Au cours du Festival de Cannes, Konbini vous fait part de ses coups de cœur ou revient sur les plus gros événements de la sélection.
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Jeanne du Barry, c’est quoi ?
Le film d’ouverture de ce 76e Festival de Cannes allait nécessairement faire du bruit. Il s’agit d’un nouveau film de Maïwenn, basé sur l’histoire vraie de Jeanne du Barry, cette femme “transfuge de classe” qui est passée de roturière à courtisane de Versailles puis favorite du roi Louis XV, qui lui redonna le goût de vivre. Un parcours rare, qui fit scandale à l’époque (imaginez une fille “de la rue” à la cour) et qui devait finir par être adapté au cinéma. Sauf que…
Pour incarner le roi, la production a décidé d’avoir Johnny Depp. Il ne parle pas français mais devra jouer en français car le roi était français. Il y a donc une autre raison à ce casting. Difficile de ne pas y voir un pied de nez de la cinéaste (même si elle ne produit pas le film, son avis a une importance) qui clame haut et fort à qui veut l’entendre que les féministes “sont des femmes qui n’aiment pas les hommes” et “qui sont à l’origine de dommages collatéraux très graves”.
Le tournage ayant eu lieu en juillet 2022, le casting a été bouclé des semaines avant. Johnny Depp était donc encore au milieu de son deuxième procès contre Amber Heard et avait déjà été reconnu coupable de violences lors de son premier procès. Un choix d’acteur fait uniquement pour la provocation ou son message sous-jacent, moins par logique artistique.
Quoi qu’il en soit, le fait que le film soit montré à Cannes et que Johnny Depp monte les marches alors même que Maïwenn est au cœur d’une plainte pour agression envers le journaliste Edwy Plenel, agression qu’elle a reconnue à la télévision, allait nécessairement faire polémique.
Mais quid du film derrière le scandale ?
Attention, il va y avoir quelques spoilers.
Pourquoi c’est compliqué ?
On est obligés de revenir sur ce choix problématique de casting avant de parler du film en lui-même, car il est en fait plus dégueulasse qu’on ne l’imaginait.
Il y a un parti pris politique avec le casting de Johnny Depp, c’est incontestable. Caster un acteur américain dans le rôle d’un roi français amène plusieurs problématiques qui n’ont aucun sens. Ne parlant pas français, ce dernier a fait de gros efforts pour effacer le plus possible son accent, mais il s’entend malgré tout. Pour cacher cela, il semblerait qu’on ait supprimé une grande partie de ses dialogues, les réduisant à une vingtaine de lignes sur un film de deux heures, ce qui n’a aucun sens : le roi est présent mais on doute sans cesse de l’alchimie avec Jeanne du Barry vu qu’il ne communique que très peu.
Plus encore – est-ce l’opacité du texte, est-ce la direction qu’on lui a donnée –, Depp ne joue pas. Cabotinant en permanence, on ne croit pas à sa performance. Quand il s’énerve, cela sonne faux ; quand il tombe sous le charme, cela sonne faux. C’est très étrange de la part d’un acteur que l’on a connu grand et qui se retrouve à ne plus rien offrir. Cela rend le spectacle assez gênant à regarder.
Il n’est pas présent, il joue mal et n’a rien à dire : pourquoi Johnny Depp est-il donc là ? Parce que la métaphore du film est une réponse à son époque. Et c’est là que ça devient compliqué. On voit Johnny Depp dans le rôle d’une personne crainte mais surtout adorée de tous, qui [spoiler] meurt d’une maladie qu’il attrape on ne sait comment (c’est faux, il ne voit personne de l’extérieur à part ses amantes, donc si ce n’est jamais frontalement dit dans le film, c’est à cause d’une femme). Le film se conclut ainsi sur une scène de 5-10 minutes où tout le monde pleure le roi mourant, défiguré, où tout le monde pleure la mort de Johnny Depp, “tué” par une femme.
