J’ai souvent vu des figurines d’un petit bonhomme la tête couronnée d’un chapeau de paille traîner chez les copains de mes frères, beaucoup entendu le nom de Luffy revenir comme une référence chez mes propres amis et je croyais comprendre que One Piece était un truc qui durait depuis très longtemps et semblait ne jamais s’arrêter. Pourtant, je ne m’étais jamais trop arrêtée sur le sujet, ma culture manga se limitant aux anime de Naruto et Death Note. Jusqu’à l’arrivée de mon collègue François Faribeault, spécialiste du manga, chez Konbini. François a eu la bonne idée de débarquer en septembre dernier, juste à temps pour que je lui demande si, selon lui, le fait que Léna Situations parle du manga dans ses derniers vlogs d’août allait augmenter les ventes des ouvrages et, peut-être, changer la démographie de son lectorat.
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En substance, mon cher ami m’a répondu quelque chose comme : “Je n’en sais foutrement rien”, avant d’être frappé par un éclair de génie : “Et si, toi, tu te mettais à lire One Piece et que tu racontais ce que ça faisait de découvrir ça à 26 ans ?” Les mois passent (mon anniversaire aussi) et je me retrouve face aux 12 premiers tomes de l’œuvre de fiction la plus vendue de tous les temps, à 27 ans.
© Eiichiro Oda/Toei Animation
Tome 1 : À l’aube d’une grande aventure lecture
Je débute ma lecture déjà au courant, grâce à Léna et à Sofyan, que tout cela part d’une chasse au trésor lancée par le roi des pirates, Gold Roger. Le décor est planté, ça commence tranquillement, Luffy est petit, déter et n’écoute pas ce qu’on lui dit – tout ce que j’aime. Au bout de quelques pages, je comprends enfin pourquoi toutes les images que je connais de lui le montrent avec son chapeau de paille. La scène intervient après une grosse bataille. Luffy a (déjà) failli y passer face aux crocs d’un monstre marin. Les cases étaient noircies d’actions, de coups et de cris et d’un coup, le vide se fait autour de Shanks et Luffy. J’ai les yeux humides en voyant Shanks poser sur la tête du petit garçon, en larmes, son chapeau élimé. OK Oda, très fort, me rendre fragile après 10 minutes de lecture, c’est quelque chose.
Le reste du tome me permet de faire connaissance avec des personnages dont j’entendais les noms sans être capable de leur donner un visage. Ça m’énerve qu’ils mettent du temps à réaliser qu’ils doivent s’unir dans le même équipage. En même temps, ça dure depuis 1997 cette affaire, tu m’étonnes que l’auteur ait fait durer quelques situations.
© Eiichiro Oda/Toei Animation
Tome 2 : Luffy versus la bande à Baggy
Le tome 2 montre rapidement des combats, avec une bagarre entre les hommes de Baggy le Clown et Nami. Comme Nami, je me laisse berner à croire que Baggy vient de mourir sous mes yeux avant de découvrir que lui aussi a avalé un fruit du démon – qui lui a donné le pouvoir de fragmentation. J’avais déjà oublié que Luffy n’était sans doute pas le seul à être doté de pouvoirs donc j’ai hâte de découvrir les prochains rebondissements et les nombreux pouvoirs qu’a dû imaginer Oda depuis une vingtaine d’années. Surtout, j’adore le fait que leurs pouvoirs s’accompagnent de la pire faiblesse pour un pirate – celle de ne pas savoir nager – parce que c’est la vie, n’est-ce pas ? La découverte du Fruit du Gum Gum m’aide à comprendre pourquoi Gazo et Damso, entre autres, ont “le bras long comme Luffy”.
Les nouveaux personnages se succèdent, après Baggy, je découvre Morge le dresseur de fauves, Boodle le maire de la ville et Chouchou, le chien qui tient la garde de sa boutique tandis que son propriétaire est mort depuis trois mois. Grâce aux actes de Luffy et à Chouchou, je comprends que ce qui doit tenir en haleine le lectorat depuis tout ce temps, c’est l’ode à l’amitié que présente chaque nouveau chapitre. Luffy poursuit un objectif précis, mais son désir de richesse et surtout, de reconnaissance, s’accompagne d’une loyauté indéfectible.
