des réunions toutes les deux semaines, j’ai fait la connaissance d’artistes qui ne sont pas forcément à Londres.
J’ai aussi rerencontré des personnes qui ne partageaient pas leur art avant, qui commencent à faire de la poésie, des vidéos, et avec qui j’ai pu dialoguer. Internet est aussi devenu un espace de travail, de collaboration et de création. Avant, ce n’était pas le cas pour moi, c’était un espace de dialogue et de découverte. Mais là, c’est vraiment devenu une sorte de laboratoire que j’adore.
“L’art m’a maintenue en vie.”
Quelle part ont joué les réseaux sociaux sur ton moral et ta créativité ?
Pour la création, c’est à double tranchant. Pour le moral, aussi. Ça joue très positivement quand l’algorithme est en ta faveur, mais plus difficilement quand c’est l’inverse. C’est difficile pour moi de mesurer l’impact que les réseaux sociaux ont sur moi. Inconsciemment, que je le veuille ou non, je dépends de cet algorithme, j’ai l’impression d’être bloquée par ça. Ça peut être vite démotivant de ne pas avoir de retours, de savoir si ton travail a un impact ou pas sur les autres. Quand on est artiste ou étudiant·e en art, ce qu’on fait, c’est pour que ça touche les gens. C’est difficile de le mesurer à travers des réseaux sociaux qui ne sont pas très justes dans leur fonctionnement.
D’un autre côté, ça m’inspire énormément de voir des gens partager leur travail, de me connecter aux quatre coins du monde. Je pense que les réseaux sociaux sont incroyables pour la créativité et un peu moins pour le moral. Il faut juste se mettre des limites.
© Inès Yahyaoui
Comment appréhendes-tu la suite ? Est-ce que tu arrives à te projeter ?
J’ai peur que le monde de la culture s’effondre, à un point de non-retour. C’est difficile de me projeter, je le fais quand même en imaginant des espaces d’art, qu’on va collectivement faire des expositions et que les concerts vont reprendre. Et ça me rassure quelque part de réussir à me projeter de ce point de vue-là. Je n’arrive pas à me projeter institutionnellement : avoir un travail stable dans la culture, dans un métier que j’aime, en musique ou en curation, qui puisse payer mes factures.
J’ai de jolis projets en cours, nés durant la pandémie, parce que j’étais très souvent seule, en introspection, donc j’avais le temps d’y penser. En curation, je suis en train de monter une exposition sur la mémoire d’enfance et la création identitaire. Je travaille avec un peintre, une vidéaste, une personne qui fait des installations de nourriture et un sound designer pour créer un espace de dialogue entre le nous d’aujourd’hui et nos souvenirs d’enfance.
Comment dialoguons-nous avec notre nous d’autrefois, pour construire notre identité ? Cela me permettra de montrer les différences dans la construction identitaire en fonction des communautés, des genres et des cultures. Je veux faire quelque chose d’accessible pour que tout le monde puisse s’identifier. En musique, je suis en train d’écrire un EP avec le producteur que j’ai rencontré durant la pandémie.
À quoi ressemblera le monde de demain, selon toi ?
Le monde de demain sera chaotique, financièrement. Il sera difficile à surmonter pour beaucoup d’entre nous. Je pense notamment aux minorités en général, de genres, ethniques, et aux personnes qui viennent d’un milieu social défavorisé. Il faudra lutter. J’observe aussi une solidarité constante depuis plusieurs mois. Les gens veulent s’écarter de l’ancien monde et créent des schémas de vie plus sains, plus éthiques et vivables en tant qu’êtres humains. Le monde de demain sera difficile à reconstruire mais joliment reconstruit avec de la solidarité.
“J’ai envie de dire à la personne que j’étais il y a deux ans de ne pas avoir peur et de ne pas prendre les choses pour acquises.”
Dans dix ans, que retiendras-tu de cette période ? Comment raconteras-tu cet épisode de ta vie ?