Vous trouvez le parallèle grossier ? N’oubliez pas que le rôle a failli être donné à Gérard Depardieu au départ…
D’autant plus que ce n’est pas le seul lien avec la réalité. On connaît le positionnement de la cinéaste sur le mouvement #MeToo et le féminisme de manière générale. Si le film est revendiqué (pas nécessairement par elle, néanmoins) comme étant féministe parce que c’est une femme qui va grimper les échelons comme elle le désire – par le sexe et le charme en l’occurrence –, ce serait occulter un grand point du récit : ici, toutes les femmes de la cour, toutes sans exception, veulent la peau de Jeanne. Les seules ennemies du personnage de Maïwenn sont des femmes. Les hommes, eux, la comprennent, voire l’aident.
Vous me direz que c’est historiquement vrai. Oui, en partie, mais n’oublions jamais que l’on décide de l’histoire que l’on veut conter. Les filles de Louis XV ne supportaient visiblement pas la présence d’une simple femme du peuple en favorite du roi. Sauf que leur écriture et leur comportement sont d’un cliché assez grossier et que le scénario réécrit un peu l’histoire à son avantage puisque si tous les hommes aident Jeanne du Barry, le nouveau roi Louis XVI l’envoie, dans le film, au couvent pour la protéger. Dans la réalité, c’était une forme d’emprisonnement et de punition envers une femme qu’il, semble-t-il, n’aimait pas beaucoup. On peut modifier l’histoire, on a bien un roi avec un accent américain. L’histoire est ici modifiée et dans une direction évidente.
On ne parlera pas du fait que Maïwenn parle également de son passé dans le film, avec une ouverture où la jeune Jeanne du Barry est protégée par un duc d’une quarantaine/cinquantaine d’année (comprendre sous le charme), ce qui est présenté comme une chance pour elle, sans jamais manifester l’aspect potentiellement problématique de la chose. Non.
Vous l’aurez compris, l’aspect politique du film est plus que compliqué. Mais que se passe-t-il si on réussit, ce qui n’est pas simple, à mettre de côté ces défauts ? Il en reste un film plutôt médiocre, ni mauvais ni génial.
Pourtant, Maïwenn prend des risques. Elle réalise en 35 mm, elle qui aime tant laisser la place à l’improvisation. C’est plutôt bien construit, l’image est loin d’être laide. On se surprend à apprécier un plan au drone d’une montée d’escaliers à un moment crucial du récit. Et on sait à quel point il est difficile de concocter un film d’époque, filmé à Versailles, pour 20 millions d’euros (son plus grand film en termes d’ampleur, de nombre de figurants, de costumes, et de budget, donc). Sauf que la réalisation n’est pas non plus révolutionnaire, elle est même un peu datée et très classique.
Reste également un casting qui tient plutôt la baraque. Maïwenn en premier lieu, qui en fait parfois trop (la scène du premier regard entre Jeanne et Louis est si longue qu’elle n’est jamais crédible, elle est même gênante) mais joue particulièrement bien. Mais ce sont surtout les seconds rôles, que ce soient Pierre Richard, Melvil Poupaud ou surtout, surtout, le grand Benjamin Lavernhe, qui sauvent un peu la mise ici.
On sent le travail et particulièrement celui de Maïwenn et il est dommage que le résultat n’en soit pas à la hauteur. Comme si l’ampleur de la potentielle polémique autour du casting principal dévorait toutes les ambitions du film. Film qui n’existe donc, en termes de budget et de présence à Cannes, que par ce casting problématique…
On retient quoi ?
L’acteur qui tire son épingle du jeu : Benjamin Lavernhe, de loin
La principale qualité : les seconds couteaux masculins du casting
Le principal défaut : le fond du film, clairement
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : Barry Lyndon, enfin, en tout cas, c’est l’ambition du film…
Ça aurait pu s’appeler : Jeanne “c’était mieux avant” du Barry
La quote pour résumer le film : “Un choix de casting douteux et un message problématique qui masque un film bien fait mais très classique.”