Après avoir présenté It Follows à la Semaine de la Critique en 2014, l’Américain David Robert Mitchell truste cette année la compétition cannoise avec son troisième long-métrage : Under the Silver Lake. Un pur bijou de mise en scène !
À voir aussi sur Konbini
On l’avait laissé en 2014 avec son chef-d’œuvre It Follows, sorte de prolongement horrifique de son étonnant premier film, The Myth of the American Sleepover. Dans les deux cas, David Robert Mitchell, 44 ans, fait preuve d’une maîtrise technique et esthétique littéralement renversante. Qu’il s’adonne à la chronique adolescente douce-amère dans la banlieue de Détroit ou explore le potentiel de terreur des maladies sexuellement transmissibles, le natif de Clawson, dans le Michigan, excelle en effet dans l’art de fabriquer des images fortes, léchées, qui ne s’oublient pas. Cette année, l’intéressé monte en grade. En lice pour la Palme d’or, il a foulé mardi soir le tapis rouge cannois.
Son nouvel opus, Under the Silver Lake, dont il a écrit le scénario, tisse sa toile tentaculaire et envoûtante dans sa ville de résidence : Los Angeles. Au cœur d’une Cité des anges filmée sous toutes ses coutures, avec fantasmagorie et onirisme, Sam, 33 ans, prend racine dans un quotidien sans gloire. Sous ses traits, Andrew Garfield se révèle impeccable et réussit à l’ériger instantanément en loser (un peu) magnifique, pantouflard, vissé dans des rêves de célébrité consumée. Ce sympathique héros, qui s’apprête à être jeté de chez lui, voit son destin basculer quand son étrange et sculpturale voisine disparaît du jour au lendemain, essaimant dans son sillage des questions et des mystères.
Des références digérées
Nota bene : si vous vous lancez dans l’intrigue en vous arrêtant à chaque référence, vous passerez très clairement à côté de la proposition de David Robert Mitchell. Évidemment, ce n’est pas le premier cinéaste, écrivain, peintre ou musicien à s’abandonner dans les méandres de LA pour en extraire la puissance fantasmatique et/ou destructrice. La route est remplie de pas, dont certains sont voyants et inoubliables. Ils sont effectivement nombreux à avoir décortiqué cette fabrique d’illusions, à avoir dénoncé les blessures infligées par les paillettes et corrigé des chimères encombrantes. On y entrevoit David Lynch, Thomas Pynchon, Bret Easton Ellis, David Cronenberg, etc. David Robert Mitchell ne peut s’en dépêtrer. C’est un fait : la ville qu’il immortalise l’a déjà été sous tous les angles, sous tous les regards et depuis toujours.
Et pourtant, derrière les références, Under the Silver Lake est un pur produit de son auteur. Il en porte la marque, cette patine d’élégance, suave, feutrée, surtout quand l’horreur s’invite dans la danse. Le metteur en scène revendique un cinéma sur-esthétisant, dans lequel chaque plan est travaillé et pensé avec minutie, comme un tableau à accrocher fièrement dans son salon. Et attention à croire qu’il fait du beau pour du beau ! Cette quête de vénusté constitue un véritable arc narratif. Elle raconte les faits. Quand on aperçoit par exemple, en superbe plongée, la piscine de la résidence où habite le héros, la métaphore est immédiate. On comprend qu’on va sauter avec le héros, qu’on va nager à ses côtés, en eaux troubles, dans un lac d’argent.
Mélange des genres
Sam se lance ainsi dans une enquête invraisemblable, prétexte pour aller à la rencontre de lui-même, afin de trouver un sens à une existence qui a fait de lui un humain végétatif, vidé, creux. Un représentant d’une génération qui se croyait spéciale, créative, importante, et qui observe, lessivée, les brisures de ses exploits fantasmés. Alors, quoi de mieux que de rechercher une jolie fille égarée et de péter les genoux de la monotonie ? Pour savourer sa balade sinueuse, il faut – condition sine qua non – accepter de lâcher prise, de laisser place à l’irrationnel, tout en restant ponctuellement vigilant aux messages délivrés ici et là. À commencer par la démystification en règle de ces objets (pop), de ces films ou de ces musiques qu’on adule et qui forment notre identité.
Under the Silver Lake se veut ainsi la métaphore de ce qui se tapit sous les choses, une relecture des sens cachés. Los Angeles est l’une de ces villes où, par excellence, les gens se construisent, se forgent et se définissent par les images, les canons de beauté, le magnétisme entêtant des fictions – lesquelles coupent souvent tout contact avec le réel. À la fois cauchemar plombant et trip stimulant, cet opus hitchcockien de David Robert Mitchell entremêle les genres (horreur et film noir inclus) avec un amour du cinéma total, et propose une mise en scène d’une amplitude dingue. Le puzzle méandreux qu’il offre, aux quatre coins de la Cité des anges et au carrefour de la pop culture, est un délice. Alors oui : c’est peut-être déroutant, un poil long, mais le voyage est d’une puissance telle qu’on peut difficilement lui résister.