Dans ce film, il est beaucoup question de désir. D’où est venu, pour vous, le désir de faire ce film ?
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Mon envie était tout d’abord de réaliser un film de genre au Brésil. Un vrai film de genre, qui embrasse pleinement la fiction. Au Brésil, la télévision est tellement puissante qu’elle a presque le monopole de la fiction, comme si le cinéma devait, lui, être forcément réaliste. J’avais donc envie de réinvestir ce territoire de la fiction pure, de l’imaginaire.
Le film de genre est aussi, d’une certaine manière, devenu la propriété du cinéma nord-américain — on pense au film noir, aux films de gangsters, et à tous les autres. J’avais aussi envie de me réapproprier ces codes, et de les transposer au Brésil : à quoi ressemblerait un polar de série B sur un territoire complètement différent, avec des personnages brésiliens, des personnages jeunes, qui vivent dans une forme d’oppression. C’est pourquoi il y a ce motel, lieu emblématique des paysages brésiliens, et ces couleurs, qui sont très vives, et à l’opposé presque de la noirceur de l’histoire.
L’idée était donc de faire un film populaire, qui se réapproprie des codes, comme ces jeunes personnages se réapproprient un espace public disputé.
Le film est donc un thriller érotique, un genre qui en lui-même évoque la notion de danger et celle de désir. Pour vos personnages, le désir est-il synonyme de danger ?
On désire forcément ce qu’on ne peut pas avoir. Il y a toujours de l’interdit, de la tension. Pour moi, en étant gay, ou queer, le désir a toujours été lié à une forme de danger, donc peut-être que cela infuse dans ce film, et dans ces personnages.
Par ailleurs, le thriller érotique s’inscrit dans une tradition très masculine assez conservatrice. Je me suis posé la question – comment puis-je moi aussi parler du désir, à travers mon prisme, masculin aussi, mais forcément différent ? Comment réinterpréter ces codes d’une manière qui aille un peu à contre-courant ?
Évidemment, j’adore les films de De Palma, de Verhoeven, qui sont d’une liberté totale, mais je pense que c’est davantage le giallo italien qui m’a inspiré pour Motel Destino. Le giallo a quelque chose d’irrévérencieux, une sensation de liberté cinématographique, humaine, esthétique qui explose tout. Ça se ressent aussi, d’une certaine manière, dans les premiers films d’Almodóvar : ce sont des explosions d’irrévérence qui m’ont énormément marqué.
C’est d’autant plus inspirant aujourd’hui, alors que le monde est devenu plus conservateur. Le cinéma est forcément un reflet de ce monde – soit il s’y conforme, soit il essaie d’être un espace de liberté.
Vous mentionnez Almodóvar et le giallo, mais on pense aussi énormément aux films de Fassbinder…
Oui, mais c’est presque banal de le dire – Tous les autres s’appellent Ali est un des plus beaux films de tous les temps. Il paraît si simple dans sa forme, mais d’une complexité inouïe, et d’une incroyable profondeur. J’ai déménagé en Allemagne à cause de Fassbinder !
En tant que Brésilien, qui vient d’un pays tropical, j’ai été sidéré par la manière dont Fassbinder parle de la tristesse.
C’est aussi quelqu’un qui avait une grande urgence de vivre — il avait besoin de faire des films tout le temps. Chaque moment de sa vie était dédié à ses films, à ses pièces, à ses histoires. Il n’a pas le temps, il doit foncer. Les couleurs, chez lui, sont toujours superlatives, elles explosent, et cette urgence est quelque chose à laquelle je m’identifie beaucoup.
Vous parlez des couleurs, qui jouent un rôle important dans Motel Destino. Elles ne sont pas réalistes, au contraire, elles font tout pour mettre le spectateur face à l’artifice du film.
L’artifice est quelque chose qui m’intéresse énormément. Quand on vient d’un pays du Sud global, c’est comme si on était condamnés au naturalisme. Certains font ça très bien — mais ce n’est pas moi.
On est violents, urgents, colorés, on est messy, il y a un goût pour ça, pour le mélodrame ! Ça se retrouve d’ailleurs dans la télénovela et ses histoires invraisemblables. Le problème n’est pas la télénovela en elle-même, mais le fait qu’on en tourne 36 par jour.
Ensuite, je me suis posé la question — comment filmer des choses classiques d’une manière qui ne l’est pas ? Comment je peux filmer une plage pour qu’elle ait l’air dramatique ? Comment ce soleil d’hiver peut-il devenir oppressant ? C’est là que l’artifice devient utile et intéressant. Car il permet d’aller vers la fiction pure.
Le film, en tout cas, tranche avec votre précédent, Le Jeu de la reine. Comment approchez-vous des projets si différents ?
Je suis content que vous me posiez cette question. Je revendique cela comme un privilège — un réalisateur américain ne pourrait jamais faire ça ! Après, tout le monde m’a dit “tu ne peux pas faire un film comme Motel Destino après avoir fait tourner Jude Law et Alicia Vikander.” C’est précisément la raison pour laquelle j’ai voulu faire ce film avec encore plus d’envie.
Je n’aime pas qu’on nous catégorise dans un seul type de cinéma. Je viens de l’expérimental, des arts visuels, je ne veux pas me répéter et faire la même chose. On a le droit à l’incohérence, on a le droit à l’expérimentation ! C’est ennuyeux, en plus, une trajectoire toute droite, non ?
J’avais aussi envie de tourner avec des comédiens qui étaient à l’opposé des grandes stars hollywoodiennes que sont Jude Law et Alicia Vikander. Même si faire ce film était un rêve pour moi, un accomplissement, je voulais revenir vers des comédiens qui n’étaient pas des stars, qui n’avaient pas peur de ce que donnerait leur image, qui avaient envie d’essayer des choses.
Et ce n’est pas qu’une question d’expérience — un de mes comédiens est le Brad Pitt brésilien. L’actrice qui joue Dayana est une grande comédienne de théâtre. Au contraire, Heraldo n’avait jamais joué nulle part. Ça crée forcément un contraste, une énergie, et des accidents, et c’est ce qui est si jouissif à capter.
Le titre, Motel Destino, fait penser que les personnages sont prisonniers de leur destin. Est-ce que cette dimension tragique était importante dans la construction de l’histoire ?
Le motel est une arène classique du cinéma de genre, qu’il soit d’horreur ou autre. On pense évidemment au Bates Motel de Psychose. Mais au Brésil, ces motels ont une importance particulière. Ils ont explosé dans les années 1970 pour que les gens aient des endroits où faire l’amour à l’abri des regards. Ils sont le symbole d’une certaine hypocrisie — on est un pays qui a besoin de ces motels car l’espace public est dangereux. C’est aussi un espace de la guerre des classes, tout en étant une forme de prison.
Et je trouvais ça intéressant d’être dans les coulisses de cet endroit, d’observer de loin. Un peu comme dans Downton Abbey, où les domestiques observent leurs employeurs, mais version brésilienne ! On observe la vie de ces gens depuis l’envers du décor.
C’est donc un endroit où la dramaturgie est naturellement riche – à la fois par les codes cinématographiques qu’il convoque, et par son importance dans la culture brésilienne, de ce que ces lieux racontent sur les hypocrisies du pays.