Je retiendrai que j’ai dû faire des rations de repas chaque semaine, ce qui est difficile pour le moral. Je retiendrai que j’ai beaucoup créé, que j’ai réussi à continuer l’art. L’art m’a maintenue en vie. Le fait d’être artiste m’a permis de survivre aux confinements successifs, à la crise, et me permet encore aujourd’hui de trouver la force de réaliser des choses et me projeter. Avoir accès à de la culture m’a sauvée. C’est l’épisode le plus stressant et solitaire de ma vie mais aussi – je me rends compte de la chance que j’ai de dire ça – l’un des plus beaux en termes d’introspection, de relation à autrui et de création.
Qu’est-ce que tu aimerais dire à ton toi d’il y a deux ans, avant la pandémie ?
N’aie pas peur d’aller à cette exposition toute seule. N’aie pas peur de mettre ta musique sur Internet. N’aie pas peur de proposer ce projet d’exposition. N’aie pas peur d’aller parler à ce dirigeant de galerie. N’aie pas peur d’envoyer ton dernier article d’art à cette rédaction. J’ai envie de dire à la personne que j’étais il y a deux ans de ne pas avoir peur et de ne pas prendre les choses pour acquises. J’aurais très envie de lui dire ça.
Quelque chose que tu veux ajouter ? Un message à faire passer ?
J’aimerais rappeler aux artistes que ce qu’on fait n’est pas inutile. Pendant le confinement, je me suis demandé : à quoi ça sert de créer ? Quand le monde s’écroule, à quoi ça sert que je fasse des peintures, des expositions, de la musique ? J’ai envie de vous dire que sans ça, on n’aurait pas d’échappatoire et d’espoir.
Demain, si on m’enlevait mon Netflix, mon Spotify et mon accès aux livres, je ne sais pas dans quel état mental je serais et comment on serait collectivement. C’est important de continuer à créer, surtout si on veut sortir d’un monde dicté par le profit et le capitalisme. Se faire du bien et faire du bien aux autres, s’exprimer dans plein de médias différents, c’est important.
Solveig Burkhard, 22 ans, photographe et sculptrice, en cinquième année des Beaux-Arts de Paris
© Solveig Burkhard
Konbini arts | Salut Solveig ! Raconte-nous un peu comment tu vis la crise sanitaire et la pandémie que nous traversons depuis un an.
Solveig Burkhard | Les conditions sont particulières pour tout le monde. Pour ma part, je pense avoir su développer des qualités d’adaptation que je n’avais pas forcément avant, pour contrer d’éventuelles angoisses ou l’ennui, tout simplement. Au début, l’école était tout simplement fermée. Je passais toutes mes journées dans mon atelier, donc tu peux imaginer que ça a été dur pour moi du jour au lendemain de ne plus pouvoir y aller.
J’avais organisé un concert à Tokyo et j’aurais aimé le réitérer à Paris, mais ça aussi, ça a été annulé. Je pense que, comme tout le monde, tous mes plans ont été bousculés, mais c’est comme ça qu’on apprend à faire de nouveaux plans. J’ai la chance d’être très bien entourée, donc pour ma vie sociale, ça n’a pas changé grand-chose. D’habitude, j’aime danser, rigoler avec des inconnu·e·s en club, j’aime les courtes interactions. Le coronavirus ne permet plus ce genre d’interactions mais finalement, on apprend à communiquer autrement. J’ai fait de très belles rencontres et noué des liens différents.
“Cette longue pause m’a permis de revenir grandie.”
Quel a été l’impact de la pandémie sur ton parcours estudiantin ?
La fermeture de l’école pendant le premier confinement a stoppé tous mes projets. Sans mon atelier, il était difficile de poursuivre ma pratique. J’ai donc décroché et j’ai trouvé un travail. Après, je suis partie à Berlin. Et c’est seulement quand je suis rentrée fin septembre que je me suis enfin retrouvée dans ma pratique.
