Retour critique sur une année compliquée pour les comédies françaises.
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Faire rire n’est pas à la portée de tout le monde. Surtout au cinéma. Un gag, aussi potache ou incongru soit-il, doit revêtir les atours d’un bijou. Il mérite d’être soigné, pensé, bichonné, pour se dévoiler dans le plus beau des écrins. C’est un fait : la comédie est quelque chose de sérieux, de sacré presque.
Buster Keaton, Harold Lloyd ou Charlie Chaplin l’ont su d’emblée ; comme en atteste l’intelligente sophistication de leurs pérégrinations, où l’admiration et l’hilarité du spectateur valsaient et valsent toujours, joyeusement. Au fil des décennies, ils sont nombreux à avoir intégré que ce genre cinématographique se conjuguait à une approche rigoureuse, et qu’il ne fallait surtout pas le prendre à la légère.
Il faut de la réflexion, de la finesse – même dans le graveleux —, de la subtilité
Oui, la comédie, c’est du taf, de l’engagement. Et bien souvent, elle est malencontreusement bâclée, sacrifiée sur l’autel de la facilité, de la paresse ou de la recherche active du gain immédiat. En France, chaque millésime rivalise de ratages d’envergure, de longs-métrages écrits au bazooka, d’intrigues souffreteuses portées par des comédiens qui n’y croient pas vraiment (voire pas du tout).
Autant d’œuvres qui s’accumulent et s’entassent, interchangeables dans les mémoires car totalement incapables de laisser une ébauche d’empreinte, si ce n’est le souvenir d’un (très) mauvais moment. Histoire de ne pas passer pour le rabat-joie de service, il sera avant tout question, dans un premier temps, de louer les bienfaits de la comédie exemplaire du cru 2017, celle qui a tout compris, généreuse et pétillante : Le Sens de la fête.
L’exemple du Sens de la fête
Quiconque a découvert l’opus choral de la paire Toledano/Nakache (Intouchables, Nos jours heureux) aura du mal à contester l’extrême minutie de l’entreprise. Un scénario ramassé sur une temporalité d’une demi-journée, des dialogues ciselés avec l’aplomb d’un chef étoilé, des comédiens en parfaite symbiose, animés par une même énergie au service du récit, une mise en scène inspirée…
Avec Le Sens de la fête, les deux cinéastes ont tapissé de dorures le fronton de la comédie française (et populaire), prouvant qu’il était toujours possible, sur ce terrain ô combien caillouteux, de rassembler la critique et le grand public autour de personnages hétéroclites, fragiles et forts. En somme : un film d’une générosité estimable ayant su parler à nos zygomatiques autant qu’il a pu évoquer la société dans sa pluralité.
Hélas, on ne peut pas en dire autant d’autres films, surtout ceux qui ont tenté de s’emparer de sujets sociétaux. Avec Épouse-moi mon pote, l’avenant Tarek Boudali a par exemple eu la bonne idée (de départ) de surfer sur la légalisation du mariage pour tous pour écrire l’histoire d’un marocain en situation irrégulière priant son meilleur ami de l’épouser.
Sur le papier, l’idée était intéressante. À l’écran, le désastre était palpable. Incapable de se départir des nombreux clichés qui collent à la peau des gays, le scénario s’est vautré dans une locomotive de séquences navrantes, lesquelles ont transformé de vieux poncifs en arguments de marrade. La presse, comme les associations LGBTQ+, s’en est d’ailleurs fait l’écho, à juste titre, regrettant la perpétuation de lieux communs qu’il serait temps de combattre et d’ensevelir six pieds sous terre.
Des foudres similaires s’étaient abattues sur Gangsterdam de Romain Levy avec Kev Adams. On se souvient notamment de la une choc de 20 minutes, qui qualifiait l’objet de “film adominable”, l’accusant d’homophobie, de racisme, de sexisme et de faire l’apologie du viol.
Le spectateur téméraire y découvrait en effet une bagarre entre les héros en trip à Amsterdam et des prostituées, y entendait l’invraisemblable réplique du personnage Durex “Dehors on s’est mal compris, moi je parlais du viol cool, pas le triste ou ça chiale, ça crie, ça porte plainte”, sans oublier le “Allez Durex, fais pas ton pédé”…
Posons la question, bon sang ! À quel moment une telle vulgarité a-t-elle pu, ou su, échapper à toute une chaîne de décisionnaires ? Comment en arrive-t-on à croire que la moquerie ou la méchanceté gratuite font rire ?
Rire avec les autres, pas contre les autres
En chemin, certains scénaristes ont vraisemblablement oublié l’essentiel : en l’occurrence, le fait de rire avec les autres et pas contre les autres. Si Intouchables parvenait à produire des gags extraordinaires sur le handicap, c’est parce que ce risque était autorisé par un travail d’écriture au cordeau. L’autodérision et l’humour noir du personnage campé par François Cluzet permettaient justement le lâcher-prise.
Les Français riaient alors ensemble, avec Omar et François, avec Driss et Philippe. De même, cette année, avec le très bon Patients de Grand Corps Malade, dans lequel ce dernier raconte sa rééducation, le rire n’isole jamais, quand bien même il fait office de politesse du désespoir. Il en est ainsi plus fort, plus brillant et plus libérateur.
