Côté films d’horreur, 2024 a été particulièrement généreuse.
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Autant du côté des blockbusters (avec Alien: Romulus, MaXXXine, Sans un bruit : jour 1, Trap, Blink Twice, The First Omen) que du côté des films indés (Longlegs, Les Chambres rouges, Shin Godzilla, I Saw the TV Glow, Late Night with the Devil) – sachant que doivent encore sortir Terrifier 3, Smile 2, The Substance, Heretic et Nosferatu. Un cru sensiblement au-dessus de la moyenne, qui ne laisse pas beaucoup de place à la concurrence.
Et pourtant, depuis début août, outre-Atlantique, il n’y a qu’un film qui revient dans les discussions. Si, en France, personne n’en parle, c’est que la presse anglo-saxonne s’est excitée sur le projet quand la moitié des journalistes étaient en vacances. À part Ecran Large, AlloCiné et Chaos Reign, vous ne trouverez pas grand-chose en France. Tandis que The Guardian, Variety, IMDb et pléthore de médias spécialisés s’emballent sur ce fameux long-métrage : Milk & Serial.
Il faut dire qu’il a tout pour séduire les journalistes, et les fans. On parle d’un long-métrage d’une heure, fait pour 800 dollars, directement mis sur YouTube par son réalisateur début août et qui arbore presque un million de vues à l’heure à laquelle on écrit ces lignes, et donc disponible gratuitement dans le monde entier.
Avouez qu’il y a de quoi s’emballer.
Un projet impressionnant à bien des égards
Derrière ce film se cache un certain Curry Barker. Ce dernier, accompagné de Cooper Tomlinson, forme le duo that’s a bad idea qui, depuis juin 2016, poste des sketchs sur les réseaux sociaux. Comiques, la plupart du temps. Huit ans, 450 vidéos et 700 000 abonnés sur YouTube plus tard, voilà que le duo expérimente d’autres choses.
À partir de 2020, on a pu voir sur la chaîne YouTube, au milieu des vidéos humoristiques courtes, des courts-métrages horrifiques. Contemplation d’abord (qui ne semble plus être en ligne), puis Heavy Eyes en 2022, Enigma, The Chair, et enfin Warnings, tous trois en 2023. Tous réalisés par Barker, et écrits par lui (sauf Enigma qui, lui, est scénarisé par Tomlinson). Des courts de plus en plus longs, avant de sauter le pas et de faire un vrai long-métrage.
Milk & Serial raconte l’histoire d’un duo de créateurs de contenu sur YouTube, habitués à faire des pranks, des canulars, l’un sur l’autre (on notera qu’il y a de faux pranks sur la chaîne that’s a bad idea). Le film s’ouvre sur la préparation d’un prank de Seven (Cooper Tomlinson) sur Milk (Curry Barker), pour son anniversaire. Une sombre histoire de faux meurtre le soir de la fête, par un inconnu. Sauf que, de son côté, Milk avait aussi concocté un canular, bien plus sombre. De là, rien ne va se passer comme prévu.
Mais plus qu’un film de petit malin, le long-métrage impressionne. Déjà, parce qu’il est remarquablement bien incarné, notamment par Barker en youtubeur frustré et psychopathe. Par ce qu’il raconte sur la volonté de vouloir toujours en faire plus sur YouTube, et la rivalité dans ce genre de relation. Mais aussi parce qu’il est d’une précision dingue dans son montage. Parce qu’il a une construction narrative complexe, qui nécessite des allers-retours, des flash-back, et qu’il est toujours d’une fluidité maîtrisée. On n’est jamais perdu dans le récit, sauf quand le cinéaste veut volontairement nous perdre.
Mais aussi parce qu’il ne dure que 62 minutes. Le cinéaste explique à Variety que le film devait durer 1 heure 25 minutes, mais que, juste avant de le poster sur YouTube, il a réussi à enlever 20 minutes sans supprimer une seule séquence, juste en retirant du gras pas utile. Là, c’est l’expérience de faire des sketchs YouTube qui parle.
Évidemment, cela se fait dans une économie très resserrée. On peut lire ici et là que le film a été fait pour 800 dollars. La réalité, c’est que c’est un film de débrouille, de copains, en dehors de l’industrie. Barker sert ici d’acteur, bien sûr, de réalisateur et de scénariste, donc, mais aussi de producteur, de monteur, de cochef opérateur et de compositeur pour la musique. Le film s’est fait sur quatre mois, au milieu de plein d’autres tournages, selon la disponibilité des uns et des autres. Et les 800 dollars, il faut comprendre qu’il s’agit des 100 dollars nécessaires pour acheter la petite caméra numérique justifiant le found footage, et du salaire du seul acteur en dehors de la bande, à savoir Jonnathon Cripple.
Un budget qui permet de ne pas chercher une distribution particulière. Barker explique, toujours à Variety, qu’un distributeur était prêt à le sortir. Mais ces groupes-là ne savent pas comment diffuser ce genre de film ultra indé. Il explique ainsi :
“Ce qui est intéressant, c’est qu’après avoir signé tous les papiers et avoir tout réglé avec eux, on a commencé à se dire : ‘Mec, le distributeur va sûrement le mettre derrière un paywall, et les gens devront payer 3 dollars pour le mater sur Shudder ou je ne sais quelle plateforme.’ Je pense que nos fans méritent de le regarder. Ils voient le poster depuis un an sur IMDb en se demandant ce que c’est. Donc même si on a travaillé dur pendant un an à chercher un distributeur, on s’est dit ‘Fait chier’ et on l’a balancé sur YouTube.”
Le calcul est bon : pas sûr qu’autant de gens l’auraient vu s’il n’était pas sur YouTube. Pas sûr qu’on en parlerait à l’international s’il avait eu un petit distributeur qu’aux États-Unis. Pas sûr que les médias s’emballeraient autant, et de manière absolument légitime.
Reste à savoir comment Hollywood va réagir face à ce succès, et si le duo va être récupéré par les studios ou les plateformes, ou si Barker et Tomlinson continueront à s’amuser sur YouTube.