Cette longue pause m’a permis de revenir grandie sur mes projets et, finalement, j’ai participé à une exposition collective qu’on peut actuellement voir aux Beaux-Arts de Paris du 3 au 14 février 2021. Je suis en cinquième année et, pour moi, le défi est de continuer à créer malgré les musées fermés, les horaires réduits de l’école : avant, j’allais à l’école de 8 heures à 22 heures, désormais nous sommes limité·e·s à 9 heures-18 heures. Mais tout va bien, je me suis assez vite habituée.
Quelles sont tes peurs et les grandes difficultés que tu traverses ?
Contrairement à beaucoup, j’ai quand même réussi à décrocher un CDI à temps partiel, je n’ai perdu aucun proche et je peux toujours accéder à mon atelier, donc je ne vis aucune grande difficulté et je n’ai pas d’angoisse spécifique. J’aimerais que les choses soient autrement, comme tout le monde.
“Créer dans la douleur et la difficulté, c’était déjà inhérent à ma pratique.”
Qu’est-ce qui te manque du monde d’avant ?
Les concerts, les musées, les clubs, les restaurants, les bars, marcher dans la nuit, danser avec des inconnu·e·s, en somme, tous les plaisirs sensibles qui sont maintenant difficiles à trouver.
Dirais-tu que cette pandémie a eu un impact positif sur certains aspects de ton mode de vie, sur ta créativité ?
Créer dans la douleur et la difficulté, c’était déjà inhérent à ma pratique. Je suis allée plusieurs fois dans la zone d’exclusion de Fukushima, et une fois dans celle de Tchernobyl. Marcher, peu dormir, mal manger avec un ennemi invisible autour de moi, ce sont des choses que j’ai déjà faites et qui ne m’effraient pas, au contraire, ça me nourrit. Je pratique également la sculpture de manière monumentale et j’ai l’habitude de m’épuiser, d’aller au bout de mes limites.
Pour organiser des soirées, si on veut malgré tout avoir une vie le jour, il ne faut jamais dormir le week-end, donc vivre dans la fatigue, c’est quelque chose que j’affectionne. Le coronavirus, c’est un peu comme tout ça : ça m’épuise de devoir toujours lutter pour travailler, de trouver la force en moi, malgré le fait que les inspirations soient plus rares et le temps de travail limité. Si on trouve la force, je pense qu’on peut accomplir de grandes choses. Ça m’a aidée aussi car j’ai vraiment pu me tester et comprendre que c’est vraiment ce que je vais faire toute ma vie.
As-tu fait de belles rencontres (en ligne ?) en rapport avec ton domaine dans l’année ?
Non, je rencontre ou retrouve de temps en temps des gens en ligne, mais la période n’a pas accéléré particulièrement mes rencontres. Dans la vie réelle, en revanche, je trouve que je suis plus attentive et curieuse des gens que je rencontre, étant donné que j’en rencontre moins.
“Mes certitudes de devenir artiste grandissent de jour en jour, et ça n’a fait que grandir pendant la pandémie.”
Quelle part ont joué les réseaux sociaux sur ton moral et ta créativité ?
J’ai eu l’opportunité de passer cinq mois à Tokyo, juste avant le premier confinement en France. Ça m’a beaucoup aidée de pouvoir rester en contact avec mes ami·e·s tokyoïtes, malgré la distance et l’impossibilité de leur rendre visite. Ça m’a aussi donné de l’espoir de voir que là-bas, les clubs et les bars rouvraient. Dès que les frontières rouvriront, je serai là-bas.
Comment appréhendes-tu la suite ? Est-ce que tu arrives à te projeter ?
Mes certitudes de devenir artiste grandissent de jour en jour, et ça n’a fait que grandir pendant la pandémie. Dès que le monde sera normal, à nouveau, je souhaite organiser des expositions, des événements, avec les gens que j’aime. Ce sont des choses que j’avais l’habitude de faire et dont j’ai perdu l’habitude pendant le Covid-19. Ça revient petit à petit.
À quoi ressemblera le monde de demain, selon toi ?
