Au départ, il y a un manga. Une série adorée, culte, qui a des spin-off et dont il ne manquait plus qu’une adaptation live action. C’est désormais chose faite, grâce à un certain Yuzuru Tachikawa et voir Dai, l’apprenti jazzman qui veut être le meilleur musicien de Tokyo, prendre vie a quelque chose d’émouvant.
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Mais surtout, se pose vraiment la question : comment adapte-t-on un manga sur la musique ? Alors même que sur le papier, il ne peut, par définition, ne pas avoir de musique. On a posé quelques questions au cinéaste lors du dernier Festival d’Annecy sur ce sujet précis.
Konbini | Blue Giant est un manga très célèbre, vraiment porté sur la musique. Quelle liberté vous aviez sur la tonalité de celle-ci dans la version film ?
Yuzuru Tachikawa | Je ne dirais pas qu’il y a eu des contraintes spécifiques sur l’aspect musical de ce film. Les musiques sont composées par Hiromi Uehara, qui est donc compositrice et pianiste, et donc ce n’est pas une contrainte, c’est simplement une donnée de base. On savait qu’on allait travailler avec elle et elle a composé aussi bien les musiques qui sont des musiques d’arrière-plan, des musiques de la bande-son du film, que les morceaux qui sont joués dans les scènes de concerts ou d’autres partitions musicales par les personnages.
Donc on a construit ce versant musical du film en accord, en discussion avec elle, avec l’auteur du manga également, on a discuté ensemble avec les producteurs, etc. Donc on leur a demandé conseil régulièrement et on a bâti ensemble le versant musical du film de cette manière.
Vous êtes-vous entourés de spécialistes pour essayer de cerner au mieux l’univers et tous les détails qui l’entourent ?
Alors, au tout début, lorsque la production de ce projet a été décidée, j’ai commencé, moi, par m’inscrire à une classe de saxophone pour apprendre comment est-ce qu’on parvient à émettre un son avec un saxophone, j’avais besoin de représenter des personnages face à ce qui permet effectivement d’obtenir un son musical. Donc pendant un an et demi, j’ai suivi des cours de saxophone.
Pour ce qui est du piano, j’avais déjà appris dans ma jeunesse un petit peu, donc je savais en gros comment on fait, quels sont les produits qu’on touche. Je n’ai pas pris de nouvelles leçons de piano mais, par contre, pour ce qui est de la batterie de percussions, j’ai aussi suivi quelques cours parce que je voulais mieux comprendre à quoi correspondent ces mouvements, quelles sont les pauses qu’on prend lorsqu’on joue de cet instrument.
J’ai été impressionné par quelque chose qui peut agacer les musiciens et qui est évité ici : le placement des doigts, le souffle, tout semble réel. On imagine donc qu’il y a eu de la motion capture, d’où le fait que quand ils jouent, les personnages sont en 3D. C’était pour cette raison ?
Alors d’emblée, on a décidé de recourir à la 3D pour la représentation d’instruments de musique ou de personnages. C’était moins lié à une volonté de justesse par rapport au placement des doigts et de corrélation par rapport aux sons émis que pour des questions plus générales, plus larges, de dynamisme dans la mise en scène et notamment dans le travail de la caméra dans les mouvements de caméra. Donc ça, c’est une première chose.
Mais sur la véracité, justement, dans le recours qu’on a eu à la capture de mouvement, un des points difficiles était que, vous le savez sans doute, dans le jazz, l’une des caractéristiques de cette musique, c’est qu’il y a des morceaux ou des passages pour lesquels existent des partitions, et puis d’autres où on joue sans partition. Donc, quand nous, on a commencé à faire de la motion capture pour des scènes musicales et où certains musiciens vont se lancer dans un solo, il faut leur dire : “Refaites-nous le même pour qu’on puisse retourner”. On nous disait : “Ben non, ce n’est pas possible, on ne peut pas”. Donc on a été obligés pour les scènes de solos, de passer par tout un processus qui consistait à partir de la première prise, de faire appel à un spécialiste qui retranscrivait l’improvisation sous forme de partition, de manière à pouvoir ensuite solliciter un autre musicien pour une autre séance de motion capture qui, lui, allait pouvoir, sur la base de la partition ainsi retranscrite, reproduire le morceau.
Voilà, donc il y a tout un travail, une somme d’énergie assez considérable utilisée pour parvenir à reproduire l’improvisation musicale à répétition.
Pourquoi c’était important d’être respectueux sur ce processus-là ?
Alors, on voulait pouvoir positionner plusieurs téléphones portables tout autour des musiciens pour les filmer sous différents angles de près ou de loin pour une raison très simple : c’est que les animateurs qui ne sont pas musiciens, sans les images de cette nature-là, qui leur permettent de saisir les enjeux du mouvement, auraient été tout simplement incapables de savoir quelle forme donner au mouvement des musiciens qui jouent. Où est-ce qu’on place les doigts, justement, comment se place le corps, etc.
En tant que metteur en scène, quand on travaille sur une scène musicale, on peut imaginer que le personnage, à un moment donné, va se lever, où s’asseoir, etc. Mais à quel moment est-ce que c’est faisable ou pas ? On ne peut pas l’imaginer comme ça, juste dans le vide.
On a besoin physiquement d’une base et donc c’est pour vous dire que le fait de tourner des images de référence était de toute façon une étape indispensable. Alors après, bien sûr, il y a aussi des scènes lorsqu’il y a des moments un peu de paroxysme musical, des scènes où il y a eu des déformations, des effets de couleurs, de lumière qui prennent le dessus, qui deviennent profondes, où certains plans sont uniquement une forme d’effets spéciaux.
Dans ces plans-là, évidemment, on n’est plus dans la vérité puisque dans les attitudes du bout des doigts où tout est déformé et donc on n’a plus à se poser ces questions-là.
Le jazz a eu une place très importante dans l’histoire de la culture contemporaine du Japon. Diriez-vous que c’est encore le cas maintenant ? Ou le film n’est-il pas un peu juste hors du temps ?
Ce qui est sûr, c’est que le jazz a perdu aujourd’hui ce qui faisait sa force dans l’après-guerre lorsque cette musique a pénétré au Japon de manière très importante et qui était cette forme d’énergie très violente.
Aujourd’hui, quand on parle de jazz au Japon, on a l’image de musique très posée, très douce, comme on peut l’entendre dans certains cafés qui sont vraiment des musiques d’atmosphère. C’est l’image qui domine et c’est aussi un motif que l’on trouve dans la bande dessinée.
Lorsque Dai se voit poser la question de savoir qu’est-ce que le jazz pour lui, il dit : “Pour moi, le jazz c’est la passion et la violence”. Et les autres personnages sont complètement estomaqués. “Ce n’est pas du tout ça, le jazz.” Eux, ils ont cette image, une sorte de musique d’accompagnement et si on parle en termes de chiffres, de ventes de cette catégorie musicale qu’est le jazz au Japon, il n’est pas du tout dans la scène musicale japonaise. Aujourd’hui, c’est un genre majeur ou qui compte, mais les ventes sont rarement mineures pour ces disques-là.
Mais je crois que Shinichi Ishizuka, donc l’auteur de la bande dessinée lui aussi effectivement, cherche une façon de sortir le jazz de cette ornière ou de cette image très douce et très relaxante.