Ça a été une tâche difficile : faire la synthèse des goûts de cinq personnes de la rédaction pour tenter de classer les longs-métrages de l’une des filmographies les plus regardées des années 1990-2000 est aussi ardu que de lutter contre la connerie dans le monde. Essayer d’établir une telle hiérarchie, c’est la possibilité de perdre des amis, de s’embrouiller avec sa famille ou de déclencher une guerre nucléaire.
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Car classer les longs-métrages de Tarantino, c’est se mettre à dos des communautés entières : les fans de Pulp Fiction, qui ne comprennent pas pourquoi il n’est pas premier, les tarés de Boulevard de la mort qui pleurent sa cinquième place, les nazis d’Inglourious Basterds qui attaquent tous ceux qui ont bafoué leur film de chevet, pendant qu’un autre de la même espèce crache sur Reservoir Dogs (“Parce que c’est une pâle copie de City on Fire de Ringo Lam“). Il était impossible de contenter tout le monde, mais à un moment donné, il a fallu trancher.
Là où pour le cinéaste, il est clair et net que son meilleur est son dernier, chez nous, ce fut plus complexe. Par souci d’équité, et pour arrêter un conflit grandissant en interne, on a réalisé une moyenne de tous nos classements individuels.
Alors que Kill Bill fête aujourd’hui ses 20 ans, voilà le résultat :
10. Les Huit Salopards (2015)
Le mauvais élève. Le seul film qui a su créer un consensus chez nous. Certains lui reprochent la première heure de balade dans la neige, longue et inutile. D’autres le trouvent trop lent, trop bavard ou trop répétitif. Bref, vraiment pas le meilleur de Tarantino.
Mais cette pièce de théâtre western en huis clos demeure un beau divertissement au casting incroyable (Samuel L. Jackson, Kurt Russell, Jennifer Jason Leigh, Tim Roth, Michael Madsen, Channing Tatum) et au twist, au final, très (trop ?) tarantinesque.
9. Kill Bill Vol. 2 (2004)
Kill Bill Vol.2, c’est une ouverture en noir et blanc, un massacre dans une église, une battante enterrée vivante, un œil arraché, un serpent qui saute au visage… En somme un deuxième volet placé sous le signe de la violence et un peu plus racoleur que son prédécesseur (qui reste bien meilleur).
Moins féministe que dans le premier, le cinéaste semble prendre moins de pincettes pour terminer ce portrait fort de son héroïne. En résulte ainsi une séquence d’entraînement avec Pai Mei qui ressemble plus à un jeu de domination qu’à un parcours d’apprentissage.
Pour ne rien arranger, en plus de clore les aventures vengeresses de Beatrix Kiddo, Kill Bill Vol. 2 marque aussi la fin de la collaboration entre Quentin Tarantino et Uma Thurman, sa muse. En effet, derrière le succès de ce diptyque qui a récolté plus de 150 millions de dollars au box-office, une anecdote tragique a été dissimulée pendant des années, envenimant les relations entre l’actrice et le cinéaste.
En cause ? Les pratiques du producteur Harvey Weinstein sur lesquelles Quentin Tarantino a fermé les yeux. Comme l’a expliqué Uma Thurman lorsque le scandale #Metoo a éclaté, l’actrice s’est gravement blessée pendant une cascade sur le tournage.
8. Kill Bill Vol. 1 (2003)
Le premier volet des aventures de la mariée à l’honneur bafoué, l’ancienne mercenaire à qui on a tout enlevé et à la soif de vengeance inégalable, est un bijou. Si au départ les deux Kill Bill ne devaient faire qu’un, le premier opus pourrait presque se suffire à lui tout seul. En se concentrant sur les motivations du personnage plus que sur son histoire, Tarantino offre à Uma Thurman un de ses meilleurs rôles, si ce n’est son meilleur.
C’est peut-être aussi la plus belle lettre d’amour que Tarantino ait pu pondre au cinéma de genre, de kung-fu, d’action, de combat, et même à l’animation japonaise avec la séquence absolument incroyable sur les origines d’O-Ren Ishii. L’équilibre entre les genres, qui permet des variations de ton et d’ambiance d’un chapitre à l’autre, donne la sensation que QT s’est plus amusé que jamais à se replonger dans ses vieux souvenirs de cinéphile fan des films de série B asiatiques.
Mais plus encore, il offre la séquence de combat la plus impressionnante de toute sa filmographie où, tout en jaune et à l’aide d’un sabre, Beatrix Kiddo massacre le gang des Crazy 88. Une longue séquence de presque 40 minutes qui nous offre le meilleur condensé possible du cinéma de Tarantino : des plans complètement fous et quelques plans séquences à la beauté rare, des hommages à foison, des dialogues parfaits, une colorimétrie sublime et une tension rare.
Peut-être que la BO de RZA y est un peu pour quelque chose, aussi.
