Rencontre avec les Black Lips, pères d’une scène aussi punk que hippie. Après presque vingt ans de carrière, les membres continuent d’instiller leur “flower punk” dans les esprits.
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Déjà dix-huit ans de carrière et huit albums pour cette bande originaire d’Atlanta en Géorgie, qui continue de sévir sur les scènes rock du monde entier avec la même verve qu’à ses débuts. Si les pitreries des membres du groupe et la folie de leurs concerts leur valent parfois d’être qualifiés de “petits branleurs”, il n’en est rien. Les Black Lips savent ce qu’ils font et le font bien. Leur spécialité ? Le refrain addictif qui colle à l’esprit comme le chewing-gum aux semelles. De “Bad Kids” au plus récent “Can’t Hold On“, la magie Black Lips continue d’opérer.
1# Les débuts ont été difficiles
Les gens ont souvent dit que vous étiez des branleurs. Ils ont raison ?
Jack Hines | Non, on travaille beaucoup. On a peut-être été considérés comme tels à l’école et c’était le cas, mais lorsqu’il s’agit de ce qui est important pour nous, on a toujours été constants.
Vous avez été à l’université ?
Cole Alexander | Je n’ai même pas fini le lycée pour ma part. Je jouais déjà de la musique. Certains membres du groupe ont été à la fac, comme notre ancien guitariste Ian [Saint Pé, ndlr] et notre ancien batteur Joe [Bradley, ndlr]. Mais à cause du groupe, ils n’ont pas eu l’occasion de finir leurs études. Jared [Swilley, ndlr] et moi, on s’est fait virer de l’école parce qu’on se comportait mal. Je n’étais pas très bon à l’école.
Jack Hines | Moi non plus, je n’étais pas très bon à l’école.
Vous avez fait pas mal de petits boulots à une période…
Cole Alexander | J’étais plongeur à un moment.
Jack Hines | Je travaillais dans le bâtiment. J’ai aussi été charpentier, plongeur, valet…
Cole Alexander | Il a un long CV.
Jack Hines | Tu dois savoir mettre de l’eau dans ton vin dans cette industrie.
Cole Alexander | Particulièrement au début. Avant que le groupe marche, on était obligés de travailler la journée pour payer les factures.
Vous étiez doués en musique lorsque vous avez commencé ?
Cole Alexander | On n’était pas particulièrement bons techniquement parlant. On est devenus meilleurs au fil des années.
Jack Hines | Cela dit, ce n’est pas très important de bien jouer. Certains nous aimaient même quand on n’était pas très doués.
2# Ils ont la musique dans le sang
Quelle a été votre première rencontre avec la musique ?
Jack Hines | Quand j’étais enfant, j’étais souvent sur la route avec mes parents et on écoutait beaucoup la radio dans la voiture. Je me souviens surtout de Chuck Berry, The Turtles et The Beatles. J’adorais quand ça passait.
Cole Alexander | Je me souviens avoir été très excité lorsque Nirvana a débarqué. Entendre quelque chose d’aussi punk à la radio, c’était bouleversant.
Jack Hines | J’étais à fond sur les Ramones, aussi. Ça sonnait comme tous les anciens groupes, mais c’était une version sulfureuse, banlieusarde et moderne. Ça m’a tout de suite fait de l’effet.
J’ai entendu dire que vous aviez des musiciens dans votre famille ?
Cole Alexander | Pas moi. Mon père jouait un peu de guitare, mais c’est tout.
Jack Hines | Dans ma famille, on faisait de la country. Mon oncle était musicien et producteur. Mon grand-père avait une émission de radio dans les années 1950. C’était le plus jeune de l’époque à passer à la radio. La famille de Jared était dans le gospel.
Cole Alexander | Quand je vais dans les magasins d’occasion d’Atlanta, je vois les vinyles des Swilleys, groupe qui fait partie de la famille de Jared. C’est un classique de la région. Je possède quelques albums. Son oncle Duane Swilley est bon musicien aussi.
Vous avez trouvé l’inspiration chez des musiciens locaux ?
Cole Alexander | Outkast. Ils sont d’Atlanta. Ils ne font pas la même musique que nous, mais c’est toujours inspirant de voir un groupe de notre ville qui réussit bien. Otis Redding, James Brown, Little Richard, Ray Charles, Joe Tex, Lee Moses… Ils ne venaient pas tous d’Atlanta, mais étaient originaires de Géorgie. Ils ont laissé un riche héritage musical à la région. Il y a eu de nombreux disques de country dans les années 1920, comme ceux de Jimmy Rogers, et dans les années 1960, Nashville a pris la relève.
Jack Hines | Il y a un super groupe de rock’n’roll, les Subsonics, qui nous a beaucoup inspirés lorsque nous étions plus jeunes.
