“Ces vies de non-choix” : le photographe Alexis Vettoretti met un visage sur les paysannes françaises

“Ces vies de non-choix” : le photographe Alexis Vettoretti met un visage sur les paysannes françaises

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© Alexis Vettoretti

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Par Mahaut Delobelle

Publié le , modifié le

Le photographe a immortalisé ces femmes du début du XXe siècle partout en France.

Marguerite, Marie-Thérèse ou encore Gracieuse. Des portraits de plain-pied de femmes que l’on regarde aujourd’hui, les mêmes que nous n’avons pas toujours pris le temps d’observer. Ces femmes ont traversé la première moitié du vingtième siècle, elles font partie d’une vie de non-choix : ce sont celles à qui nous n’avons pas autorisé l’obtention d’une carte bancaire ou le passage d’un permis de conduire. C’est ce que met en lumière la série intitulée Paysannes du photographe Alexis Vettoretti. On y voit ces femmes puissantes, debout, fixant l’objectif et prêtes à nous raconter leurs histoires avec leur regard. Le photographe part à leur rencontre dans l’espoir qu’enfin, elles soient reconnues à leur juste valeur.

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“Discuter avec ces femmes qui sont passées de filles de paysans à femmes de paysans, c’est ça ma ligne directrice. Ces femmes d’une même époque qui sont passées de ‘fille de’ à ‘femme de’, et qui, aujourd’hui, vivent leur retraite maigrement parce qu’elles n’ont jamais été propriétaires de quoi que ce soit étant passées d’une ferme de leurs parents à la ferme de leurs beaux-parents. C’est une vie de non-choix”, nous exprime le photographe. Alexis Vettoretti légende ses photographies selon leur nom et partage leurs récits. On peut d’ailleurs découvrir les mots de l’une d’entre elles : Angèle, née en 1925, qui confie au photographe qu’elle a fait ce métier parce [qu’elle n’a] pas eu le choix. Tout le monde n’a pas la chance d’être heureux”.

Paysannes, 2024. (© Alexis Vettoretti)

“Elles sont le pont entre la campagne féodale de leurs parents et la campagne industrielle et mécanique de leurs enfants et petits enfants à partir de la révolution agricole dans les années 1950-1960.” Ces femmes, qui auront vécu l’avancée soudaine et brutale des avancées technologiques sont les témoignages d’une société d’abstention et de résilience. Vettoretti décrit cette génération de femmes comme étant “une population silencieuse” n’ayant aucun droit de se plaindre par manque de place ou de prise de parole. Il a d’ailleurs volontairement pris le parti de laisser les maris de côté pour se concentrer sur ces femmes qui autrefois “vivaient dans l’ombre” de leur conjoint.

Le photographe a commencé ce projet photographique grand format en 2013. À ce moment précis, il pensait uniquement réaliser un travail de portraits qui lui a finalement inspiré ce projet. Fils d’ouvrier, Alexis Vettoretti traite des projets sociaux et ouvriers malgré lui, qu’il considère comme un “héritage”, lui qui a débuté la photographie en partant de chez lui. La similarité des distances entre le photographe et ces femmes, le même cadrage, une lumière harmonieuse et ces espaces à la fois différents et similaires nous offrent une sorte d’expérience olfactive : l’odeur de la cuisine, pièce principale de la maison, flotte dans l’air. La vie quotidienne de ces femmes se reflète dans l’atmosphère des clichés.

“Chaque rencontre a été importante. Par exemple, celle avec Geneviève qui est née en 1916. Je suis parti de chez moi sans savoir si elle allait me recevoir ou non. J’ai toqué à la fenêtre puisqu’elle n’entendait plus rien. Elle m’a fait signe de rentrer, elle était allongée. Cette femme qui ne m’entendait pas m’a raconté toute sa vie. Au bout d’une heure, je lui explique mon projet photo. Sur le portrait, elle a une force devant l’appareil qui me laisse un peu bête. Quand je développe le négatif et que je me retrouve face à sa photo, on ne pourrait pas dire qu’elle a plus de 100 ans.” La force que dégagent les femmes prises en photo est inexplicable. On les sent puissantes et invincibles. Le choix d’une légère contre-plongée de la part du photographe accentue d’ailleurs cette impression. Elles sont grandes et prennent en quelque sorte une revanche sur le statut qu’on leur a imposé en nous offrant une relecture sensible des histoires de ces femmes tombées dans l’oubli.

Paysannes, 2024. (© Alexis Vettoretti)

Paysannes, 2024. (© Alexis Vettoretti)

Paysannes, 2024. (© Alexis Vettoretti)

Paysannes est publié aux éditions Ulmer. À cette occasion, Alexis Vettoretti exposera le 22 novembre à Rethel.