(© Yelawolf, via Facebook)
À voir aussi sur Konbini
Mars 2011, Yelawolf rejoint les rangs de Shady Records, le label d’Eminem – une alliance qui à l’époque apparaît comme une évidence. Sans parler de leur couleur de peau, il y a en effet plusieurs points communs entre les deux artistes : un père absent, une dépendance aux médicaments pour l’un et à l’alcool pour l’autre…
Depuis, les années ont passé et Yela a annoncé il y a quelques mois qu’il quitterait l’écurie Shady Records après la sortie de son album Trunk Muzik III, le 29 mars. À la sortie dudit projet, l’heure est au bilan. Un bilan mitigé pour l’artiste, car même si la validation d’Eminem lui a incontestablement permis de s’élever, Yelawolf n’est jamais parvenu à briller en dehors de la sphère indé. Pourtant, il a de sérieux arguments.
Qu’on se le dise, Yelawolf n’a rien d’un rappeur traditionnel. Déjà, dans sa dégaine, il ressemble plus à un cow-boy qu’à un mec du ghetto. Chapeau de desperado, veste en cuir, tatouages à foison, whisky, Chevrolet et autres fusils Winchester sont ses signes distinctifs. Il aime se dire “Slumerican”, un néologisme issu de la contraction des termes “slum” (taudis) et “American” : autrement dit, un gars issu des quartiers pauvres de l’Amérique profonde.
Musicalement, ce redneck d’origine cherokee est inclassable et a fait de la diversité sa carte maîtresse. En cela, celui qui s’identifie au loup est en réalité un véritable caméléon. En racontant des histoires sur la réalité de la pauvreté à la campagne, sa musique se donne pour mission de rassembler les gens et d’abolir les frontières entre les classes sociales, les ethnies ou les genres musicaux. Le tout, bien sûr, avec une technique au micro irréprochable.
Au fil de sa discographie, il a exploré de nombreux genres l’ayant influencé : le hip-hop brut sudiste sur sa brillante série de mixtapes Trunk Muzik, la country sur son EP Arena Rap ou ses albums Love Story et Trial By Fire, mais aussi et surtout le rock sur sa mixtape Stereo, qui rendait hommage aux classiques du genre.
De plus, ses capacités à pousser la chansonnette et à trouver des refrains fédérateurs lui ont même permis de s’ouvrir les portes de la pop et de la folk – on pense notamment à son projet commun avec Ed Sheeran et à un EP chanté en collaboration avec le producteur Jim Jonsin (deux franches réussites). Enfin, preuve qu’il ne se fixe aucune limite, on le voit aussi flirter avec le metal dans ses nombreuses collaborations avec le batteur de Blink-182 – Travis Barker, avec lequel il forme le duo Psycho White.
En définitive, Yelawolf est un hybride qui a su donner naissance à un son unique, libre de toute étiquette. Avec un tel bagage, il avait tout pour devenir l’une des stars du rap des années 2010. Sur le papier en tout cas, car dans les faits…
Les causes de l’échec
De son premier projet Creekwater à Trunk Muzik III, celui qui se fait appeler Catfish Billy a sorti pas moins de 18 projets depuis 2005. Malgré tout, il est clair que l’univers musical de Yelawolf, aussi riche soit-il, ne s’adresse pas à tous.“I’m too rock for hip-hop, too hip-hop for rock’n’roll, I’m too city for rednecks and I’m too country for city folks. But I don’t give a fuck what they want from me. I can only give ’em what I know”, balançait-il justement dans le refrain du morceau “Out of Control”, en duo avec Travis Barker.
Bien qu’il l’assume fièrement, sa versatilité a très probablement contribué au flottement de sa carrière. À vouloir trop jouer sur tous les tableaux, on prend le risque de ne pas trouver sa place. Yelawolf a bien fini par trouver une audience, mais il n’a pas réussi à conquérir le grand public, en dépit de ses talents indéniables.