Vous avez eu du mal au début, ce n’était pas forcément payant d’être dans le groupe. Pourquoi s’être accroché aussi longtemps ?
Cole Alexander | On aimait particulièrement jouer de la musique et même si ça ne payait pas, c’était notre truc. On aurait continué quoi qu’il arrive. Au moins pour le kif.
Quand avez-vous compris que ça marcherait, cette histoire ?
Cole Alexander | Un jour, je suis revenu au travail après une longue période de tournée et quand je suis arrivé, on m’a dit “ne revient pas”. J’ai décidé de ne plus travailler et ça a marché.
3# Ils ont créé leur propre style musical
Vous avez créé votre propre style. C’est quoi exactement le “flower punk” ?
Cole Alexander | On a trouvé ça en rigolant, puis c’est resté. Notre musique était une version un peu hippie du punk rock, on se disait que ça collait bien. Ça désigne un genre de chanson qui sonne comme du rock psyché des années 1960, mélangé à du punk rock des années 70-80.
Vous diriez que ce style a changé depuis vos récentes collaborations ?
Cole Alexander | C’est vrai que la qualité d’enregistrement a changé depuis qu’on a travaillé avec Mark Ronson et Patrick Carney [des Black Keys, ndlr] mais notre style est resté le même.
Quelles sont les meilleures collab’ que vous ayez faites dans votre carrière ?
Cole Alexander | On a eu l’occasion de travailler avec GZA du Wu-Tang Clan. On a fait une chanson qui sonnait comme un de leur titre, il a écouté et a bien aimé. Il nous a fait un remix où il rappait sur notre instrumental. Je suis fan de ce groupe, c’était donc un grand moment pour moi.
Jack Hines | Notre dernière collaboration avec Sean Lennon et Saul des Fat White Family était très enrichissante.
4# Sueur, PQ et vomi, leurs prestations scéniques sont synonymes d’abandon et d’énergie juvénile
Vos prestations scéniques ont une certaine réputation. Vous avez beaucoup joué dans votre carrière. Quel était le moment le plus fatigant ?
Cole Alexander | À un moment, on a tourné quatre mois d’affilée et presque tous les jours. C’était la période la plus éprouvante de notre carrière. Je n’avais plus de voix à l’issue de la tournée. Maintenant, on essaie de prendre des pauses. Une semaine par-ci, une semaine par-là. On essaye d’étaler nos concerts pour moins se fatiguer.
Vous avez vraiment joué douze fois à la même édition du festival South by Southwest ?
Cole Alexander | Oui, on a voulu jouer quatorze fois ou un truc comme ça. Ça a bien marché. À l’époque, les gens ont pas mal commencé à parler de nous. Les groupes ont suivi notre démarche après. Ça le fait toujours d’avoir la presse à l’usure avec une quantité de concerts impressionnante. Je vois de plus en plus de groupes faire ça aussi.
Vous aviez dit que vous vouliez être divertis lors des concerts auxquels vous assistez. Qu’est-ce qu’un bon show d’après vous ?
Jack Hines | J’aime quand ça sonne bien, quand il y a du théâtre, de l’énergie et de l’interaction avec le public.
Cole Alexander | J’aime quand l’artiste investit la scène. On est ami avec Ian Svenonius, qui faisait partie du groupe The Nation of Ulysses. En ce moment, il a nouveau groupe qui s’appelle Chain and the Gang. On a tourné avec lui et il sait vraiment ce qu’il fait. Il sait communiquer avec le public.
C’est quoi le pire que vous ayez fait sur scène ? Le moment le plus épique que vous ayez vécu lors d’un de vos concerts ?
Jack Hines | C’est compliqué de les classer. On s’est pas mal bagarrés.
Cole Alexander | Difficile de se souvenir de tout. Pour moi, c’est un peu flou. Il y en a eu tellement.
Vous pouvez nous parler un peu de l’ambiance qu’il y a sur scène quand vous jouez ?
Cole Alexander | Le papier toilette qui pend partout, c’est notre déco. Et puis je vomis pas mal, parce que j’ai des reflux gastriques. Quand je mange trop avant un concert, j’ai des soucis d’estomac.
Jack Hines | C’est un peu une célébration de l’abandon juvénile. Un concert des Black Lips, même depuis la scène, c’est un peu la sensation des soirées qu’on pouvait avoir quand nos parents n’étaient pas à la maison lorsqu’on était plus jeunes.
Vote côté “bad kids”, c’est un masque ou vous êtes comme ça dans la vraie vie ?
Cole Alexander | Il y a une façade rock’n’roll qui relève un peu du monde imaginaire. On ne vit pas sur scène comme dans la vie. Il faut faire le show et qu’il soit chaotique. Notre vie n’est pas comme ça.