Soyons clairs : il n’est pas question ici de se poser en juge et d’assimiler les auteurs de films manqués à des xénophobes patentés, des homophobes et tutti quanti. Loin de là. Il s’agit de leur rappeler que, lorsqu’on s’empare de thématiques de société, il est important de procéder avec la bonne distance et un regard acéré, sans œuvrer à la va-comme-je-te-pousse.
On pense ainsi à Philippe de Chauveron, qui s’est défendu de toute forme de racisme avec À bras ouverts et sa représentation d’une famille de Roms. Son scénario fonctionnait pourtant sur l’empilement de clichés (encore eux). Le film “accumule une nouvelle fois les clichés nauséabonds”, écrivait Télérama tandis que Première jugeait l’ensemble “à côté de la plaque”.
“Nous aimerions bien pouvoir rire, mais la situation ne s’y prête absolument pas”, estimait pour sa part le collectif national Droits de l’homme-Romeurope.
Là encore, comme souvent, les réactions des acteurs ou des réalisateurs sont les mêmes : rappeler au tout-venant que les intentions, depuis le tout début, ne sont pas blessantes et se désoler d’avoir choqué l’opinion.
On peut rire de tout, c’est vrai. Mais en se devant d’être toujours vigilant, en évitant la schématisation, en s’abstenant d’attribuer à un ensemble d’individus des comportements ou des coutumes clés en main. La comédie sociale et populaire est, encore une fois, une affaire d’observation, de recul. Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri l’ont prouvé plus d’une fois avec, pour n’en citer qu’un, le formidable Goût des autres.
Dernièrement, c’est Fabrice Eboué qui s’est joliment distingué avec Coexister (sorti le 11 octobre), une vraie belle tentative de saisir le pouls d’une nation autour de l’épineuse thématique religieuse. En faisant chanter un imam, un rabbin et un prêtre au sein d’un même groupe, à la lumière d’une écriture qui écaille la bienséance, le trublion provoquait des rires importants, précieux, qui décrispaient et laissaient circuler un peu d’air entre nous. À l’instar également de Cherchez la femme, de Sou Abadi, qui se permettait d’oser et de titiller sur la question de l’extrémisme religieux.
Au-delà des œuvres précitées, à résonance sociétale, il serait fou de nier que la comédie française populaire actuelle affiche, dans sa grande majorité, une mollesse, une fainéantise et une inertie confondantes.
Leurs affiches se ressemblent, leurs bandes-annonces livrent l’essentiel de leurs pauvres vannes, leur écriture manque de tout. On cherche la facilité (allez hop, venez par-là Boule et Bill), on opte pour le copycat de concepts à la sauce américaine (Going to Brazil), on touille dans les grands contes qui rassemblent en prenant la boue (Les Nouvelles Aventures de Cendrillon), on lance des idées qui ne tiennent pas dix minutes (L’un dans l’autre, Si j’étais un homme) et qui se fourvoient dans une bêtise fondamentalement embarrassante, on mise sur une espèce de nostalgie en carton-pâte (Stars 80, la suite)…
C’est toujours la même histoire : une idée, souvent prometteuse, et très rapidement lestée d’une indigence problématique. On pense à Mes trésors, Bienvenue au Gondwana, Mon poussin, Daddy Cool, et j’en passe… En regardant 2017 à la loupe, on peut dire que la pire mauvaise idée a sûrement été celle de donner vie au bien nommé Bad Buzz, d’Éric et Quentin, les acolytes de Yann Barthès. Peut-être croyait-on là capitaliser sur l’image cool et hype de Quotidien, allez savoir…
Croyons en une comédie française intelligente
Il n’empêche que le résultat à l’écran a mis tout le monde d’accord, spectateurs comme critiques, tous effarés dans un même cri par la colossale imbécillité du récit. Comme pour Gangsterdam, le public a fait faux bond, prouvant que les producteurs prennent parfois des vessies pour des lanternes. Non, le spectateur fait parfois la part des choses de manière citoyenne. Et c’est très bien comme ça.
Le potache pour le potache, ce n’est pas drôle. L’accumulation de visages connus sur une affiche, ça ne gomme pas l’odeur du crottin. La France a droit à plus de comédies comme Le Sens de la fête. Il faut essayer, tenter. Si, par exemple, Il a déjà tes yeux n’est clairement pas exempt de défauts, Lucien Jean-Baptiste y déploie toutefois un vrai sujet sur le métissage et le vivre-ensemble.
Santa et Cie n’est pas le film de Noël ultime mais, bordel, il dégage une énergie tellement bienvenue dans un paysage de plus en plus compassé. Embrasse-moi est une formidable rom-com entre deux femmes, qui fait rire et sourire, avec cœur. Le Redoutable s’offre comme une enthousiasmante et légère parenthèse qui fait de Jean-Luc Godard une belle figure de comédie. Il y a du potentiel. Il y a encore l’espoir de ne pas être prisonnier de films insipides et stériles. Croyons en une comédie française intelligente et prospère. Exigeons-la. Et rions ensemble pour que demain soit meilleur.