“J’ai dit que j’avais payé ma place […] et j’ai refusé de me lever.” Neuf mois avant Rosa Parks, le 2 mars 1955, Claudette Colvin a refusé de céder sa place dans un bus, un épisode méconnu mis en lumière dans une exposition immersive au Centre Pompidou.
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L’exposition en réalité augmentée propose, jusqu’à fin mai, de découvrir l’histoire de cette figure africaine-américaine alors âgée de 15 ans et oubliée du mouvement pour les droits civiques aux États-Unis, mené par Martin Luther King. Après Paris, elle doit être présentée à New York, à Montréal, à Taïwan et à Shanghai.
À Montgomery dans l’Alabama, État ségrégationniste où elle vivait, “lorsque le bus a descendu la rue principale, de plus en plus de passagers blancs sont montés et le conducteur a demandé de libérer les sièges”, s’est souvenu Claudette Colvin cette semaine lors d’une visioconférence avec des journalistes.
“Deux-trois stations plus tard, un policier m’a demandé ce que je faisais assise là. J’ai dit que j’avais payé ma place et que c’était un droit constitutionnel. J’avais plus que tout envie de le défier et j’ai refusé de me lever”, ajoute celle qui, à 83 ans, vit désormais à New York. Elle raconte que “l’Histoire l’a collée au siège”. “Ce sont Harriet Tubman et Sojourner Truth qui appuyaient chacune leur main sur mes épaules.”
“Pas peur”
“Je n’avais pas peur. J’étais adolescente”, ajoute-t-elle, disant avoir surtout craint que ses parents ne l’apprennent. Au Centre Pompidou, près de 70 ans plus tard, le public, grâce à des casques de réalité augmentée, débarque à Montgomery, où l’histoire des personnes noires réduites en esclavage leur est rappelée.
Des décennies après l’abolition de l’esclavage, dans la même ville, la tension est palpable. “Ça y est, vous commencez à vivre, à respirer, à penser comme un Noir de l’Alabama dans les années 1950”, commente en fond sonore Tania de Montaigne, autrice française qui a redécouvert Mme Colvin et raconté son histoire dans Noire, l’histoire méconnue de Claudette Colvin (publié aux éditions Grasset), qui donne son titre à cette exposition.
Circulant entre quelques murs, portes et bancs, le public côtoie les hologrammes de Claudette adolescente, ceux des membres de sa communauté, de Blanc·he·s et la ségrégation à tous les niveaux pour revivre la scène du bus, son arrestation et sa condamnation au tribunal.
Après avoir été la première à plaider non coupable pour de tels faits, Claudette Colvin est condamnée pour trois chefs d’accusation (trouble à l’ordre public, violation de la loi de ségrégation et agression sur représentant de l’ordre) et emprisonnée brièvement, puis libérée après le paiement solidaire d’une caution.
De nouveau condamnée en appel, elle est mise au ban par sa communauté après être tombée enceinte d’un Blanc. Claudette Colvin participera un an plus tard, en 1956, à une nouvelle action en justice avec trois autres femmes. Cette action, soutenue par la NAACP, organisation de défense des droits civiques, aboutira à l’abolition par la Cour suprême de la loi de ségrégation dans les transports publics.
Rosa Parks, couturière de 42 ans, qui connaissait la famille de Mme Colvin, répétera son acte de résistance en décembre 1955. C’est elle que l’Histoire retiendra. Claudette Colvin “ne lui en veut pas”, estimant que celle qui prendra la tête du boycott des bus de Montgomery avec Martin Luther King était “la bonne personne”.
“Elle ne parlera plus jamais de son passé”, quittera le sud du pays pour New York où elle travaillera comme aide-soignante. “À plus de 80 ans, elle a obtenu que son casier judiciaire soit effacé. Elle a gardé ses convictions contre vents et marées. C’est un exemple pour chacun d’entre nous”, dit Tania de Montaigne à l’AFP.
L’histoire de son héroïne a aussi été racontée en bande dessinée par Émilie Plateau (Noire aux éditions Dargaud) et dans une pièce de théâtre adaptée et mise en scène par Stéphane Foenkinos, à l’origine de l’exposition immersive du Centre Pompidou avec l’autrice Tania de Montaigne et le réalisateur et vidéaste Pierre-Alain Giraud.