Après deux premiers albums excellemment reçus par la critique, dont le génial Lonerism en 2012, qui ont fait de Tame Impala une référence mondiale du rock psychédélique, le “groupe” est de retour en 2015. La formation – derrière laquelle se cache en réalité le travail solo du virtuose Kevin Parker – dévoile le 17 juillet 2015 son troisième album studio, Currents. Un disque majeur des années 2010, que l’on retrouve bien entendu dans notre sélection des soixante albums les plus marquants de la décennie écoulée et qui va rester gravé dans l’histoire de la musique contemporaine.
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Pourtant, la sortie s’est fait attendre. Prévue plus tôt dans l’année, la livraison de ce nouveau projet est décalée. Toujours un peu de retard, c’est le prix à payer pour le perfectionnisme systématique de Kevin Parker — bien que lui ne se considère pas comme tel. Car pour ce nouvel effort, le musicien australien ne souhaite pas reconduire le rock psychédélique qui a fait sa réputation et ainsi offrir une sorte de Lonerism 2.0 à des fans qui n’en demandent guère plus : il veut faire danser les gens.
Acceptation totale de la pop
Pour cela, il va décloisonner un peu plus sa conception, s’ouvrant à d’autres registres, notamment grâce à l’influence de Mark Ronson avec lequel il venait de collaborer quelques mois plus tôt. Fini le rock, place à la pop – dans le sens noble du terme.
Avec Currents, l’artiste redonne ses lettres de noblesse aux influences eighties, avec une utilisation massive des synthétiseurs en lieu et place des guitares caractéristiques des premiers projets. Le challenge est osé, le risque est grand.
D’autant plus que le musicien australien va encore plus loin dans l’élaboration de l’album. Déjà habitué à écrire, enregistrer, interpréter et produire seul la musique de Tame Impala, il va cette fois-ci prendre à sa charge le mixage des morceaux pour la première fois. Un mix qu’il a d’ailleurs décrit comme “une torture” par la suite. Il faut dire que Currents est un disque immensément complexe. Les effets sur la voix sont encore plus prononcés et minutieux. Les batteries, plus précises que jamais. Un “grand bordel” pour Kevin Parker, une harmonie parfaite pour l’auditeur. Le résultat d’un travail acharné, isolé dans son studio de Fremantle en Australie, entre les fumées, verres d’alcool et psychotropes en tout genre.
Alors âgé de 29 ans, il s’approprie encore plus le concept d’album à part entière. À l’image de sa magnifique pochette hypnotisante que l’on doit à l’artiste américain Robert Beatty, Kevin Parker offre un son électropop psychédélique qui narre le changement, l’évolution. Un album de rupture diront certains au moment de la sortie de Currents, tant dans le son, lancinant et parfois hallucinatoire, qui abandonne ses racines rock pour embrasser l’électropop (mais aussi le disco et le R’n’B), que dans son discours.
Pendant le processus d’écriture de ce disque, Kevin Parker se sépare de la musicienne française Melody Prochet. Même s’il a déjà eu le temps de concevoir le splendide tube “Let It Happen” dans l’un de nos bien aimés RER, il a ainsi dû quitter Paris – il avait utilisé une photographie du jardin du Luxembourg pour la cover de Lonerism – pour concevoir tout son nouveau projet dans son Australie natale.
Une phase de sa vie qui se traduit dans le discours de Currents. Méditatif, l’ermite de studio introverti livre un voyage intérieur, offre une réflexion introspective. Il y expose tous les défauts de son caractère et narre son propre changement d’une limpidité stupéfiante. Jamais vraiment lumineux, jamais vraiment sombre, l’album marche habilement sur un mince fil entre optimisme et pessimisme.
Un album hyper influent
En résulte un chef-d’œuvre, qui va connaître un très beau succès dans les pays anglophones, que ce soit l’Australie natale du groupe, le Royaume-Uni ou bien les États-Unis, avant de conquérir le monde entier. Kevin Parker devient alors une référence absolue pour les musiciens du monde entier. Car si Currents est probablement toujours le meilleur album de Tame Impala à ce jour, il est aussi incontestablement l’un des plus influents de la décennie.
L’album avait tout d’un succès annoncé depuis la sortie du single “Let It Happen” en mars 2015, même si Kevin Parker considérait le projet comme “inécoutable” encore quelques jours avant sa sortie. Suite à la parution du disque, c’est le brillant “The Less I Know the Better” qui devient le titre le plus plébiscité de sa discographie, alors même qu’il ne figurait pas parmi les quatre singles.
Un an plus tard, la superstar Rihanna s’offre son outro grandiose “New Person, Same Old Mistakes” pour son album Anti. La Barbadienne reprend le titre à l’identique sous le nom “Same Ol ‘Mistakes”. L’instrumentale est la même, seule la voix de l’Australien est substituée par celle de Riri. Pourquoi vouloir changer la perfection ?
En s’émancipant progressivement des influences rock, avant de les abandonner définitivement sur son dernier effort paru en février dernier, l’obsédant The Slow Rush, qui figure d’ores et déjà parmi les meilleurs disques du cru 2020, Kevin Parker a démontré l’étendue de sa dimension artistique.
Malgré le fait que Currents ait pu bousculer les fans de la première heure, le maestro australien franchit brillamment le pas. Le succès de l’album est avant tout le couronnement de l’un des artistes les plus créatifs de sa génération, qui va également devenir l’un des plus convoités dans les années suivantes : Kanye West, Travis Scott, A$AP Rocky, Lady Gaga, The Weeknd… tous se l’arrachent.
Il est étonnant de constater que l’artiste a parfois quelque peu rejeté ce projet. Comme si, celui qui semble déjà cacher son génie derrière un groupe qui n’en a que le nom et les prestations scéniques, n’assumait pas totalement l’engouement populaire pris par Currents au fil des mois.
Avec le temps qui passe, il semble toutefois s’être réconcilié avec ces treize titres qui vont rester dans l’histoire de la musique. Grâce à Currents et son inventivité permanente, Kevin Parker a fait progresser la musique avec une incroyable fluidité.