Au tournant du XIXe siècle, le psychiatre Jean-Étienne Esquirol et quelques-un·e·s de ses confrères et consœurs identifiaient une pathologie nommée “la monomanie”, soit la fixation de l’esprit sur une même idée. Apparemment précurseur·se·s des présentations PowerPoint, ces médecins auraient eu l’idée de commander au peintre Théodore Géricault dix œuvres représentant leurs patient·e·s monomaniaques, persuadé·e·s que les expressions faciales aidaient à diagnostiquer les malades. Les portraits leur permettraient de rendre plus vivantes et claires leurs présentations.
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Les œuvres finales sont plutôt saisissantes : l’auteur du Radeau de la Méduse a figé des visages durs aux mâchoires serrées et aux regards tourbillonnants, comme absorbés par le sujet qui les obsède, plongés dans le vide. Le peintre avait pour mission d’immortaliser des cas réels. Il a représenté Le Monomane du commandement militaire ; Le Monomane du vol d’enfants ; Le Monomane du vol ; La Monomane du jeu et La Monomane de l’envie. Ce qui fait cinq œuvres, si vous avez quelques notions basiques de mathématiques. Cinq titres seulement, et non dix, puisque cinq œuvres (encore une fois, on compte sur vos capacités de calcul) avaient disparu des radars dès les années 1830.
Théodore Géricault, Le Monomane du vol, vers 1820. (© Musée des Beaux-Arts de Gand)
Cinq tableaux perdus et de nouvelles trouvailles
L’histoire a de quoi titiller – voire rendre un peu monomaniaque : qu’est-il arrivé aux cinq tableaux manquants de Géricault ? C’est une question qui a semble-t-il obsédé un biologiste nommé Javier Burgos. Habitué à flâner sur le Net pour tenter de résoudre cette vieille énigme, l’homme tomba sur une piste séduisante un soir de 2018. Face à une vidéo retraçant une exposition ayant eu lieu cinq ans plus tôt à Ravenne, en Italie, Javier Burgos eut un moment d’hésitation qui le poussa à mettre sur pause les images qui défilaient devant ses yeux : juste là, à côté du Médecin Chef de l’Asile de Buffon, toile de Géricault qu’il connaissait déjà, se trouvait un tableau qu’il n’avait jamais vu mais dont le visage particulier, brillant sur un fond sombre, l’alpagua.
Le portrait montrait un homme aux sourcils froncés, au visage dur et au regard tourbillonnant, plongé dans le vide. Le biologiste, spécialisé dans la recherche sur la maladie d’Alzheimer, précise The Guardian, a découvert que l’œuvre était attribuée à Géricault, sous le titre de Portrait d’homme. Homo melancholicus. Poussant son étude du tableau, Javier Burgos finit par être persuadé que l’œuvre faisait partie de la série de dix tableaux qui l’obsédait, et partagea ses conclusions dans un article scientifique.
Théodore Géricault, La Monomane de l’Envie, aussi appelé la Hyène de la Salpêtrière, vers 1820. (© Musée des Beaux-Arts de Lyon)
Suite à la lecture du texte, un galeriste de Versailles contacta l’universitaire espagnol pour lui présenter un tableau en sa possession, qu’il imaginait également faire partie des Monomaniaques, détaille le quotidien britannique. Le portrait, qui n’est pas authentifié comme étant de Géricault, montre un homme barbu, chapeauté, à la chemise ouverte sur son torse nu et au regard tourbillonnant, plongé dans le vide. Selon Javier Burgos, il représenterait Le Monomaniaque de l’ivresse. Un troisième tableau, nommé Portrait d’homme, dit le Vendéen, a fini par intégrer la liste du passionné.
Ces découvertes ne font cependant pas l’unanimité dans le monde de l’art, certaines voix déplorant le manque de consistance de ces hypothèses – sachant que deux des trois œuvres ne sont pas officiellement reconnues comme étant l’œuvre de Géricault. Auprès du Guardian, Javier Burgos affirme n’attendre qu’une chose : qu’une discussion académique soit lancée autour de ses trouvailles. Pour l’instant, les voix ne sont pas encore couchées à l’écrit et nous autres n’avons qu’à faire preuve de patience, le regard tourbillonnant, plongé dans le vide.