Tome 3 : Une vérité qui blesse
COMMENT ÇA BAGGY TRANSPERCE LE CHAPEAU DE LUFFY ?? Tous des ordures (sauf Luffy). Dans le tome 3, on rencontre Gaimon, celui qui garde un trésor (vide) depuis 20 ans et s’est retrouvé coincé dans un coffre, pauvre de lui. J’aime bien quand l’auteur fait des flash-back et nous sort un peu de l’intrigue principale pour multiplier les récits.
© Eiichiro Oda/Toei Animation
C’est aussi dans ce tome que commence l’intrigue liée à Usopp et Mademoiselle Kaya. Je laisse échapper une inspiration de surprise quand je découvre la véritable nature du majordome. J’ai la haine contre Jango l’hypnotiseur avec sa vieille barbichette bicolore. Je suis désespérée quand, évidemment, personne ne croit Usopp ni ses trois petits. Bref, je suis piquée.
© Eiichiro Oda/Toei Animation
Tome 4 : Attaque au clair de lune
Un de mes autres trucs préférés de ma lecture, c’est les incursions d’Oda dans l’histoire. Quand il nous montre les premières planches de ses dessins, quand il nous explique le passé d’un personnage ou bien sûr, quand il répond aux “questions des lecteurs” ou SBS. Je déchante quand les questions tournent (à plusieurs reprises) autour des mensurations et du physique de Nami. Ses prouesses au combat, son intelligence et son indépendance ne suffisent pas à faire passer le test de Bechdel à l’œuvre (pour mémoire, le test est concluant si les trois affirmations suivantes fonctionnent : l’œuvre a deux femmes identifiables, qui portent un nom ; elles dialoguent ensemble et leurs conversations portent sur autre chose qu’un des personnages masculins).
© Eiichiro Oda/Toei Animation
En lisant sur le site The Library of Ohara que les SBS sont l’endroit où Eiichiro Oda “répond aux fans, allant de nouvelles révélations intéressantes à un nombre malaisant de blagues sexuelles”, je me dis que je ne suis pas seule. Mes collègues me rassurent : “Au début, One Piece, c’est très misogyne, mais ça se calme après.” Courage Nami, on ira mieux dans quelques tomes apparemment.
Tome 5 : Pour qui sonne le glas
Je pense que cet arc concernant Usopp, Kaya, Jango et Klahadoll est, pour le moment, mon préféré. Ça part dans tous les sens, ça se bat en même temps que ça complote, les équipes se divisent, le suspense est au max, bref, je suis dedans et je n’arrive plus trop à lâcher les pages. La “dissolution de l’équipage Usopp” accompagnée des visages, en gros plan, baignés de larmes du menteur et des trois enfants qui le suivaient me remet un coup au moral. On est obligé de devenir adulte comme ça ? C’est bon, j’ai compris que je lisais un conte initiatique, c’est pas obligé de me faire voir flou à tous les tomes non plus.
Tome 6 : Le serment
Je me rends bien compte que le côté “Quand on veut, on peut” de l’histoire, notamment sur fond de “Oui, je peux être un pirate même si je ne sais pas nager”, peut agacer mais, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, ça fonctionne sur moi. Peut-être parce que je ne sais pas enchaîner plus de quatre longueurs en crawl et que je me perds dès que je suis à plus de 50 mètres de chez moi mais que je m’imagine quand même, moi aussi, créer mon équipage et dépasser Grand Line.
Bon, il faut que j’avoue quelque chose. Par moments, je ne comprends rien aux combats. Il y a des bras, des jambes et des onomatopées dans tous les sens et je m’y perds. Par contre, j’adore les duels. Le combat entre Zoro et Mihawk là, ça me parle. Encore une fois, ce n’est peut-être pas si crédible que ça que le plus grand sabreur de tous les temps laisse la vie sauve à un gars justement parce qu’il est beaucoup trop fort mais c’est tellement honorable que ça me parle. Merci Mihawk, rase-moi cet horrible collier de barbe et tu es le meilleur.
