Comme chaque année, Konbini tente de répondre aux sujets du bac philo à l’aide du septième art. Au désir, au travail et à l’histoire, on a répondu en s’appuyant sur Inception, Wall-E ou encore Orange mécanique. Bisous au ministère de l’Éducation.
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Sept cent mille, c’est le nombre de lycéens qui ont eu les mains tremblantes lorsqu’ils ont reçu sur leur bureau, ce matin, les intitulés de la première épreuve du bac. Au programme, comme toujours, la philosophie. Et cette année, le programme était chargé pour les sections S, ES et L :
- Série L :
– Nos convictions morales sont-elles fondées sur l’expérience ?
– Le désir est-il par nature illimité ?
- Série S :
– Travailler moins, est-ce vivre mieux ?
– Faut-il démontrer pour savoir ?
- Série ES :
– Savons-nous toujours ce que nous désirons ?
– Pourquoi avons-nous intérêt à étudier l’histoire ?
Chez Konbini, pour la troisième année consécutive, on continue notre exploration des sujets de philo à travers cette bonne vieille culture cinématographique. On a donc fait venir George Miller pour répondre à la question du désir ou invoqué Tom Cruise, coincé dans une matrice temporelle mortifère, pour souligner l’intérêt d’étudier l’histoire. Allez, c’est parti.
Nos convictions morales sont-elles fondées sur l’expérience ?
Dès notre plus tendre enfance, on apprend les grands principes moraux censés guider notre vie. Nos convictions morales relèvent davantage d’un héritage que d’une prise de conscience personnelle, et c’est tant mieux : si nous devions redécouvrir à chaque nouvelle génération ce qui est “bien” ou pas, l’humanité serait en permanence rebootée. Ainsi, dans La vie est un long fleuve tranquille, ou plus récemment La Tête haute, avec Benoît Magimel dans l’un comme dans l’autre, les enfants agissent parfois contre la morale, mais ils n’en ont pas conscience car les principes mêmes de la distinction entre le bien et le mal leur manquent.
Il arrive cependant que notre vie soit bouleversée par une expérience qui opère comme une tabula rasa : au cinéma, c’est souvent par l’émotion que le renversement se fait. Dans la trilogie Star Wars originelle, après avoir incarné le camp du mal absolu, Dark Vador décide finalement de tuer l’Empereur. Le déclic ? Une conversation avec son fils, des regards échangés lors d’un duel à mort, qui lui remémorent quelle bonne personne il a été avant de basculer du côté obscur. Chez Steven Spielberg, Oskar Schindler passe du statut de nazi à celui de sauveur de juifs car il côtoie au quotidien des personnes dont l’humanité irradie, à commencer par son comptable Itzhak Stern.
Mais pour que ce déclic, ou ce glissement opère, encore faut-il que les conditions le permettent. Comment expliquer que dans OSS 117, Hubert Bonisseur de La Bath reste toujours aussi misogyne et antisémite alors qu’il rencontre des femmes et des juifs qui devraient lui faire prendre conscience de son erreur ? Pourquoi, dans Funny Games, de Michael Haneke, les deux protagonistes, des personnes pourtant éduquées, prennent-ils plaisir à traumatiser une famille gratuitement ? Et pourquoi chez Christophe Honoré, la petite Sophie imaginée par la comtesse de Ségur martyrise-t-elle les poissons de sa mère, alors qu’elle sait que c’est interdit ? L’éducation, la religion, la psychanalyse peinent à répondre à ces questions… À bien des égards, l’homme reste une créature mystérieuse que le septième art n’a pas fini de sonder.
Ariane Nicolas
Le désir est-il par nature illimité ?
