En 2014, Thomas Cailley débarquait au Festival de Cannes avec son premier film Les Combattants, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, et repartait avec les félicitations chaleureuses du monde du cinéma international, lui valant même trois César la même année, dont celui du meilleur premier film. Un scénario d’une fulgurance enviable pour ses débuts à Cannes, qu’on lui souhaitait également pour son retour sur la Croisette cette année avec Le Règne animal, son second long-métrage, présenté en ouverture de la section Un certain regard.
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Dans la même veine que sa série Netflix Ad Vitam, qui explorait la vie éternelle sur fond de raisonnements existentialistes plutôt cérébraux, Le Règne animal s’amuse des codes du genre fantastique pour raconter la grande histoire moderne des Hommes et de leurs égaux animaux. Sur fond de fable écologique et de fantômes covidés, le film faisant directement écho aux réflexes collectifs face à la propagation d’une entité qu’on ne maîtrise pas, Thomas Cailley infiltre l’extraordinaire dans le banal, provoque la tempête fantastique dans le verre d’eau d’un quotidien trivial.
Ce quotidien, c’est celui de François (Romain Duris) et de son fils Émile (Paul Kircher), que l’on découvre pour la première fois coincés dans les bouchons, en plein cagnard, en pleine embrouille. Tout au long du film, leurs échanges se feront conflictuels mais toujours drôles, jamais graves (ou du moins jamais trop longtemps), une force indispensable pour les épopées fantastiques qui les attendent.
Dans leur monde, qui ressemble presque à l’identique au nôtre, les journées de François et Émile sont autant perturbées par des embouteillages routiers que par de mauvais goûts de chips ou, de façon plus surprenante, des mutants mi-humains, mi-animaux, à l’image de l’homme-aigle incarné par Tom Mercier. C’est lui qui marque la bascule fantastique du film. À partir de lui, le cadre est posé : le monde dans lequel on évolue ici voit se propager un mystérieux virus qui transforme progressivement ses victimes en animaux, du poulpe au caméléon, en passant par le pangolin – clin d’œil covidé ?
Des mutants indésirables maladroitement gérés par les institutions du pays, à l’image de Lana, la femme de François, la maman d’Émile, qui s’éloigne petit à petit de sa famille au fil de sa métamorphose bestiale, enfermée dans un centre spécialisé du sud de la France. Au détour d’un malheureux accident, elle et un groupe d’autres “créatures” se retrouvent lâchés en liberté, et c’est en s’articulant autour de sa recherche que le film raconte l’histoire de François et Émile.
Mais c’est bien ?
Le film est hybride. À la fois comédie, film fantastique, film d’aventures et thriller, Le Règne animal s’affranchit de la simple catégorie pour puiser ce qui fonctionne dans les genres qui le colorent : on rit, on se tend, on s’émeut, le tout avec un naturel efficace et digeste, qui rend ce long-métrage plus accessible et grand public que la filmographie passée de Cailley.
Au détriment peut-être d’une forme de complexité, le réalisateur vise ici l’universel et les grands messages : la tolérance, la responsabilité collective, l’empathie, la solidarité. Et alors que ce mélange bien-pensant peut crisper sur le papier, le film use d’humour et de subtilité pour intégrer les différents éthos défendus par le réalisateur, sans jamais donner de leçon de morale.
On s’émerveille aussi, souvent, devant les effets spéciaux convaincants d’un film français qui n’a pourtant pas les moyens d’un blockbuster américain mais qui mérite clairement sa place dans la même cour. En osant les plans rapprochés sur les textures qui composent ses nombreuses créatures, en faisant s’additionner généreusement les séquences bourrées d’effets CGI ou l’impressionnant travail sur les prothèses et le maquillage, le film assume son ambition de s’inscrire dans la frange toujours trop timide du cinéma fantastique français. Et ça paie : Le Règne animal est une vraie réussite esthétique et s’offre un univers bien à lui, quelque part entre le conte et la dystopie.
On regrettera les quelques longueurs, l’ingénuité parfois molle et agaçante du jeu de Paul Kircher, heureusement pansée par la synergie qu’il partage avec un Romain Duris toujours aussi convaincant dans ce rôle de paternel qui lui colle à la peau. Adèle Exarchopoulos reste efficace en second couteau et rythme ses séquences d’un humour gras mais bien écrit, même si on regrette toujours de voir un tel potentiel sous-exploité dans un rôle aussi limité.
On retiendra surtout la poésie du Règne animal, celle qui nous prend au ventre à chaque conflit passager entre le père et le fils, celle qui nous consume à chaque éveil relationnel du personnage d’Émile avec les autres qui l’entourent, celle qui nous chamboule dans cette séquence somptueuse de nuit où, au son de “Elle est d’ailleurs” de Pierre Bachelet, l’alchimie entre Duris et Kircher crève autant l’écran que le cœur. Assurément l’un des grands films de cette année.
On retient quoi ?
L’acteur qui tire son épingle du jeu : Romain Duris, qui transcende le rôle archétypal du “papa poule” par sa présence solaire
La principale qualité : effets spéciaux convaincants, récit original
Le principal défaut : le film tire légèrement en longueur sur le dernier quart, avec plusieurs fins emboîtées les unes après les autres
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : Teddy, Grave, The Lobster
Ça aurait pu s’appeler : Inventaire illustré des animaux ou Papa, j’ai mal aux dents
La quote pour résumer le film : “Une pierre de plus à l’édifice fantastique du cinéma français.”