Tome 7 : Vieux machin
Dans un des SBS, je lis qu’Eiichiro Oda travaille “avec quatre assistants qui s’occupent notamment des décors et arrière-plans”. “Chacun d’entre eux travaille trois jours d’affilée, en dormant sur place, dans mon atelier”, explique l’auteur qui a vu le premier chapitre de One Piece publié à ses 23 ans, en 1997. Sa première publication, sa nouvelle Wanted, avait été publiée cinq ans plutôt et lui avait valu de recevoir le prix Tezuka. Je lis qu’Oda Sensei a décidé de devenir mangaka à l’âge de quatre ans et ne suis pas très surprise en voyant qu’il est né un 1er janvier. Charbonneur, déterminé, monomaniaque : le gars ne pouvait être que Capricorne.
Sanji rejoint à son tour l’équipage du Chapeau de Paille et je comprends enfin pourquoi Still Fresh se décrit “clope au bec comme Sanji” dans “Filet-O-Fish”. Voyant comme il aime toutes les femmes qui passent sous ses yeux, j’espère qu’il ne va pas être relou avec Nami (Sanji, pas Still Fresh bien sûr) mais, en attendant, Sanji est dans la cuisine et on bouffe ce qu’il nous prépare – même si ça a sans doute le goût de tabac froid. Il semble être une bonne recrue voyant comme, à l’image de Luffy, c’est un idéaliste au grand cœur. Il sauve la vie de Don Krieg et ses hommes qui meurent de faim en leur préparant à manger. Une idée qui se retournera contre lui, mais on salue l’effort.
© Eiichiro Oda/Toei Animation
Dans ce tome 7, je lis que, comme moi, Eiichiro Oda, n’a “pas arrêté de pleurer durant tout le temps” où il dessinait “la scène sur deux pages dans laquelle Usopp annonce à ses amis qu’il dissout l’équipage”. OK, ça me rassure, si même “Monsieur Oda” pleure, je suis loin d’être seule.
Tome 8 : Je ne mourrai pas
Bon, j’ai bien l’impression que personne ne meurt dans One Piece mais je suis quand même inquiète : comment vont-ils faire pour se sortir de ce gaz toxique ? Et Nami, elle est passée où ? Au bout de quelques pages, Luffy se réveille et se décide à en finir avec Don Krieg. J’avoue, un frisson d’excitation me parcourt dès que je vois son visage en gros plan s’exclamer “Gum gum”.
© Eiichiro Oda/Toei Animation
Le combat dure sur de nombreuses pages et je me dis qu’en plus de la loyauté de Luffy, ce qui doit plaire aux millions de fans c’est bien la ténacité sans faille du pirate. Il impressionne celles et ceux qui le voient combattre par sa force (“C’est la première fois que je vois le capitaine à terre !” ; “Je n’en reviens pas… d’où il sort ce gamin ?!” s’émerveillent les hommes de Don Krieg), mais surtout par sa détermination : “Ce gamin-là n’a peur de rien… Il n’a aucune hésitation”, insiste Zeff qui décrit Luffy comme un “gamin qui ne craint pas la mort”. Ça doit être ça qui passionne les foules : Luffy nous fait croire que l’immortalité, c’est une question d’envie. C’est “la force de ses convictions, plus puissantes que la peur de la mort” qui lui permet ainsi de vaincre Don Krieg.
Tome 9 : Larmes
Comment ça, ce nouveau tome s’appelle Larmes ? Je ne suis pas sûre d’être prête. J’espère qu’on va en apprendre plus sur ce que Nami fait avec la bande d’Arlong et aussi, c’est quoi l’histoire avec sa demi-sœur ? Quand la navigatrice transperce Usopp je perds foi en l’humanité. D’accord ma puce, j’étais à fond derrière ton indépendance et ton besoin d’argent mais sérieux, Usopp ?? Heureusement, au bout de quelques pages, Luffy me fait revenir à la raison (“Nami n’aurait jamais tué Usopp !! Jamais tu m’entends ?!! On fait partie du même équipage !!”) et en voyant le menteur sur ses deux jambes, je capte qu’elle l’a plutôt sauvé de la mort qu’autre chose en poignardant sa propre main. Pardon d’avoir douté de toi, mon amie.