Voilà un sujet typique pour ces épicuriens de la section L. Heureusement pour eux, le septième art fourmille de personnages bigger than life qui brûlent d’insatisfaction permanente dont ils pourront s’inspirer. Ici Patrick Bateman, caricature acerbe et sanglante signée Bret Easton Ellis de notre société hyperconsumériste dans American Psycho ; là Jordan Belfort dans le Loup de Wall Street, incapable de dire non à un petit million de dollars supplémentaire…
Mais l’un de nos préférés, c’est sans doute Alex d’Orange mécanique, équilibre rare entre une brute maniaque et un esthète raffiné : à ses désirs de baise, de baston et de kif sur Beethoven ne semble s’opposer aucune limite. Or lorsque les autorités l’interpellent, il est soumis à un traitement de choc qui l’amène à… ne plus RIEN désirer. L’ultraviolence, le sexe et même la musique symphonique le répugnent. La limite est ici incarnée par un élément extérieur imposé par la société, un peu comme la prise massive d’antidépresseurs couperait tout désir à un individu dans la vraie vie.
Mais la limite du désir peut également s’incarner “par nature”, comme dans American Beauty, par exemple. Lester, incarné par Kevin Spacey, refuse finalement de séduire la toute jeune Angela, objet d’un fantasme tabou depuis leur première rencontre (elle a 16 ans, il en a au moins 45). Non seulement il ne cède pas, mais en plus le désir disparaît comme par magie, et Lester est heureux. Éloge des limites au désir.
Mais le cas d’American Beauty est rare. En effet, si le cinéma aime tant la liberté, c’est qu’elle permet de dresser des portraits de personnages épiques, dont la perte annoncée est causée par l’irrépressible désir de jouir. Le mythe de Prométhée n’est guère loin. Ainsi la gentille balade de Thelma et Louise se transforme peu à peu en cavale effrénée, motivée par leur ardent désir de liberté. Si ardent, d’ailleurs, que s’y consumeront leurs limites, et non pas leur désir.
Théo Chapuis
Travailler moins, est-ce vivre mieux ?
Si la question semble éminemment politique, le cinéma a aussi son mot à dire ; le travail est en effet un thème dominant du septième art, et ce depuis ses tout débuts balbutiants (La sortie de l’usine Lumière à Lyon est l’un des premiers films, en 1895). Longtemps, le cinéma a servi d’objet de lutte pour dénoncer l’aspect aliénant du travail à la chaîne, Charlie Chaplin et ses Temps modernes en tête. Mais est-ce encore le cas ?
Un exemple tout con : regardez notre cher et vaillant Batman. Dans le dernier volet de la trilogie Nolan, à savoir The Dark Knight Rises, Bruce Wayne a pris sa retraite — tout du moins au début. Il faut dire que le métier de vengeur masqué est franchement épuisant, autant physiquement que mentalement. Du coup, le célèbre milliardaire prend du repos bien mérité. Mais combien de temps met-il à revenir ? Et hésite-t-il vraiment à revenir ?
La vérité, c’est que Batman s’ennuie quand il ne travaille pas. Pire, il s’empâte. D’ailleurs, si l’on regarde la société laissée par les humains de Wall-E, on voit bien qu’à ne plus travailler, les hommes sont devenus obèses, inefficaces et, in fine, inutile. Toujours chez Pixar, on pourrait citer Les Indestructibles où les supers étant mis au placard, les personnages tombent quasi tous en dépression. En même temps, quand Bob remet son costume, ça n’est pas forcément pour le mieux. Du coup, le travail, c’est génial ? Pas vraiment non plus.
Pour vivre mieux, il faut être heureux. Comment s’épanouir dans un travail où on ne l’est pas, heureux, justement ? Certains diront qu’il faut changer de travail, s’investir par ailleurs dans quelque chose qui vous plaît, comme dans Fight Club où le boulot un poil morbide lié au monde des assurances n’a pas le même impact sur le personnage que le simple fait de se foutre sur la tronche avec des inconnus. Et aimer son travail ne suffit pas toujours. Dans La Grande Aventure Lego, le personnage principal, Emmet, a beau avoir le sourire un peu tout le temps, et vivre dans un véritablement monde de bisounours, il n’a pas d’amis et, clairement, il se fait chier. Mais dès que sa mission d’élu commence, loin de son boulot, il sympathise avec d’autres bonhommes en briques, s’amuse. Bref, il vit (mieux).
