Lucie Zhang, 20 ans, étudiante en économie-gestion à l’université Paris-Dauphine, jamais vue à l’écran auparavant, est la révélation des Olympiades, le dernier film de Jacques Audiard. Impressionnante d’énergie et de justesse, elle a été choisie, aux côtés de deux autres acteurs débutants, Makita Samba et Jehnny Beth, ainsi qu’une actrice confirmée, Noémie Merlant, pour incarner ce renouveau dans la filmographie du cinéaste.
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Jusqu’ici adepte d’un cinéma plutôt viril aux rôles masculins forts, Audiard a décidé de changer radicalement de cap pour son neuvième long-métrage en chroniquant les amours et le désir d’une jeunesse parisienne d’aujourd’hui, plurielle et perdue. Pour ne pas risquer de tomber à côté, le réalisateur a eu l’humilité de faire appel à deux femmes, Céline Sciamma et Léa Mysius (la réalisatrice d’Ava), habituées aux récits d’adolescentes survoltées, pour écrire le scénario. Ensemble, ils se sont inspirés du roman graphique Les Intrus (Killing and Dying), de l’auteur américain Adrian Tomine, pour tisser cet imbroglio amoureux et moderne qui a rafraîchi le Festival de Cannes cet été.
Si certains qualifieront peut-être ce film de mineur dans la filmographie de son réalisateur, nous sommes sortis bouleversés de la projection de ce long-métrage qui assume la légèreté de son sujet tout en captant quelque chose d’une jeunesse et d’une époque, mais également enchantés par cette proposition de cinéma nouvelle, qui plante son décor dans un treizième arrondissement parisien multiculturel et géométrique, rarement filmé au cinéma et magnifié par un très beau noir et blanc sur une bande originale de Rone.
Dans Les Olympiades, Lucie Zhang interprète Émilie, une jeune fille d’origine chinoise et téléconseillère diplômée de Science-Po, qui vit dans l’appartement de sa grand-mère dans les tours du quartier du même nom. Un arrondissement où l’actrice est également née mais qu’elle connaît peu : “Je sors très peu donc il n’y a rien que je ne connaisse par cœur à part mon appartement”, admet-elle d’emblée.
Dès le début du film, Émilie tombe amoureuse de Camille, son colocataire et jeune professeur de lettres déjà découragé par l’Éducation nationale, qui “compense sa frustration professionnelle par une activité sexuelle intense”. S’ils feront l’amour, ses sentiments ne seront pas réciproques. Il s’éprendra en revanche de Nora, une jeune étudiante traumatisée qui trouve du réconfort dans une relation par écrans interposés avec une camgirl.
C’est dans les dédales et les hauteurs du plus atypique des arrondissements parisiens que ce triangle amoureux va se lier, se délier, s’engueuler et baiser dans une profusion de sentiments contradictoires, un flot de paroles et un ballet de corps, orchestré par une coordinatrice d’intimité et une chorégraphe présentes en plateau.
Si le quatuor de jeunes acteurs est au diapason, c’est Lucie Zhang qui impressionne le plus. Elle est brute, d’une spontanée sans fioriture et nous embarque avec une facilité déconcertante dans les tourments de sa vie sentimentale et sexuelle.
Contraste en noir et blanc
Rien n’était pourtant gagné. “On m’a répété des milliards de fois ‘prends de la liberté, parle plus fort, bouge plus fort'”, nous a confié l’actrice que nous avons rencontrée au lendemain de la première du film à Cannes. Et nous ne pouvions être davantage admiratifs de sa performance tant la jeune femme, discrète et timide, qui ne semble pas avoir encore pris conscience de l’importance de ce qui lui arrive, contraste avec son personnage assuré et impulsif.
Pour l’aider à trouver cette spontanéité, Jacques Audiard a choisi de réécrire certaines scènes en chinois, celles des moments où l’actrice se retrouve avec elle-même, dans de rares instants de répit. “Beaucoup de scènes étaient écrites en français mais je n’y arrivais pas, il y avait toujours une distance entre ce que voulait Jacques, la vérité d’Émilie et ce que je jouais. Il m’a donc proposé de traduire certains dialogues en chinois et tout de suite, ça a été mieux. Le français, c’est la langue que j’utilise pour parler de choses intellectuelles et le chinois, c’est la langue que j’utilise quand je suis avec moi-même, une langue intime et personnelle.”
(© Shanna Besson)
Avant être choisie par Audiard pour interpréter le rôle d’Émilie, Lucie Zhang menait “une vie de Chinoise à Paris, avec des parents très protecteurs mais ouverts d’esprit, une vie de fille sage qui a toujours de très bonnes notes”. Puis il y a eu l’annonce de casting sur Instagram, les montages russes des auditions, celles où on lui a dit oui, puis non, puis “tu es trop jeune pour le rôle”.
Quant à la responsabilité d’avoir finalement été retenue par le réalisateur multi-récompensé pour incarner ce virage artistique et ce rôle féminin très rare dans la carrière du cinéaste, elle ne la mesure pas vraiment, n’ayant aucune connaissance de la filmographie de Jacques Audiard.
“Je ne regardais pas trop de films, j’étais très introvertie et je n’avais pas souvent le droit de sortir donc je n’ai pas vraiment de vie sociale.”
Dans le film, la vie sociale d’Émilie est quant à elle très riche et sa vie familiale inexistante. Elle sort beaucoup, se drogue parfois, se fait virer, s’inscrit sur des applications de rencontres et oublie d’aller voir sa grand-mère. Elle, ses ami·e·s et ses amant·e·s incarnent la jeunesse du XXIe siècle dans toute sa complexité sentimentale, sexuelle et multiculturelle. Elle est chinoise, Camille, son colocataire, est noir, mais ils ne sont pas là pour porter une quelconque problématique sociétale. Ici pas de racisme ou de discrimination mais seulement une nouvelle réalité et la vie dans ce qu’elle a de plus banal mais aussi de plus beau.
“Il faut maintenant que je réfléchisse à comment je vais expliquer cette histoire et cette nudité à mes parents qui n’ont pas encore vu le film…”, conclut l’actrice. Si la studieuse Lucie Zhang a retrouvé les bancs de l’université pour y poursuivre ses études mises entre parenthèses pour les besoins du tournage, on lui souhaite la même carrière que ses prédécesseurs masculins révélés par le cinéaste au chapeau.