Sleep, c’est quoi ?
Présenté en Semaine de la critique de cette 76e édition du Festival de Cannes, le tout premier métrage du Sud-Coréen Jason Yu (Yoo Jae-sun) met en pratique toutes les richesses que lui ont prodiguées ses années d’assistanat auprès des fines fleurs du cinéma coréen, à savoir Bong Joon-ho et Lee Chang-dong.
Sleep raconte l’histoire d’un couple de futurs parents dont l’amour brûlant et éclatant (la grande force du film) se voit contrarié par le somnambulisme du mari – interprété par Lee Sun-kyun, le riche paternel dans Parasite, récemment décédé. Sa femme, brillamment incarnée par l’actrice Jung Yu-mi, va devoir s’adapter aux nouvelles habitudes nocturnes de sa moitié, qui évolueront progressivement dans le (très) mauvais sens.
Le comportement nocturne de cet “autre” qui occupe son propre lit va rapidement inquiéter la protagoniste féminine qui, face à l’homme qu’elle aime, développe une angoisse profonde et corrosive. La nouvelle vie dysfonctionnelle du couple se divise alors entre des nuits d’épouvante et des journées légères, durant lesquelles la petite famille bienheureuse et son adorable spitz nain Pepper oublient les malheurs qui s’abattent une fois la nuit tombée — jusqu’à ce que le jour et la nuit se confondent et que le cauchemar ne connaisse plus vraiment de temporalité.
Mais c’est bien ?
Comédie horrifique ou film d’horreur comique ? Pour son premier passage derrière la caméra, le Sud-Coréen Jason Yu mêle les genres et fait se tutoyer les codes de l’humour et de l’épouvante avec une subtilité finement maîtrisée, dans un huis clos rempli d’angoisse. L’histoire de ce couple au quotidien si ordinaire et aux nuits si extraordinaires se tord dans l’horreur pour se détendre dans l’allégresse, dans des boucles répétées qui rythment le film et lui confèrent un dynamisme efficace, nous tenant en haleine tout du long.
L’histoire de Sleep est simple, et c’est tant mieux. En évitant de surintellectualiser son récit, Jason Yu nous permet de savourer autant la photographie léchée de Kim Tae-soo que les effets criards de la bande-son ou encore les gimmicks de peur et d’humour minutieusement implantés dans le film. Les deux genres se confondent même parfois, comme lorsque les jump scares et autres contrechamps invisibles reposent autant sur la tension que sur l’effet de comique, à l’instar de celui procuré par la suggestion de ce qui peut bien bouillir dans cette casserole ou être enfermé dans ce congélateur. Seulement, à force de jouer sur le suggestif, Sleep nous laisse parfois sur notre faim en termes d’effet choc, le film n’osant que très rarement de représenter l’horreur à l’image — ce n’est pas forcément une erreur, mais ça manquera aux amateur·rice·s de gore.
La performance de Jung Yu-mi bluffe par sa capacité à véhiculer des émotions diamétralement opposées, participant activement à la dualité d’ambiances au cœur du film. Son jeu solaire du début contraste franchement avec celui de la dernière scène. Cette séquence révèle d’ailleurs déjà des marqueurs bien distinctifs du jeune cinéma de Jason Yu, qui réinvente les grandes scènes d’affrontement finales en les réimplantant ici dans l’espace intime d’un petit salon, faisant reposer toute la tension cumulée du film sur les visages de ses deux personnages, plutôt que sur des décors ou des effets grandiloquents. Less is more.
Finalement, si le propos du film semble être ailleurs, Sleep semble surtout nous parler d’amour, dont celui qui vibre entre les deux protagonistes du film. Que ce soit par l’écriture des personnages, leur jeu naturel ou la trivialité de leurs échanges, les deux parviennent à convaincre et à donner assez de consistance à leur lien pour que jamais, malgré les péripéties du récit, la possibilité même d’une fuite du personnage de Jung Yu-mi ne nous traverse l’esprit.
Comme le répète un motto éculé accroché au mur du salon du jeune couple, on peut tout traverser tant qu’on le traverse ensemble. Sleep se révèle alors comme un touchant récit de sauvetage, porté par une figure féminine débordante de détermination et qui nous gâte autant d’humour que d’épouvante sans jamais verser dans la surenchère.
On retient quoi ?
L’actrice qui tire son épingle du jeu : Jung Yu-mi, qui porte à elle toute seule toute la tension du film.
La principale qualité : un savant mélange équilibré d’humour et d’épouvante.
Le principal défaut : on manque d’un peu de gore.
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : Parasite de Bong Joon-ho, Insomnia de Christopher Nolan, Hérédité d’Ari Aster.
Ça aurait pu s’appeler : Arrête de ronfler ou Fringale nocturne.
La quote pour résumer le film : “La comédie horrifique sud-coréenne a déjà trouvé son nouveau maître”.