Et sans aller jusqu’à changer radicalement de boulot, parfois juste lâcher un peu de lest sans pour autant tout plaquer peut faire du bien. Jake Gylleenhaal, dans Zodiac de David Fincher, continue son travail de dessinateur tout au long du film (ou presque), mais s’investit de moins en moins dans cette tâche, tant l’obsession pour le tueur du Zodiaque prend de l’importance dans son quotidien. Un hobby un peu glauque, certes, mais plus épanouissant que son ancien job.
Et si, au final, la question ne résidait pas tant sur la quantité d’heures de travail, mais sur la qualité de ce dernier ? Après tout, ce qui compte, c’est d’être heureux, non ?
Arthur Cios
Faut-il démontrer pour savoir ?
Tout de suite, sous prétexte de bac scientifique, on retrouve des démonstrations jusque dans l’épreuve de philosophie. Faut-il démontrer pour savoir ? Savoir quoi ? En maths et en physique-chimie, l’exercice est essentiel. Mais la vie n’est pas aussi bien délimitée, elle se passe volontiers de méthode et si l’on cherche souvent à prouver ses dires face à ses interlocuteurs, on ne peut pas forcément leur offrir une démonstration indiscutable. Il ne s’agit pas tant de “savoir” que de “convaincre les autres”.
Dans le cinéma, démonstration rime souvent avec exploration : filmer de grands pionniers en pleine réflexion, ce n’est pas très intéressant pour le spectateur. De nombreux films prennent alors la forme d’une expédition : les aventuriers d’Atlantide, l’empire perdu, Disney mésestimé, se doutent bien de l’existence de l’île disparue, mais ils se donnent les moyens de prouver au monde que leur théorie est la bonne. Et même s’ils sont de très mauvais scientifiques, l’intention reste la même pour l’équipage de Prometheus. Parfois, il est même vital pour les protagonistes de faire cette démonstration : dans Seul sur Mars, le personnage de Matt Damon n’a d’autre choix que de mettre en pratique ses connaissances, et dans Interstellar, c’est tout simplement l’avenir de l’humanité qui est en jeu.
Mais si l’on quitte un peu le champ du savoir scientifique, d’autres domaines nécessitent une démonstration : les enquêtes policières de Sherlock en regorgent, les reportages (celui reconstitué dans le récent Spotlight par exemple) ne peuvent pas trop s’en passer. Et que dire des films de sport ou des biopics ? Ils racontent souvent l’histoire d’un succès difficile, d’un homme qui pense avoir une idée de génie mais doit la concrétiser pour convaincre ses semblables.
Dans Le Stratège, l’entraîneur joué par Brad Pitt met des mois avant de prouver que sa tactique était la bonne, quand Steve Jobs doit attendre des années et plusieurs échecs cinglants avant de voir les résultats (extrêmement rentables) de sa stratégie. Ou alors, il faut avoir la certitude de sa valeur et des limites de celle-ci, comme le héros fictif de Birdman.
Finalement, le seul domaine dans lequel on ne peut rien démontrer, c’est bien l’amour. On peut offrir des preuves d’amour, des cadeaux, des messages comme dans Love Actually. Mais on peut difficilement démontrer des sentiments – c’est bien là tout le mensonge de Gone Girl et des secrets que ses personnages cachent derrière une paisible façade…
Charles Carrot
Savons-nous toujours ce que nous désirons ?
Deux termes à bien différencier : les verbes “savoir” et “désirer”. Sont-ils similaires, complémentaires ou à différencier ? Prenons Mad Max : Fury Road. Qui est ce putain de Max, incarné en 2016 par Tom Hardy, sinon un enfoiré de mec solitaire et taiseux, bouffé par la méfiance à l’égard des hommes après la mort de sa famille ? Rien. Une âme en peine dont le seul désir est de fuir, d’être invisible et d’obtenir son essence pour faire rouler sa caisse. Mais dans le dernier opus de George Miller, Max n’est plus tout seul. Sur son chemin, voilà qu’il a rencontré une certaine Furiosa (Charlize Theron), guidée par le désir et la ferme intention de se venger du patriarcat incarné par le clan d’Immortan Joe.