Y a-t-il un groupe dont vous rêvez d’atteindre le degré d’étrangeté sur scène ?
Cole Alexander | J’aime beaucoup Quintron and Miss Pussycat. Leurs concerts sont de véritables spectacles de marionnettes psychédéliques. Une expérience unique pour le spectateur. Sinon, on partage le même esprit que les gars de Fat White Family, ils font souvent dans le bizarre. Leur abandon insouciant nous fait penser qu’ils sont nos petits frères anglais. Pendant longtemps en Angleterre, nous ne pouvions nous identifier à aucun groupe, mais ça a changé.
Jack Hines | Notre bon ami King Khan, lorsqu’il est avec BBQ Show, réussit toujours à créer une bonne atmosphère. Et puis c’est le roi des costumes délirants.
Vous avez des anecdotes à nous raconter ?
Cole Alexander | À Portland, les gens nous jetaient des bouteilles à la figure. Ce n’était pas un moment agréable. Mais ça a rendu le concert plus intéressant. C’était un mal pour un bien.
Jack Hines | Je me souviens d’un concert où Cole a vomi dans sa main puis a jeté la substance sur la foule.
J’imagine qu’il y a des scènes que vous avez plus détruites que d’autres ?
Cole Alexander | Ça nous est arrivé de mettre le bazar pas mal de fois. À Miami, notre public a vraiment retourné un club. Mais l’organisation du lieu était sympa, les organisateurs n’ont pas trop râlé.
J’ai entendu dire que vous avez eu des soucis lors de votre tournée en Inde. Que s’est-il passé ?
Cole Alexander | On a joué pas mal de concerts. À l’un d’eux, j’ai montré mes fesses puis on s’est embrassés avec Ian, ce qui n’a pas plu du tout. Ils sont assez stricts niveau pudeur là-bas. On a eu peur qu’on nous arrête. On nous a envoyés à Chennai. Tous nos concerts ont été annulés lorsque l’un de nos promoteurs a appris ce qu’il s’était passé. Sauf que les promoteurs se sont dit qu’on risquait de ne pas les payer puisqu’on ne finissait pas la tournée, donc ils ont pris nos passeports en otage. On a galéré pour qu’on nous les rende, parce qu’on n’avait pas d’argent à leur donner. On a dû rentrer plus tôt.
C’est vrai que vous étiez les premiers à jouer au Moyen-Orient ?
Cole Alexander | Je crois qu’on est le premier groupe occidental à jouer pour les locaux dans ce coin du monde, oui. D’autres groupes ont joué pour les militaires américains avant nous, mais nous on a joué pour les gens. C’était en Irak, on n’avait pas eu trop de soucis, parce que contrairement aux autres régions du Moyen-Orient, il y a un mélange des religions judéo-chrétiennes et islamiques. Les gens sont assez ouverts.
5# Ce sont des inventeurs
Dans un communiqué de presse, j’ai vu passer qu’à une époque vous aviez créé une machine à émettre des odeurs ?
Cole Alexander | On voulait marquer le show par une empreinte olfactive, donc on a décidé d’investir dans une machine qui produit différentes odeurs. On a aussi fait des cassettes parfumées. Les gens se souviennent bien des odeurs généralement. Mais on a dû abandonner l’idée lorsqu’on a perdu la machine, elle était chère en plus. Une fois, un Français nous a donné des phéromones qu’on a mises dans la machine et ça sentait plutôt mauvais, comme dans un vestiaire de salle de sport. Ça n’a pas très bien marché, ça en a fait vomir quelques-uns. En revanche, je pense que ça a excité la salle. Je me souviens de certaines filles qui avaient l’air particulièrement sauvages lors de cette soirée.
Vous avez aussi créé un cocktail…
Cole Alexander | Le grand frère de Ian a créé un cocktail infusé d’herbes aphrodisiaques brésiliennes et de compléments alimentaires. On a donné ça à notre public à un moment. Ça n’a pas duré très longtemps. Ce n’était pas très bon.
Vous aviez une permanence téléphonique à un moment…
Cole Alexander | Oui. On était joignables en tournée. On pouvait parler à notre public, c’était chouette. Les gens appelaient tout le temps. Un mec suicidaire nous a appelés une fois, on a essayé de lui remonter le moral et de lui changer les idées.
L’album Satan’s Graffiti or God’s Art est sorti le 5 mai dernier. Les Black Lips seront au Trabendo à Paris le 13 novembre prochain, puis en tournée dans le reste de la France (le 14 au Stereolux à Nantes, le 15 au 106 à Rouen et le 16 au Grand Mix à Tourcoing).