7. Reservoir Dogs (1992)
Ce premier film est un hommage parfait aux films noirs français et américains des années 1950, ainsi qu’au cinéma asiatique des 80’s. Toutes les bases de l’œuvre de Tarantino sont déjà là : les dialogues futiles et interminables ponctués de coups de feu, la narration en forme de puzzle pour montrer les différentes facettes des personnages et des scènes cultes rythmées par des musiques choisies à la perfection.
Reservoir Dogs est un véritable film de genre qui ne fait pas dans la surenchère. La meilleure idée du film reste peut-être de parler uniquement d’un braquage qu’on ne voit jamais et d’en tirer un huis clos claustrophobe (un concept qu’on retrouvera par la suite dans Les Huit Salopards).
Tout est dans la tension entre les personnages et ce qu’ils pensent les uns des autres. Et même s’il emprunte quasiment scène pour scène le final de City On Fire de Ringo Lam, Tarantino joue à sa façon, comme s’il samplait une boucle de soul ou un break de batterie. Comme s’il produisait du hip-hop.
Dès ce premier film, la direction des acteurs est déjà impressionnante. Tarantino tord les images de Michael Madsen, de Harvey Keitel ou même de l’écrivain Ed Bunker comme il le fera plus tard avec John Travolta, Pam Grier ou David Carradine. Tout le cinéma de Tarantino prend sa source dans cette histoire, cette bande à part entre Nouvelle Vague et pop.
Un point de départ incontournable.
6. Once Upon a Time… in Hollywood (2019)
Rajouté in extremis à la programmation du Festival de Cannes 2019 et porté par un casting aussi glamour que légendaire, Once Upon a Time… in Hollywood avait tout du film évènement, avant même sa sortie en salles. Ce 9e film de Quentin Tarantino a un goût d’autant plus savoureux qu’il est l’avant-dernier long-métrage du cinéaste, obstiné à stopper la réalisation au terme de dix films.
Leonardo DiCaprio et Brad Pitt, dans la peau, respectivement, d’un acteur bientôt has been et de sa doublure cascadeur, nous projettent 50 ans en arrière dans un Hollywood prolifique mais bientôt assombri par les horreurs des disciples de Charles Manson, à savoir l’assassinat abominable de Sharon Tate, alors enceinte de Roman Polanski.
Si Tarantino exprime ici son amour du cinéma avec un grand C, voué à disparaître, avec une sincérité et une authenticité bluffantes, Once Upon a Time… in Hollywood est souvent victime de longueurs, notamment à cause de sa construction narrative éclatée.
Bien qu’il apporte une forme de renouveau à une filmographie souvent réduite à la violence, des soundtracks vitaminées et des personnages féminins ambigus, ce film divisera les fans, de par son propos différent – même si, paradoxalement, il reflète sûrement le mieux la définition d’un “film tarantinesque”.
5. Boulevard de la mort (2007)
Des courses-poursuites angoissantes, des pieds nus sur un tableau de bord et des discussions interminables dans les rues d’Austin, Texas : si nos souvenirs de Boulevard de la mort peuvent paraître aussi usés que la pellicule 35 mm utilisée par Tarantino, ils sont toujours aussi puissants en 2019. Sorti en 2007, le cinquième film de Tarantino est son plus accessible. Il y exprime toute sa nostalgie pour un certain cinéma de genre.
S’il a connu une sortie classique en France, Boulevard de la mort faisait partie, aux États-Unis, du double programme “Grindhouse”, avec le Planète terreur de Robert Rodriguez. Et si Kill Bill rendait hommage à la culture japonaise et Jackie Brown à la blaxploitation, ce long-métrage met sur un piédestal les cascadeurs hollywoodiens en les faisant se rencontrer à travers des traques motorisées endiablées et une vengeance impitoyable de la gent féminine, première victime des agissements du fameux Stuntman Mike, incarné par Kurt Russel. Ce dernier a d’ailleurs été choisi (après les refus de Stallone et Mickey Rourke) pour ses rôles d’antihéros dans les années 1980.
En résultent 110 minutes qui prennent à la gorge et donnent envie de mater The Driver en se prenant une bonne bière au Texas Chili Parlor. Boulevard de la mort illustre au détail près (on pense à cette fameuse pellicule érodée) comment Tarantino peut être créatif en s’aidant de références soi-disant datées.
4. Django Unchained (2012)
Django est aussi bien placé pour tout un tas de raisons. Déjà parce qu’on y trouve certaines des meilleures performances de toute la filmographie de Tarantino : DiCaprio se démarque en antagoniste de légende, Calvin Candie. Une prestation tellement intense pour l’acteur qu’il s’est ouvert la main pendant cette scène où il tape sur la table.
Ce film réussit surtout son pari de conjuguer le meilleur du cinéma de Tarantino. Les séquences comiques sont hilarantes, les vilains sont vraiment détestables (et du coup les tueries des méchants par les gentils sont foncièrement jouissives) et l’histoire d’amour est bien attendrissante. Tout fonctionne parfaitement, tout est calibré au millimètre près. On pourrait presque dire que c’est son opus le plus travaillé – mais on n’ira pas jusque-là !
