Célèbre pour ses sculptures filiformes souvent miniatures, d’abord surréalistes puis figuratives, Alberto Giacometti (1901-1966) s’est imposé comme un artiste moderne incontournable du XXe siècle. Jusqu’au 21 janvier 2024, le musée des Abattoirs de Toulouse et la Fondation Giacometti reviennent sur l’œuvre du sculpteur, peintre et dessinateur, de l’après-guerre à sa mort dans l’exposition “Le temps de Giacometti”. De notre côté, on se charge de vous raconter ce que vous ne savez peut-être pas (encore) sur le sculpteur, sa vie et ses amours.
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Sa dernière modèle était une prostituée nommée Caroline
Au cours de sa vie parisienne, Giacometti a fréquenté plusieurs bordels et s’inspirait des femmes qu’il y côtoyait pour créer les silhouettes longilignes d’après-guerre qu’on lui connaît. En 1960, il a entamé une relation passionnée avec une prostituée qui se faisait appeler Caroline (mais qui, officiellement, s’appelait Yvonne-Marguerite Poiraudeau).
Dès leur rencontre, elle pose de manière régulière pour lui et lui donne matière à poursuivre sa quête incessante de la représentation de la figure humaine. Annette Giacometti, qui tolère habituellement les infidélités de son mari, supporte moins bien la présence de la jeune femme. Celle-ci sera pourtant le dernier modèle de l’artiste, qui la fréquentera jusqu’à la fin de ses jours, en 1966.
Alberto Giacometti, Grande tête, 1960, Fondation Giacometti (© Succession Alberto Giacometti/Adagp, Paris 2023)
Il s’est embrouillé avec Pablo Picasso
En 2016, le musée Picasso de Paris inaugurait son exposition “Picasso-Giacometti”, centrée sur l’œuvre de ces deux grands noms de l’art du XXe siècle, qui étaient aussi amis. Les deux artistes, avec leurs 20 ans d’écart, apprennent à se connaître lorsque Picasso planche sur son mythique Guernica.
Ils partagent plusieurs points communs comme un père peintre les ayant familiarisés à l’art, leur regard sur le monde, des recherches similaires dans l’éclatement de la forme, une relation compulsive au dessin… Mais aussi de nombreux points de divergence : leurs ambitions, leur approche artistique… Parlant de leurs différences dans le travail, le critique d’art Olivier Cena qualifie Giacometti de “laborieux” et Picasso de “virtuose”. Dans les années 1950, une dispute refroidit les liens qui unissaient les deux artistes, qui s’en tiennent dès lors à un respect mutuel.
Il a survécu à un accident de voiture
Une nuit d’octobre 1938, Giacometti est renversé par une voiture à Paris, place des Pyramides. Blessé au pied, il est hospitalisé à l’hôpital Bichat et s’en tire avec une démarche boiteuse, une canne et des épisodes de vertiges à vie.
Alberto Giacometti, L’Homme qui marche II, 1960, Fondation Giacometti (© Succession Alberto Giacometti/Adagp, Paris 2023)
Cet accident, dont l’artiste parle “comme un choc électrique sur sa vie créative et personnelle” pourrait notamment avoir inspiré sa sculpture en bronze L’homme qui chavire, qui témoigne de son intérêt pour le moment de bascule. Dans son livre autobiographique Les Mots, Jean-Paul Sartre raconte l’accident de Giacometti et le situe place d’Italie, tout en prêtant au sculpteur des paroles que celui-ci nie avoir tenues de cette façon, ce qui jette un froid sur leur relation amicale.
Dans les années 1940, il a rétréci ses sculptures
Des années 1940 à 1945, alors qu’il s’est exilé à Genève pendant la Seconde Guerre mondiale, Giacometti travaille sur la question de l’échelle. Indépendamment de sa volonté, il ne crée que des sculptures minuscules, qui semblent presque sur le point de disparaître. “En 1940, à ma grande terreur, mes statues ont commencé à diminuer. C’était vraiment une catastrophe effroyable : je me souviens par exemple que je voulais reproduire de mémoire une amie que j’aimais, telle que je l’avais aperçue un soir boulevard Saint-Michel. Moi, je voulais la faire comme ça [sa main droite, armée de ses vieilles lunettes cassées, vient lourdement planer à 80 centimètres du sol]. Eh bien, ça devenait si petit que je n’arrivais plus à mettre aucun détail. Je n’y comprenais rien. Toutes mes statues, inexorablement, finissaient par atteindre un centimètre. Un coup de pouce et hop ! Plus de statue”, raconte l’artiste.
Sur un socle, celles-ci ne font plus que quelques centimètres et sont plus fragiles, comportent moins – voire plus – de détails… Une légende raconte qu’à la fin de la guerre, l’artiste a pu faire tenir l’ensemble de sa production dans six boîtes d’allumettes pour rentrer à Paris. Heureusement, ce dernier réussit finalement à inverser la tendance et à rallonger ses statues.
Alberto Giacometti, Femme de Venise I, 1956, Fondation Giacometti (© Succession Alberto Giacometti/Adagp, Paris 2023)
Il griffonnait ses idées sur les murs de son atelier
Après avoir grandi en Suisse et étudié les Beaux-Arts à Genève, c’est rue Hippolyte Maindron, dans le 16e arrondissement de Paris, qu’il s’installe pour travailler. Visiblement pas partisan de la papeterie, Alberto Giacometti préfère griffonner ses idées à même les murs. Son atelier représente “tout ce qui est inscrit à l’intérieur de [son] crâne”, disait-il à son ami, le marchand d’art et collectionneur Aimé Maeght.
Au-dessus du sol en terre battue, les murs sont bourrés de notes, de croquis et d’esquisses qui traversent l’esprit du sculpteur. Autant d’inscriptions qui confèrent à cette pièce d’une vingtaine de mètres carrés une dimension particulièrement intime, en plus d’en faire un lieu d’archives de son processus créatif.
L’exposition “Le temps de Giacometti” est à visiter jusqu’au 21 janvier 2024 au musée des Abattoirs de Toulouse.