Mais soyons clairs : il serait injuste de blâmer un artiste pour son audace. Yelawolf n’a jamais obtenu le succès qu’il méritait, mais cette injustice est surtout à imputer à son label. Si on compare Shady Records à TDE ou Dreamville (qui sont de loin les labels les plus influents de ces dernières années), on s’aperçoit que l’écurie de Marshall Mathers et Paul Rosenberg a du mal à être dans l’air du temps.
Le boss de TDE, Anthony Top Dawg, est aujourd’hui l’une des figures les plus influentes de l’industrie musicale, tandis que Kendrick est incontestablement la superstar actuelle du rap moderne et le monde entier a les yeux braqués sur le reste de son crew. Du côté de Dreamville, J. Cole a réussi à atteindre des sommets grâce à une stratégie calculée tout en discrétion, ses poulains J.I.D, EarthGang, Bas ou encore Cozz étant sur une pente ascendante. Plus encore, il s’apprête à sortir l’un des plus gros projets collaboratifs de tous les temps.
Pendant ce temps-là, Eminem semble avoir un train de retard et a clairement montré ses limites en tant que directeur artistique. En dépit des différentes collabs et des quelques “Cyphers” partagés ces dernières années, il n’est jamais vraiment parvenu à faire décoller ses protégés. Sa méconnaissance des réseaux sociaux et son côté “papi” du numérique le rendent au mieux sympathique.
Sa cuvée prometteuse “Shady 2.0 Boys” a même fait les frais d’une politique visant à rendre les artistes plus mainstream. La stratégie aurait pu être payante, mais dans les faits les premiers albums de Slaughterhouse et Yelawolf ont déçu le public et la critique, leur DA pop n’étant pas à la hauteur des attentes. Résultat : ni Radioactive de Yela ni Welcome To: Our House de Slaughterhouse n’a été disque d’or. Par la suite, Em a bien tenté de mettre ses acolytes sur un piédestal, via la compilation Shady XV, sortie à l’occasion des 15 ans du label, mais cela n’a pas suffi.
Le troisième album de Yelawolf, le somptueux Love Story, a connu un succès commercial appréciable, mais le rappeur a fait les frais de la stratégie marketing bancale de son label lors de la sortie de son album suivant, Trial by Fire, en 2017. L’idée était simple : profiter de la sortie du disque de Yelawolf pour disséminer les premiers indices du retour d’Eminem.
Le problème, c’est que les médias n’ont fait que spéculer sur le come-back du rappeur de Détroit. L’opus du MC de l’Alabama a donc complètement été éclipsé par l’aura de son mentor. Par conséquent, tout le monde est passé à côté de ce projet ambitieux entre rap et country.
Au final, Yelawolf n’a jamais vraiment eu besoin d’Eminem pour briller, comme le prouvent les sons qu’il a pu faire pour les labels Ghet-O-Vision et Slumerican. Peut-être est-ce pour cette raison que l’artiste a choisi de quitter Shady Records après la sortie de Trunk Muzik III.
Mais ne soyons pas pour autant pessimistes : en 2019, Eminem et Paul Rosenberg semblent mieux s’occuper des artistes qu’ils produisent. Dernièrement, Boogie a connu un succès retentissant avec son premier projet, Everything’s For Sale, et Conway, dernière signature du label (avec son frère Westside Gunn), a annoncé que sa première galette chez Shady Records sortirait en juin. In fine, même si Yelawolf part pour de nouveaux horizons, le label est promis à un bel avenir.
De son côté, pour réussir sa sortie, Yelawolf n’a pas chômé. Depuis trois mois, il s’emploie à dévoiler chaque semaine un freestyle. Le dernier en date, “Bloody Sunday”, dans lequel il clashe Post Malone et G-Eazy, lui a même offert un coup de projecteur non négligeable.
Avec Trunk Muzik III, l’Alabamien a tout mis en œuvre pour partir triomphalement, comme nous l’avait montré l’intro du disque et le single “Catfish Billy 2” le laissent entendre. En outre, il est déjà en route vers de nouvelles aventures et a confié avoir commencé à bosser sur son prochain disque : Ghetto Cowboy.