Django Unchained est plus qu’un western : il est un film médicament pour nombre d’Américains. Voir un ancien esclave noir badass défoncer un des pires aspects de l’histoire des États-Unis dans un long-métrage centré sur la vengeance a quelque chose de jubilatoire. La suite idéale à Inglourious Basterds, donc.
Et puis, est-ce qu’il existe une scène plus tarantinesque que cette séquence absolument incroyable de la fusillade dans la maison où, dans un slow motion sublime, les balles sont tirées par dizaines, les effusions de sang arrosent les murs et les actions de Django sont toutes plus héroïques les unes que les autres – le tout accompagné d’un mash-up de James Brown et Tupac ? Probablement pas.
Et dire que Will Smith aurait pu jouer Django à la place de Jamie Foxx… Le film aurait eu une autre gueule.
3. Pulp Fiction (1994)
Pulp Fiction, c’est ce poster d’Uma Thurman sur un lit qui a regardé toutes nos chambres d’ados d’un œil goguenard alors qu’on était justement sur notre lit à se perdre dans ses yeux. C’est ce braquage, monté à l’envers, qui introduit une soundtrack parfaite qui aura marqué les années 1990 par sa coolitude – jusqu’à ce que les Black Eyed Peas commettent l’irréparable…
C’est cette scène où Samuel L. Jackson mêle dans un prêche endiablé les burgers, le système métrique et la justice divine. C’est Travolta, acteur revenu d’entre les morts, qui danse avec Uma Thurman façon Bande à part de Godard. C’est cette scène où Uma Thurman est sauvée par Travolta d’un coup de seringue. C’est (encore) Travolta qui tue sans faire exprès un mec, Marvin, et qui est obligé de demander de l’aide à Tarantino et Harvey Keitel. C’est (enfin) Travolta qui est éparpillé façon puzzle par un Bruce Willis attentif au pain de mie bien grillé. C’est une Palme d’or à Cannes, en 94, avec un Tarantino bien étonné par toutes ces louanges, lui qui est plus habitué à “diviser qu’à rassembler”.
Pulp Fiction, c’est LE film culte. Pulp Fiction, c’est le film d’une génération, mais pas seulement, tant son héritage cinématographique continue d’être aussi jouissif que rafraîchissant. Il résume à la perfection le ciné indé des 90’s.
2. Inglourious Basterds (2007)
En 2009, Tarantino s’attaque au genre des films de guerre – et plus particulièrement aux ultraviolents de la fin des années 1960, comme The Dirty Dozen, Play Dirty ou Where Eagles Dare : la guerre sale avec des salauds. Comme à son accoutumée, le réalisateur passe au mixeur des références pour en sortir un film à tiroirs, aux multiples émotions.
Ce qui marque un véritable tournant dans sa filmographie, c’est la gestion du langage. Tarantino a toujours été très bavard, adepte des dialogues à rallonge mais il ajoute une donnée supplémentaire dans Inglorious Basterds : le polyglotte Christoph Waltz. En parlant allemand, anglais, français et italien, le film devient un véritable ovni où la pression est omniprésente et le sens du réalisme est total.
Pourtant c’est aussi dans ce film que le réalisateur commence à réécrire l’histoire. Celle d’une vengeance fantasmée avec un humour noir dévastateur, jusqu’au final jouissif et presque ridicule. Tarantino joue avec l’image de certains acteurs comme Brad Pitt et sa mâchoire insupportable. Il transforme même son pote réalisateur Eli Roth en “ours juif”, adepte de la batte de baseball.
Avec Inglourious Basterds, Tarantino modernise son écriture à l’orée des années 2010. Un œuvre charnière.
1. Jackie Brown (1997)
Fasciné par la culture afro-américaine, Quentin Tarantino a grandi devant les films d’action noirs des années 1970. C’est à cette occasion qu’il découvre Pam Grier, une figure emblématique du féminisme noir — qu’il a aussi admirée dans les films de la blaxploitation. En lui donnant le rôle-titre de Jackie Brown, celui d’une hôtesse de l’air qui excelle dans l’art de la manipulation, le cinéaste a ressuscité la carrière de la vedette oubliée, en décollant une étiquette tenace qui limitait l’icône à exécuter aux mêmes genres de rôles badass.
Si Jackie Brown s’impose en tête du classement, c’est aussi pour sa BO aux accents soul, du morceau “Across 110th Street” de Bobby Womack à “Street Life” de Randy Crawford en passant par “Strawberry Letter 23” – sans oublier les répliques de Samuel L. Jackson et la dégaine de gros loser de Robert De Niro, qui venait tout juste de faire Heat et Casino.
Ce film policier à la narration non linéaire est le troisième film de Tarantino. Il est sûrement le moins populaire, mais il est le premier dans nos cœurs.
Classement établi par Lucille Bion, Aurélien Chapuis, Arthur Cios, Louis Lepron et Rachid Majdoub
Article écrit le 14 août 2019, mis à jour le 10 octobre 2023.