Après plus de six mois de restauration, le public du Louvre a pu découvrir les vraies couleurs d’une icône mondiale de la peinture : La Liberté guidant le peuple de Delacroix, jaunie par des décennies de couches de vernis et de crasse. “On est la première génération qui va redécouvrir la couleur de Delacroix”, se réjouit Sébastien Allard, directeur du département des peintures du Louvre.
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Le tableau qui, en dehors du Louvre, a seulement pu être admiré à son antenne de Lens et au Japon en 1999, représente une allégorie de la Liberté : une femme aux seins nus brandissant la cocarde bleu blanc rouge sur une barricade au milieu d’insurgé·e·s, au cœur de Paris, réalisé par Eugène Delacroix en 1830.
“Jusqu’à présent, on perdait la richesse de l’intensité chromatique, les plans, les blancs, les ombres, tout cela était unifié sous ces couches jaunâtres”, souligne ce responsable qui a observé la métamorphose du tableau dans une salle du musée transformée en atelier de restauration.
Au fil du temps, huit couches de vernis ont été appliquées sur le tableau pour rehausser les couleurs avant de les noyer dans une masse jaune et terne, dans laquelle “crasse et poussière” ont aussi été emprisonnées, selon lui. La dernière restauration importante datait de 1949. Celle-ci a été réalisée dans le cadre d’une campagne lancée en 2019 pour les grands formats du XIXe siècle.
“Révélation”
C’est une “révélation”, dit M. Allard : des gris, noirs, bruns et blancs illuminent à nouveau la toile, de la fumée blanche sort des armes et de la poussière s’élève au-dessus des barricades, le ciel bleu surgit au-dessus des tours de Notre-Dame en arrière-plan comme tous les détails d’une histoire pleine de violence et d’exaltation.
“C’est un enchantement de voir apparaître sous le vernis une matière picturale en très bon état avec des touches vibrantes, on a l’impression d’être au cœur de la création”, dit à l’AFP Bénédicte Trémolières, l’une des deux restauratrices sélectionnées pour cette mission.
“Delacroix a dissimulé partout des petites touches de couleurs bleu-blanc-rouge parsemées de façon subtile comme en écho au drapeau et qui n’étaient plus du tout perceptibles”, ajoute sa collègue, Laurence Mugniot, en montrant “la pupille bleue avec une touche rouge” d’un personnage ou le “costume d’un garde suisse”.
À l’instar d’autres grands formats, l’immense toile (2,60 mètres de hauteur sur 3,25 mètres de largeur sans le cadre) n’a pas pu être transportée dans l’atelier du centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Pour évaluer l’ampleur des travaux, les spécialistes se sont appuyé·e·s sur “les archives et photos anciennes” et ont réalisé des “analyses minutieuses de la toile, passée aux infrarouges, rayons X et ultraviolets”, précise à l’AFP Côme Fabre, conservateur au département des peintures du Louvre, chargé du XIXe siècle.
Après Delacroix
Les restauratrices ont ensuite réalisé des “tests” sur d’infimes parties du tableau. Munies de loupes binoculaires et de microscopes, “elles ont notamment découvert que certaines retouches, dont une trace brune sur la robe de la Liberté, avaient été ajoutées après Delacroix et qu’on pouvait donc les retirer”, révèle-t-il. Le tableau est arrivé au Louvre en 1874. Il a toujours appartenu à l’État qui l’a acheté lors de sa première exposition publique en 1831.
S’il représente la révolution de juillet 1830, de nombreux sens lui ont été donnés : “la Révolution, Marianne, la République française, la France en général, repris abondamment sur des affiches, au moment de la Libération de Paris en 1944, sur des billets de banque ou des timbres”, détaille-t-il.
En 2019, l’artiste Pascal Boyart, qui signe PBOY, avait réalisé dans l’est parisien une fresque murale intitulée La Liberté guidant le peuple des gilets jaunes. Car “l’idée géniale de Delacroix, selon M. Fabre, c’est d’avoir réussi à représenter l’action collective en mouvement, qu’on n’arrête pas, avec des hommes fédérés autour d’une femme, qui incarne l’idée de Liberté”.