L’hiver 2008-2009 a façonné, à sa manière, la carrière de Booba. Il faut dire que les grands albums doivent beaucoup à leur contexte, et 0.9 sera toujours associé à la prestation “alcoolisée” de B2O lors du concert d’Urban Peace 2 (le rappeur avait jeté sa bouteille de Jack Daniel’s sur une foule hostile). Et ce même si le quatrième album solo du rappeur du 92 est arrivé dans les bacs le 24 novembre 2008, à quelques jours d’intervalle du Code de l’horreur de Rohff, son ennemi juré.
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Onze ans se sont écoulés depuis la sortie de 0.9, dont le titre fait référence au must de la cocaïne. Onze ans qui ont permis à Booba de devenir plein de choses à la fois : une star inamovible, une des plus influentes figures du rap français, un papa gâteau, et un redoutable homme d’affaires.
Mais surtout, il est aujourd’hui à la tête d’une impressionnante discographie de neuf albums solos qui ont tous marqué leur temps. Il est donc intéressant de revenir avec du recul sur 0.9, dont l’influence sur le rap français, que ce soit musicalement ou “businessement” parlant, est indéniable.
Visionnaire et précurseur
Sur 0.9, Booba rappe sous autotune. Une première dans le rap tricolore qui a divisé, à l’époque, les auditeurs français. Alors que certains ont crié à l’arnaque, regrettant que l’artiste se déconnecte des nostalgiques de “Temps mort” et “Panthéon”, d’autres n’y voyaient qu’une poésie incivile et un ego trip poussé à l’extrême.
Mais vu que le rap sous autotune était perçu comme une sorte de trahison pour le public de Kopp qui attendait, depuis deux ans, le retour du MC de Boulbi, il était difficile d’espérer un autre accueil du projet. Car peu importe que l’utilisation du correcteur de voix soit réussie ou ratée (elle n’est ni l’un ni l’autre), la question Booba transcende déjà ce genre d’enjeux. À la sortie de 0.9, on parlait au mieux d’un album novateur. Mais c’était bien plus que ça.
C’est le virage musical entrepris sur ce projet qui a fait passer Booba dans une autre dimension : celle du visionnaire, de l’avant-gardiste et du précurseur. 0.9 a contribué à redorer le blason d’un rap céfran qui s’était perdu en chemin. Que l’auditeur qui n’a jamais fredonné les punchlines de B2O sur des morceaux comme “Illégal”, “B2OBA” ou “0.9” nous jette la première pierre.
Car même si l’album s’est finalement vendu trois fois moins bien que son aîné, l’excellent Ouest Side, l’histoire retiendra plutôt que tous ceux qui ont tiré à boulets rouges sur 0.9 ont fini par changer le fusil d’épaule. Car très vite, tout le rap hexagonal a suivi les pas de Booba. Si, au début, l’utilisation de l’autotune était épisodique, elle s’est rapidement imposée comme une évidence dans le game.
Du simple refrain on est passé à des morceaux entièrement autotunés. À tel point qu’aujourd’hui, on n’est même plus surpris de l’existence d’artistes (Jul, Lartiste, Naps, PNL…) qui doivent leur succès à ce logiciel qui permet de chanter en mode R2-D2. Et la banalisation du correcteur de voix a, par ailleurs, sonné le glas des chanteuses R’n’B dans l’industrie puisque les MCs n’hésitaient plus à s’aventurer dans un univers chanté.
Un album classique
En se penchant sur l’autotune, Booba a aussi réussi à faire ce qu’il sait faire de mieux : innover, tout en respectant l’esprit de sa musique. Un pari qui s’est aussi traduit par un changement d’image puisque B2O s’est américanisé sur 0.9. Pour s’en rendre compte, il n’y a qu’à regarder la cover de ce projet de plus près : on y découvre le rappeur torse nu, tatoué, pectoraux et abdominaux tendus.
Dans ses clips, il s’affiche de plus en plus avec de grosses voitures, de belles filles et n’hésite plus à s’auto-célébrer à toutes les sauces. Et si, à l’époque, cette approche du rap était unanimement critiquée en France, elle a été finalement reprise par l’ensemble des MCs. Au calme.
Avec cet album, Booba prouvait aussi que l’écriture pouvait passer au second plan dans le rap céfran. Sur 0.9, une heure durant, il adoptait un phrasé plus simple et un flow nonchalant, sans trop s’éloigner de sa ligne musicale brute. Mais cette écriture paresseuse qui s’est imposée, au fil des années, dans la scène rap tricolore ne nous a pas empêchés d’écouter en boucle les morceaux du Duc. Comme si, au final, le bonhomme fascinait encore plus que sa musique. Ou que 0.9 était finalement une sorte de laboratoire où Booba testait ses nouvelles armes.
Aujourd’hui encore, 0.9 convainc par son audace et sa sincérité. En accord avec son temps, le projet certifié disque d’or a été reconsidéré par la plupart de ses détracteurs. Mais même si on apprécie le quatrième album solo du rappeur exilé à Miami, on lui trouve aussi des défauts.
On peut, par exemple, regretter que la tentative de single sur le morceau “Pourvu qu’elles m’aiment” n’ait pas été exploitée avec un clip. Et il est sans doute tentant de dire que 0.9 n’est pas l’album le plus abouti dans la richissime discographie de Booba, mais ce disque fascinant rappelle surtout que l’avenir appartient aux visionnaires. Plus que jamais.