De cette alliance imprévue va émerger un duo de choc qui, après une tumultueuse rencontre (voir scène ci-dessus), va modifier la courbe désormais partagée de ses désirs à l’instar de son chemin, réalisant un magnifique arc de cercle à la fois géographique et scénaristique. Si la fuite de Furiosa était légitime, pour mieux retrouver sa terre d’origine, son désir était finalement aveugle, loin de toute certitude. Car entre le désir et la réalité, il y a souvent un fossé que la vie vient vite bloquer, retourner ou tuer. Le désir n’est qu’une illusion. Il n’est que le socle faiblard de nos intentions, limitées aux perceptions personnelles et subjectives, individuelles et individualistes de Max et Furiosa, remises en cause lorsque l’autre apparaît.
L’Inception de Christopher Nolan vient illustrer à la perfection l’avidité, celle du personnage de Leonardo DiCaprio, Cobb, enfermé, de plus en plus, dans ses rêves et ses désirs de revoir sa femme décédée. Quoi de mieux que visualiser les désirs d’un homme sur l’autel de l’imagination, de l’illusion d’optique d’un monde qui n’existe pas ?
Une scène marquante revient alors à l’esprit : les hauts immeubles qu’avait construits le couple dans sa tour d’argent, s’effondrant un à un, comme si les désirs primitifs et originels s’effritaient face au réel.
Louis Lepron
Pourquoi avons-nous intérêt à étudier l’histoire ?
C’est un renouvellement de toutes les minutes. Une attention sur tous les détails à la portée du personnage principal. Le personnage, ici, c’est Tom Cruise, dans Edge of Tomorrow. Engoncé dans un costume de super-soldat, le voici aux abords d’une plage, dans le Nord de la France, alors que des coups de feu retentissent et que son regard, perdu, semble dire qu’il n’a conscience de rien, qu’il n’a connaissance de rien, qu’il ne sait rien de la situation. En somme, il est dans la merde, et il sait surtout qu’il va mourir.
Pendant deux heures, le commandant William “Bill” Cage est plongé dans un enfer, celui de la répétition infinie de cette séquence où il est obligé de partir sur un terrain miné par des extraterrestres ayant la ferme intention de tuer tous les humains. Le voilà donc obligé d’agir pour sauver sa peau. Encore et encore. Les premières fois où il vit, il prend connaissance du terrain. Mais sauver sa propre peau ne l’amène à rien, tant l’ennemi entend éradiquer l’humain. Son objectif est alors nouveau : s’en prendre au cœur des assaillants et utiliser ses différentes morts, toutes mémorisées, pour le neutraliser.
Pour cela, il devra étudier les moindres détails de la situation dans laquelle il se trouve, initier une stratégie en fonction de ses erreurs passées, comprendre un à un les mécanismes de défense de l’ennemi, remettre en cause le destin du passé qui vient, à nouveau, l’achever. Et Emily Blunt, sa coéquipière de jeu, de comprendre à un moment donné la situation : “Combien de fois est-ce qu’on a été ici ?” La question rappelle les récents retours de l’extrême droite, en Europe comme dans d’autres régions du monde. “Combien de fois devra-t-on apprendre de l’histoire ? Combien de fois devrons-nous utiliser les leçons du passé pour apprendre de notre présent ?” En Tom Cruise réside le fil de la connaissance, celle qui permettra d’éradiquer le mal.
Apprendre de l’histoire, c’est palier ses erreurs passées, s’en servir pour mieux les remettre en cause, les cibler pour mieux les dépasser. Si Edge of Tomorrow utilise la métaphore du jeu vidéo – le personnage mourant encore et encore jusqu’à atteindre le but final –, il est avant tout l’incarnation d’une histoire qui apprend du passé pour mieux élaborer une autre histoire, aux contours plus justes.
Louis Lepron