Catharina van Hemessen est née en 1528 dans une famille d’artistes. Son père, le peintre maniériste Jan Sanders van Hemessen, lui enseigna, ainsi qu’à ses trois frères, l’art pictural tandis que sa sœur se tourna vers la musique. Très vite, l’artiste enchaîne raretés et premières, devenant une des premières femmes de la Renaissance à donner des cours de peinture à des hommes et à voir sa renommée dépasser les frontières de son pays. Elle est la première femme peintre flamande dont on ait une trace et, dès les années 1540, elle se fait remarquer par la reine Marie de Hongrie (alors gouvernante des Pays-Bas espagnols), relate la BBC.
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La carrière de Catharina van Hemessen fut courte mais marquante. Les spécialistes pensent qu’elle aurait arrêté de peindre après son mariage, en 1554. À 20 ans, elle réalise son œuvre la plus célèbre : une toile d’une taille de 32 centimètres sur 25 la montrant en train de peindre, face à son chevalet. Il s’agirait du tout premier autoportrait (dont on a la trace en Occident tout du moins) d’un·e peintre au travail.
Catharina van Hemessen, “Autoportrait”, 1548. (© Collection publique du Musée d’art de Bâle)
On prend souvent pour point de départ de l’histoire de l’autoportrait européenne le peintre Jan van Eyck. Un siècle avant Catharina van Hemessen, en 1434, ce dernier se représentait effectivement dans son célèbre tableau des époux Arnolfini. Sa silhouette se distingue dans le reflet d’un miroir accroché au mur et fait face aux époux, mais cet autoportrait ne le montre pas à l’œuvre.
Son Homme au turban rouge, réalisé un an plus tôt, serait également un autoportrait – bien que cela ne soit explicitement affirmé. L’homme au turban fixe le public, son expression est neutre et ses bras reposent le long de son corps ; au contraire de Catharina van Hemessen, rien n’indique encore une fois sa fonction de peintre.
Une œuvre méta-picturale puissante
120 ans plus tard, la peintre flamande réalise une œuvre qui la montre, avant toute autre chose, comme une artiste. Mieux encore, elle se représente en train de se peindre. Pour lever toute ambiguïté, elle trace en latin la phrase suivante, dans le coin supérieur gauche de la toile : “Moi, Catharina van Hemessen, me suis peinte en 1548 à l’âge de 20 ans.”
Catharina van Hemessen, “Autoportrait” (détail de la phrase latine : “Ego Catharina de Hemessen me pinxi 1548 etatis suæ 20”), 1548. (© Collection publique du Musée d’art de Bâle)
À l’Antiquité puis au Moyen-Âge, il n’était pas rare que sculpteurs ou enlumineurs se représentent dans le coin d’une page ou d’un mur orné. Cependant, il était alors plutôt question de signer un travail artisan, et d’intégrer une œuvre collective, que d’affirmer son statut d’artiste, tel que l’a fait Catharina van Hemessen.
Un héritage solide
Suite à cet autoportrait, les représentations d’artistes en train de peindre sont légion. En 1633, la peintre Judith Leyster se représente assise à son chevalet, le buste tourné vers le public, une palette dans une main, un pinceau dans l’autre. Entre 1665 et 1669, Rembrandt travaille son Autoportrait aux deux cercles, où il pose palette et pinceaux à la main.
Au fil des siècles, l’héritage n’a jamais flanché, des travaux colossaux signés Frida Kahlo et Vincent van Gogh, où les deux peintres représentaient leur douleur à travers le prisme de leur création, aux œuvres photographiques d’artistes s’intégrant à leurs compositions. Catharina van Hemessen, dont le nom est peu connu, se trouverait ainsi en tête de file d’une tradition artistique qui ne faiblit pas.