Aucune idée, mais j’espère que nous aurons tiré des leçons du présent et que nous ferons mieux les choses.
Dans dix ans, que retiendras-tu de cette période ? Comment raconteras-tu cet épisode de ta vie ?
Je pense que je serai heureuse d’avoir vécu ce moment et je pense que je me souviendrais qu’à ce moment-là, tout a changé.
Qu’est-ce que tu aimerais dire à ton toi d’il y a deux ans, avant la pandémie ?
Rien du tout, ça s’est passé comme ça devait se passer, et c’est bien que ça se soit passé comme ça. J’ai compris ce que j’avais à comprendre au moment opportun.
Quelque chose que tu veux ajouter ? Un message à faire passer ?
J’aimerais envoyer de la force à tou·te·s celles et ceux qui en ont besoin et j’invite les personnes nostalgiques des musées à visiter l’expo “CRUSH” aux Beaux-Arts de Paris, au 14, rue Bonaparte, jusqu’au 14 février 2021, où j’ai l’opportunité d’exposer.
Ornella Santucci, 25 ans, en première année d’illustration et animation à l’école de Condé de Toulouse
© Ornella Santucci
Konbini arts | Salut Ornella ! Raconte-nous un peu comment tu vis la crise sanitaire et la pandémie que nous traversons depuis un an.
Ornella Santucci | Il y a des hauts et des bas, mais moralement, je vais bien, en ce moment. J’ai eu d’autres périodes où j’ai commencé à douter de mon relationnel, de la perception des gens sur moi par manque d’interactions sociales. C’est plus ma vie sociale et mon côté fêtarde extravertie qui en pâtissent, j’arrive à voir des ami·e·s de temps en temps mais beaucoup moins qu’avant, donc il y a un impact sur ma santé mentale. C’est un peu dur de ne pas avoir d’interactions sociales réelles quand je le décide, mais après un an, je subis en essayant de trouver de la liberté dans mes créations, dans mon développement personnel, dans d’autres domaines qui me passionnent.
Finalement, cette pandémie commence vraiment à faire sortir une partie de moi qui est plus juste et vraie ; je m’expose de manière plus sincère car je veux vivre ma vie à fond. Mes projets sont toujours les mêmes : faire les Beaux-Arts et devenir l’artiste que je serai dans le futur. Je n’ai plus envie de niaiser. Le temps file mais, seulement, on ne peut pas le rembobiner comme une vieille cassette, et le confinement m’a permis de vraiment me concentrer sur mon but “ultime”.
“Je n’ai plus envie de niaiser. Le temps file.”
© Ornella Santucci
Quel a été l’impact de la pandémie sur ton parcours estudiantin ?
J’ai un parcours assez particulier : après mon baccalauréat, j’ai travaillé pendant cinq ans à Londres pour me faire de l’expérience et réfléchir à mon avenir, avant de revenir en France pour commencer mes études. Donc c’est un peu la faute à pas de chance : quand je me décide enfin à reprendre mes études, la situation est complexe.
Depuis le début de mon année : pas de journée d’intégration, masque obligatoire, pas d’interactions avec les autres classes, ce qui est plutôt logique au vu de la situation actuelle. Sachant que cette école a un rythme assez soutenu concernant le travail à fournir, il faut s’accrocher et apprendre à distance, à travers la plateforme que nous utilisons (Teams). J’ai cours en visioconférence, où mes professeur·e·s font des démonstrations pour nous apprendre les techniques, les enseignant·e·s sont aussi très encourageant·e·s, même si les notations sont exigeantes…
Apprendre à distance n’est pas un frein à ma créativité personnellement, mais plutôt une répercussion sur ma marge de progression qui ralentit car il n’y a pas un contact direct avec les professeur·e·s autant que lors d’un cours en présentiel. Aussi, il faut savoir se gérer assez rapidement seule, être organisée. Je me suis un peu perdue au début mais c’est bon, maintenant je gère. Pour ma part, je suis très motivée : j’ai envie de réussir, évidemment, j’ai eu des semaines où je ne me sentais pas de dessiner ou peindre, mais je finis toujours à me battre pour finir un projet.
