C’est une histoire de fou : l’artiste Kirsha Kaechele a pranké le monde de l’art avec de faux Picasso

C’est une histoire de fou : l’artiste Kirsha Kaechele a pranké le monde de l’art avec de faux Picasso

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© Kirsha Kaechele/MONA

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Kirsha Kaechele a aussi tenté d’interdire l’entrée de son exposition aux hommes, histoire de les rendre "aussi fous que possible". Mais attention, il y a une symbolique derrière.

C’est un scandale tonitruant qui a secoué le monde de l’art. Au Museum of Old and New Art de Tasmanie, en Australie, figurait sagement une installation de toiles de Picasso, intitulée Ladies Lounge, aux côtés de bijoux et d’objets d’art venant a priori de Nouvelle-Guinée et du fourreur royal de la princesse Mary. L’artiste Kirsha Kaechele disait qu’elle avait réuni ici une partie de la collection de sa grand-mère. Elle avait tenté d’interdire l’entrée de son exposition aux hommes – à l’exception des majordomes qui servaient les visiteuses en champagne et en attentions délicates.

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Un visiteur avait poursuivi en justice l’artiste pour discrimination sexiste car il estimait que son billet d’entrée de 35 dollars devait aussi lui donner accès au Ladies Lounge. L’institution muséale n’a pas contredit le caractère discriminatoire mais a rappelé que c’était tout l’intérêt de l’œuvre. En effet, l’artiste présentait cette exposition comme une réminiscence de tous les lieux qu’on a interdits aux femmes durant notre Histoire, rapporte l’AFP.

À l’époque, le tribunal avait reconnu les faits et souhaitait porter l’affaire à la Cour suprême. Pour instaurer son entrée exclusive aux femmes, l’artiste avait finalement eu la bonne idée de déplacer son installation dans les toilettes pour femmes, renommant son projet Ladies Room, car “vous avez le droit de discriminer aux toilettes”. L’intention de l’artiste était “de rendre les hommes aussi fous que possible”, et le sentiment d’exclusion des hommes faisait partie de l’expérience qu’elle voulait faire vivre à son public.

[Le procès] a donné lieu à des articles en 160 langues et à des fils de discussion animés sur Reddit. […] En tant qu’artiste qui s’intéresse au monde réel comme moyen d’expression, je vois le procès et le discours qui en résulte comme l’expression chaotique et vivante de l’œuvre d’art. […] Le Ladies Lounge existe dans le but d’offrir un bel espace aux femmes pour qu’elles puissent s’amuser – nous le méritons, le patriarcat a été dur avec nous – et se délecter de la pure compagnie des femmes, loin de la domination écrasante des hommes.

Donc, lorsque j’ai commencé à visualiser le Ladies Lounge, je savais qu’il devait être aussi opulent et luxueux que possible. Cela signifiait que de beaux majordomes masculins nous attendaient, nous servaient du champagne et admiraient notre beauté. Suçaient un ou deux orteils. Et pour que les hommes se sentent aussi exclus que possible, le Ladies Lounge devait exposer les œuvres d’art les plus importantes du monde – les meilleures.”

La plus belle illusion

Séduite par l’idée de voir un misogyne tel que Picasso placardé dans un salon pour femmes, “aux côtés d’une œuvre de Sidney Nolan (un autre misogyne) représentant une scène de viol, Leda et le Cygne, l’artiste avait initialement pensé à exposer de vrais tableaux de Picasso dans les tons verts du Ladies Lounge. Face à la tâche difficile de trouver des Picasso de cette couleur, elle s’était dit qu’elle n’avait qu’à les peindre elle-même, note Artnet.

Cela faisait trois ans et sept mois que cette exposition était accessible, et nous n’avons appris que ce mois-ci, dans un texte de l’artiste publié par le musée, qu’il s’agissait de faux Picasso, depuis le début. “Je suis flattée que les gens aient cru que mon arrière-grand-mère avait passé l’été avec Picasso dans son château suisse où lui et ma grand-mère étaient amants lorsqu’elle lui a lancé une assiette pour indiscrétions (en quelque sorte) qui a rebondi sur sa tête et a provoqué la fissure que vous voyez à travers l’assiette en céramique dorée dans le Ladies Lounge.”

L’artiste a peint ces tableaux elle-même, allant de Femme allongée sur un canapé (1961) à Déjeuner sur l’herbe, d’après Manet (1961). Il faut savoir que les tableaux ne sont pas les seuls concernés par la non-authenticité : les bijoux et objets d’art exposés sont aussi faits de bric et de broc. Pas d’antiquités, que du plastique, pas de vison, que du synthétique. Les spécialistes, visiteuses, journalistes (de la BBC au New York Times) et le musée n’y ont vu que du feu, à tel point que l’institution avait accroché un des faux Picasso à l’envers. Après avoir adressé une lettre à Kaechele, l’administration de Picasso risque d’intervenir face à l’exploitation de ces faux Picasso. L’artiste a présenté ses excuses auprès de celle-ci.

Ce coup magistral orchestré par Kirsha Kaechele abordait le sexisme, d’où l’interdiction aux hommes qu’elle avait tenté de mettre en place au vu des agissements désormais bien connus de Picasso envers les femmes. La récente révélation des faux élargit le débat, sur l’hypocrisie et “l’illusion” du monde de l’art et du génie artistique, sur le vrai, le faux, le vraisemblable, sur “les structures de pouvoir”, sur ce qui fait qu’une œuvre peut être considérée comme véritable, authentique, chef-d’œuvre. Et Kirsha Kaechele ne fait que citer le peintre espagnol qui disait que “l’art est un mensonge”.