© Eiichiro Oda/Toei Animation
Le flash-back sur son enfance et sur ce qui l’a poussée à devenir voleuse de pirates m’achève. Quand le colonel Nezumi exige qu’elle remette à la marine “la totalité de son butin”, je suis outrée, tout comme la jeune femme : “Arlong et ses hommes tuent des gens et rasent des villes entières ?!! Il a réduit en esclavage tous les habitants de cette île !! Et au lieu de résoudre ce problème autrement plus grave… Vous venez faire la morale à une petite voleuse comme moi !! Vous croyez vraiment que c’est ça le rôle du gouvernement ?!!” Ouais ! Dis-leur, Nami : c’est la lutte des petites gens contre le grand capital, pourquoi les lois ne s’appliquent pas à ceux qui les fixent, partons manifester ! Le tome se termine sur Nami qui demande de l’aide à Luffy, ce dernier s’empressant de partir chercher Arlong. Les choses sérieuses commencent, j’ai hâte.
Tome 10 : OK, let’s stand up
En voyant Octy, Smack, Kuroobi et Arlong, je suis encore impressionnée par l’imagination du mangaka. Les cases s’enchaînent, les personnages s’accumulent et, malgré le noir et blanc, il parvient à trouver des nouvelles caractéristiques pour tout le monde, afin qu’on ne s’y perde pas. Mention spéciale aux nombreuses coiffures, moustaches et barbiches qui habillent les visages de ses protagonistes. Je ne serais pas étonnée qu’Eiichiro Oda soit passé par un CAP coiffure.
© Eiichiro Oda/Toei Animation
Je me suis complètement habituée aux scènes de combat. Dans le tome 10, les attaques Gum Gum se multiplient, les coups aussi. Luffy coule et ne survit, in extremis, que grâce à l’ingéniosité de Nojiko et Genzô. Je ne vois pas les pages défiler pendant que Sanji, Zoro et Usopp se chargent d’éliminer les hommes d’Arlong. J’attends, un peu fébrile, quelle “bonne idée” Luffy a bien pu avoir à la dernière case du tome.
Tome 11 : Le plus grand bandit d’East Blue
Enfin, Nami est libre et le village aussi. Son retournement de situation, sa dernière enjambée pour retrouver l’équipage et son vol des portefeuilles de tou·te·s ses concitoyen·ne·s m’enchantent : ça me plaît que le personnage féminin reste un peu mauvais et ne tombe pas dans une caricature stéréotypée de bonne samaritaine forcément plus douce que ses comparses masculins.
© Eiichiro Oda/Toei Animation
L’équipage me semble plus uni que jamais, Zoro récupère des épées à la hauteur de ses talents mais, évidemment, bien vite, tout vrille de nouveau. Face à Baggy le Clown et à Lady Alvida, Luffy risque le même sort que Gold Roger, à une vingtaine d’années d’écart. Heureusement, il est sauvé par une immense tempête qu’il semble avoir vue venir, comme en témoigne son dernier sourire. Je ne peux m’empêcher de me demander si, à l’exemple de Smoker, je vais finir par me lasser du fait que “le ciel en personne” ait l’air de tout faire “pour sauver la vie” du pirate élastique.
Tome 12 : Et ainsi débuta la légende
Je débute le dernier tome en ma possession – pour le moment. L’équipage s’enfuit de Logue Town et se retrouve, avec Laboon, dans une version revisitée de Jonas et la baleine alors qu’ils s’approchent de Grand Line. L’arrivée de Baroque Works annonce un nouvel arc qui s’annonce plein de rebondissements, d’autant que je remarque que des personnages peuvent disparaître pendant de nombreux chapitres avant de réapparaître, l’air de rien, pour notre plus grand plaisir.
© Eiichiro Oda/Toei Animation
Voyant que j’arrive à la fin de ces 12 premiers tomes, je poursuis mes recherches et réalise qu’Eiichiro Oda s’est marié en 2004 avec Chiaki Inaba, l’actrice qui avait joué le rôle de Nami dans Jump Festa deux ans auparavant. Ainsi, la fiction a rattrapé la réalité du mangaka. Je me demande à quoi ressemble sa vie actuellement et comme il doit être difficile de séparer les aventures de l’équipage du chapeau de paille à sa vie quotidienne. En levant les yeux de ma lecture, je remarque une fille dans le métro avec un sweat One Piece. J’ai l’impression qu’on est liées par quelque chose de grand et je me rends compte de la puissance méta de l’œuvre. Une fois qu’on rentre dans l’équipage, il semble difficile de quitter le navire.
Article rédigé dans le cadre d’une mise à disposition des 12 premiers tomes de One Piece par Glénat.