L’année 2023 a marqué les 30 ans de la Chouette d’Or, cette chasse au trésor lancée par un certain Max Valentin (Régis Hauser dans le civil) lors de la publication de son livre Sur la trace de la chouette d’or, en mai 1993. Quelques jours avant la sortie de son roman, dans la nuit du 23 au 24 avril, l’écrivain enterre une sculpture de chouette. Quiconque découvrirait cette contremarque de bronze, en résolvant les 11 énigmes égrenées à travers le roman, devrait être récompensé·e par l’œuvre véritable, une statue de chouette faite d’or et d’argent, rehaussée de rubis et de diamants.
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16 années jour pour jour après avoir enterré sa chouette, Max Valentin décédait, sans emporter son défi dans sa tombe. Depuis 30 ans, des passionné·e·s se donnent corps et âme à cette quête, “Sur la trace de la Chouette d’Or”, alors même que certaines voix affirment qu’il n’y a ni chouette, ni butin et que la chasse au trésor n’est qu’une bien maline manigance imaginée par un professionnel du marketing qui a ainsi vendu son livre à des dizaines de milliers d’exemplaires.
Yvan, Paris, France, 2017. (© Emily Graham)
Née dans les “midlands” britanniques où “tout a toujours l’air si peu excitant et gris”, à plusieurs centaines de kilomètres de la Moselle natale de Régis Hauser, rien ne prédestinait Emily Graham à se prendre de passion pour la Chouette d’Or. Les raisons qui l’ont poussée à s’y intéresser sont sans doute les mêmes que celles qui lui ont fait commencer la photographie : “J’étais attirée par la capacité de la photo à nous transporter et à nous transformer, pas forcément au travers de ce qui est exotique ou étranger, mais grâce à des choses très ordinaires et quotidiennes”, nous raconte-t-elle.
C’est en 2015 que la photographe débute son projet, désormais disponible sous forme livresque, The Blindest Man, dédié à la Chouette d’Or. À ce moment, elle s’interroge quant aux “influences, biais et visions” dans sa vie et son travail : “Je me demandais à quel point ce que je photographiais était influencé par ce que j’avais déjà en tête, par ce que je cherchais.” Afin de transposer ces questionnements abstraits au concret, elle entame des recherches sur “de véritables chasses au trésor” et tombe sur “les témoignages discordants, les rumeurs et tout un tas de témoignages publiés sur le Net” concernant la Chouette d’Or. De quoi titiller son attention et sa volonté de partir à la rencontre des centaines de personnes qui consacrent “des heures, des semaines, des années à la chasse en question”.
Elisa, Saint-Maurice-de-Rémens, France, 2016. (© Emily Graham)
Plus elle investigue, plus Emily Graham tombe dans un tourbillon de “compétitions et obsessions où se diffusent rumeurs, désinformation et fausses pistes destinées à induire en erreur” les participant·e·s : “Certaines personnes ont été extrêmes : quelqu’un a creusé une voie ferrée ; quelqu’un d’autre est entré dans une banque avec une hache et a défoncé le sol de l’accueil tandis qu’un troisième a mis le feu à une chapelle.”
Obsession aviaire
Rapidement, l’artiste s’est laissée “prendre dans l’histoire”, alors qu’elle voulait seulement, à l’origine, se “servir des fausses pistes comme de cadres arbitraires à [s]on travail photographique”. La chasse au trésor devient “une parabole, un mythe moderne de ce qui se passe quand on ne trouve pas ce qu’on recherche”. Son projet lui permet de s’intéresser à l’obsession et aux “différentes façons dont elle se manifeste dans la vie des gens”.
Escalier, Vallée de la Loire, France, 2018. (© Emily Graham)
La quête photographique d’Emily Graham a commencé auprès d’un “Chouetteur” actif depuis 25 ans et “particulièrement vocal sur les réseaux”. Grâce à lui, elle participe trois années de suite à la Chouette fête, un week-end annuel organisée pour et par les Chouetteuses et Chouetteurs. C’est là qu’elle rencontre la plupart de ses modèles, qu’elle photographie chez eux après avoir discuté avec eux de leur parcours, de leurs interprétations, de leurs motivations :
“Je voulais parler à des gens aux histoires différentes, aux âges différents, qui auraient des visions différentes de la chasse au trésor. […] Tout le monde était très ouvert à l’idée d’être photographié. […] Pour certains, la chasse est liée à des poursuites intellectuelles ; pour d’autres, c’est davantage lié à des histoires d’aventure ou à des rêves de richesses. Les années passées leur ont souvent permis de se connecter à une communauté”, détaille Emily Graham.
Franck, à la Chouette Fête de Carignan, France, 2017. (© Emily Graham)
Le livre résultant de ces rencontres, The Blindest Man, présente des portraits et des photographies abstraites, reflets du travail imaginatif des Chouetteur·se·s, de la fiction et des fantasmes que la Chouette d’Or participe à faire éclore. Ces dialogues entre abstractions et réalités permettent à la photographe de livrer sa réflexion personnelle sur le sujet et sur le monde, un travail “loin d’être journalistique”, précise-t-elle.
Une chouette… enfumée ?
Nombre de Chouetteur·se·s finissent par se retourner contre leur obsession et suspectent le tout d’être une vaste fraude : “Pour moi, cela reflète la façon dont les gens réagissent au monde, aux rêves et fantasmes qu’ils se créent pour eux-mêmes et les difficultés et frustrations qu’ils rencontrent lorsqu’ils les réalisent”, élabore l’autrice qui voit la Chouette d’Or comme “une chouette façon d’explorer ces caractéristiques humaines” et une soupape ludique, “quelque chose d’enfantin assez rare dans le monde des adultes”.
Paon, 2018. (© Emily Graham)
À travers cette quête, qui peut prêter à sourire de prime abord, Emily Graham nous embarque dans notre propre enquête et nous pousse à nous interroger : “Que se passe-t-il quand on ne trouve pas ce qu’on cherche ? Quand la quête n’a pas de fin ? Quand ce qu’on cherche demeure à jamais hors d’atteinte ?” Malheureusement pour nous, les réponses à ces questions sont peut-être aussi difficiles à trouver que la fameuse Chouette.
Sud de la France, 2018. (© Emily Graham)
Vitrolles, France, 2016. (© Emily Graham)
Déguisement, 2017. (© Emily Graham)
Cabine téléphonique, 2017. (© Emily Graham)
Trompe l’œil, 2017. (© Emily Graham)
The Blindest Man d’Emily Graham est disponible chez Void.