Killers of the Flower Moon, c’est quoi ?
C’était sans doute la séance la plus attendue de cette 76e édition du Festival de Cannes. Il faut bien visualiser la chose : Martin Scorsese n’est pas venu sur la Croisette en tant que candidat à la Palme depuis 1986 pour son After Hours. Bon, son nouveau long, trente-six ans plus tard, est présenté Hors compétition, mais vous avez compris l’idée.
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D’autant plus que ce n’est pas n’importe quel projet : Killers of the Flower Moon est le premier qui réunit les deux acteurs phares de l’immense filmographie du cinéaste, à savoir Robert De Niro et Leonardo DiCaprio. Une giga-production (200 millions de dollars tout de même), dont on parle depuis littéralement plusieurs années, sur une série de meurtres dans une réserve de natifs américains. L’attente était à son paroxysme.
La réalité est que le film n’est pas le thriller centré sur l’enquête mais tout à fait autre chose – du pur Scorsese, en fait.
[On va éviter de spoiler, mais si jamais vous ne voulez pas en savoir plus, arrêtez-vous ici peut-être…]
C’est-à-dire un film qui raconte l’histoire (en grande partie vraie) d’Ernest Burkhart, un Américain un peu lambda, qui va épouser Molly, une native de la communauté des Osages. Une belle histoire d’amour et de fraternité, avant que son oncle, adoré de tous, l’incite à provoquer la mort d’une bonne partie des Amérindiens.
Pourquoi c’est bien ?
Outre le fait d’être décontenancés parce qu’on n’a pas un thriller mais un film de gangsters à la Scorsese, dans l’Amérique des années 1920 et dans une réserve, plusieurs choses détonnent. Déjà, le rythme. Le film est franchement long (3 heures et 24 minutes !) et a une structure particulière. L’histoire d’amour met presque trente minutes à se concrétiser, l’arnaque criminelle met du temps à pointer le bout de son nez et la fameuse enquête du FBI (qui devait être le cœur du film au départ) n’arrive qu’au bout de 2 heures et 30 minutes grosso modo.
On est aussi pris de court par cette communauté et cette représentation de natifs américains quasi inédite dans l’histoire du cinéma. Car si le génocide de la conquête de l’Ouest est souvent mis en exergue, on a rarement pu voir ce qu’était la communauté des Osages, à savoir une population chassée de sa terre, qui se retrouve en Oklahoma sur un terrain déterminé par l’État fédéral qui, par le plus grand des hasards, se retrouve être un grand réservoir de pétrole. Les nouvelles populations locales vont donc réussir à en profiter, et devenir “riches”. Autant dire que c’est une image rare du cinéma américain.
D’autant plus que cette richesse va provoquer des jalousies. Comment ce peuple colonisé peut-il devenir quasiment l’égal des “Blancs colons” ? Spoiler : ces derniers ne le supportent pas vraiment et vont tout faire pour renverser la balance à leur avantage. C’est sans doute le film le plus politique de Scorsese (le positionnement du personnage de De Niro sur la fin, avec une phrase que l’on entend en boucle dans la bouche des pro-colonisateurs d’extrême droite, n’en est qu’un petit exemple). Et dans ce sens, le film est glaçant.
Transparaît pendant ce long spectacle, camouflé derrière une histoire d’amour vraiment belle au demeurant, une critique acerbe de ce racisme masqué, tapi dans la jalousie capitaliste. Une transcription assez complexe de la violence subie par les Osages parce que perfide, jamais aussi frontale que dans les westerns habituels. On te caresse avant de te tirer trois fois dessus.
Le point d’orgue de cette intrigue se traduit par la relation amoureuse entre Ernest et Molly, qui a beau être jolie mais n’est qu’une histoire de trahison avec un grand T. En ce sens, Scorsese réussit un grand coup d’éclat. Sous couvert de nous rendre les deux protagonistes faussement rigolos, jamais le cinéaste n’a aussi peu aimé ses personnages. Ils sont bêtes, vils, peu sympathiques, et on ne les aime jamais. Surtout De Niro, qui est terrifiant de perfidie et qu’on n’a jamais vu dans ce registre de méchanceté effrayante.
Alors que Lily Gladstone, qui incarne Molly, est une grande, très grande révélation. Avec un jeu bien plus dans la retenue que les deux grands noms de Hollywood, où tout se joue dans le regard, dans des caresses sur le visage, l’actrice impressionne. Mais aussi parce qu’au final, c’est à elle que Scorsese veut rendre hommage. À elle et à toute cette communauté. La fin le prouve dans un geste absolument bouleversant, mais tout du long, le réalisateur raconte cette population avec une tendresse rare, là où les goujats n’aspirent qu’au mépris.
Scorsese est le cinéaste qui a passé toute sa carrière à nous raconter comment les États-Unis sont devenus une terre de migration, construite dans la violence et dans le sang de victimes. Killers of the Flower Moon pourrait presque être le point d’orgue d’une filmographie exemplaire. D’autant plus qu’il le fait avec une réelle virtuosité – dans sa mise en scène, dans sa direction de casting, dans sa partie technique (les décors notamment). De la part d’un réalisateur de 80 ans, c’est plus qu’impressionnant.
Alors, oui, c’est très long. Peut-être trop. Oui, le jeu de DiCaprio peut sembler caricatural par moments. Oui, ce n’est peut-être pas le meilleur film de son auteur. Mais bon Dieu, même un Scorsese en deçà reste à des kilomètres au-dessus de la mêlée. Et de loin.
On retient quoi ?
L’actrice qui tire son épingle du jeu : plus que le duo principal, sans doute l’actrice principale Lily Gladstone (qu’on verra aux Oscars à coup sûr)
La principale qualité : le propos politique, extrêmement puissant
Le principal défaut : un peu trop long, sans doute
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : la filmo de Scorsese, et notamment Silence
Ça aurait pu s’appeler : Molly Burkhart
La quote pour résumer le film : “Martin Scorsese délivre son film le plus politique, le plus poignant sans doute, et pas loin d’être le plus impressionnant”
Critique écrite pendant le dernier Festival de Cannes le 29 mai 2023, mis à jour le 18 octobre 2023.