© Ornella Santucci
Quelles sont tes peurs et les grandes difficultés que tu traverses ?
Mes peurs seraient de rester dans cette situation encore très, très, très longtemps… Ça commence à être long, là. Je souhaiterais, comme tout le monde, reprendre une vie un peu normale, car rester chez moi, que ce soit au niveau social ou scolaire, c’est pesant.
Qu’est-ce qui te manque du monde d’avant ?
Beaucoup de choses : voyager, rencontrer de nouvelles personnes, les musées, le cinéma, manger au restaurant, les concerts, sortir quand on veut, prendre nos proches dans nos bras, et j’en passe…
“Mon mode de vie a drastiquement changé depuis peu, il est plus sain, plus ordonné.”
Dirais-tu que cette pandémie a eu un impact positif sur certains aspects de ton mode de vie, sur ta créativité ?
Oui, malgré tout, je pense qu’il y a eu impact positif, ce n’était pas une évidence directe mais elle m’a permis de remettre en question mon mode de vie et ma créativité. Mon mode de vie a drastiquement changé depuis peu, il est plus sain, plus ordonné, j’emmagasine le plus de techniques et le plus de connaissances possibles pour enrichir mes travaux artistiques. Je me donne vraiment un temps de création tous les jours et je commence à apprécier beaucoup plus qu’avant des choses simples de la vie.
© Ornella Santucci
As-tu fait de belles rencontres (en ligne ?) en rapport avec ton domaine dans l’année ?
Oui, bien sûr, mais pas en ligne. Ma classe est constituée d’artistes différent·e·s et ce sont des personnes formidables ; on est tou·te·s dans le même bateau, ce qui fait que, malgré les groupes différents, nous sommes tous soudé·e·s et bienveillant·e·s. On essaie de se motiver mutuellement si l’un·e d’entre nous décroche et, aussi, de partager sur nos projets futurs ainsi que de rêver d’un avenir prometteur.
Quelle part ont joué les réseaux sociaux sur ton moral et ta créativité ?
Personnellement, Instagram est comme une bibliothèque géante, il y a tellement de contenus que c’est enrichissant et éprouvant à la fois. C’est bien pour s’inspirer, découvrir ou rencontrer de nouvelles personnes mais ça peut devenir toxique et une perte de temps, de mon point de vue.
Comment appréhendes-tu la suite ? Est-ce que tu arrives à te projeter ?
Avec espoir, je pense que même si on ne reviendra jamais au mode de vie d’avant (ce qui n’est pas plus mal), je suis plutôt optimiste et reconnaissante envers ce que la vie me donne au jour le jour. J’aimerais, en septembre prochain, pouvoir faire les Beaux-Arts d’Angoulême, Paris ou encore Bruxelles.
© Ornella Santucci
À quoi ressemblera le monde de demain, selon toi ?
J’espère que ce sera un monde plus tolérant et reconnaissant après cette longue épreuve. Un monde où les gens s’engageront beaucoup plus auprès des personnes rencontrant des difficultés financières ou de santé mentale, et pour l’environnement, qui est une priorité, pour ma part.
Dans dix ans, que retiendras-tu de cette période ? Comment raconteras-tu cet épisode de ta vie ?
J’espère que j’en rirai avec les personnes avec qui j’ai traversé cette période. Je ne me vois pas avec des enfants, pour l’instant, mais si j’en ai, j’amplifierai la période, histoire de leur faire croire que c’était une période épique alors que pas vraiment, en fait.
Qu’est-ce que tu aimerais dire à ton toi d’il y a deux ans, avant la pandémie ?
Entoure-toi de personnes créatives et positives.
Quelque chose que tu veux ajouter ? Un message à faire passer ?
Vivement que tout le monde – celles et ceux qui le souhaitent – soit vacciné, qu’on puisse sortir faire la fête et tester ces fameuses soirées étudiantes.