Cette bande dessinée raconte le parcours du combattant d’un réfugié syrien exilé en France

Cette bande dessinée raconte le parcours du combattant d’un réfugié syrien exilé en France

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© Thomas Vimare/Unsplash

"On voulait parler du quotidien ici, pas de leur histoire en Syrie."

En personnage BD comme dans la vie, Khaled Zyadeh aime flâner au pied de la cathédrale d’Autun (Saône-et-Loire) : “Ça me fait penser à Damas”, dit le Syrien, héros d’un album retraçant l’intégration de réfugié·e·s dans cette petite ville du Morvan. “On voulait parler du quotidien ici, pas de leur histoire en Syrie” : l’album intitulé Les Mots nous manquent se démarque ainsi de L’Arabe du futur, par exemple, la célèbre saga du Franco-Syrien Riad Sattouf, grand prix 2023 du Festival d’Angoulême de la BD, explique à l’AFP Thibault Mouginot.

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Chargé de développement social à l’Office public d’habitat (Opac) d’Autun, Thibault a accueilli en 2018 la quinzaine de familles fuyant la guerre civile en Syrie pour atterrir dans ce gros bourg de 13 000 habitant·e·s lové dans le massif du Morvan. “Je côtoyais ces familles. J’échangeais sur leur ressenti, leurs difficultés et je me suis dit qu’il fallait expliquer pourquoi, parfois, il y a incompréhension”, ajoute ce travailleur social de 35 ans, revenu récemment d’un tour du monde d’un an.

Fan de BD, l’idée de dire par le dessin lui vient naturellement et il se fait scénariste, racontant les histoires et anecdotes, cocasses ou tristes, générées par l’absence d’une langue commune. De la dame âgée promenant son chien, qui lance des “Encore à traîner ceux-là !” en voyant un groupe de Syriens papotant ; au premier travail de Salah, la quarantaine, ramenant une pioche à son chef de chantier qui vient de lui demander “une pelle” ; en passant par le jeune ado, Kawa, qui, fou de joie de savoir écrire son nom en français, le trace sur la vitre arrière d’une voiture, recevant du propriétaire un “Qu’est-ce que tu fais, petit vaurien !”. “Les malentendus, l’incompréhension, les quiproquos” de l’intégration, c’est ce que montre la BD, explique le bédéiste.

“On me donne du Molière”

Album “léger”, qui sera présenté en janvier au Festival d’Angoulême, Les Mots nous manquent se veut “apolitique” : garant de sa “totale liberté”, assure son auteur. L’œuvre n’a reçu aucun argent des autorités, étant entièrement financée par l’Opac, bailleur social qui a logé les réfugié·e·s et inscrit la BD dans son objectif du “bien vivre-ensemble dans les quartiers d’habitat social”. Résolument pro-intégration, Les Mots nous manquent est édité par Tartamudo, maison fondée par José Jover, Français d’origine espagnole qui a été l’un des instigateur·rice·s du mouvement Black Blanc Beur. Mais “je n’ai pas voulu tomber dans une approche manichéenne”, explique Yas Munasinghe, l’illustrateur de la BD. “Oui, le racisme existe mais je refuse la position victimaire qui peut servir d’excuse à s’y réfugier”, explique Yas, arrivé à Autun à 10 ans, en 1993, après avoir fui le Sri Lanka avec sa famille.

Aujourd’hui, Yas est professeur d’arts plastiques, il a la nationalité française, après avoir refusé de garder celle de son pays d’origine. “Parce que j’ai été formé par l’école de la République”, dit-il avec emphase. Cette intégration réussie, c’est ce que veut montrer la BD, à l’image de celle de Khaled Zyadeh. Arrivé à 20 ans à Autun sans savoir un mot de français, il est aujourd’hui “comédien”. “Professionnel”, ajoute-t-il fièrement.

“On me donne du Molière. Il a fallu que je comprenne !”, dit-il dans un rire et un français parfait, conscient du “chemin parcouru”. “On était choqués culturellement en arrivant”, se souvient-il au pied de l’immeuble n° 37 où sa famille a été accueillie, dans un groupe de HLM aux façades décrépies, décorées de serviettes séchant sur les rambardes des balcons. “C’est difficile mais l’intégration est possible”, lâche-t-il. Le parcours du combattant est cependant long. Khaled attend depuis un an les papiers qui permettraient à son épouse de le rejoindre. “On s’est fiancés avant que je ne vienne en France mais, en cinq ans, je ne l’ai vue que deux semaines.”