Simple comme Sylvain, c’est quoi ?
Le synopsis du film pourrait presque être celui d’une comédie romantique de Noël estampillée “Netflix”. Sophia, professeure de philosophie à Montréal, se rend dans le chalet de campagne qu’elle vient d’acheter avec Xavier, avec qui elle vit en couple depuis dix ans et avec qui elle partage une véritable complicité intellectuelle à défaut de sexuelle. À son arrivée, elle va rencontrer Sylvain, le charpentier en charge des travaux, et le coup de foudre charnel sera immédiat mais très rapidement soumis à des problématiques de lutte des classes, nourries par un certain mépris de classe intériorisé de la part de Sophia.
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Il est rare – et donc réjouissant – de voir le désir féminin et tout le lot de tromperies, tourments et questionnements qu’il peut charrier raconté par le prisme de la comédie, davantage réservée aux tribulations amoureuses et sexuelles masculines. Dans Simple comme Sylvain, on rit beaucoup, le sens du dialogue, de la répartie et du timing comique y est extrêmement acéré, la poésie du vocabulaire québécois toujours aussi efficace, tout en étant saisis par la puissance du désir et la cruauté de l’insatisfaction amoureuse racontées à l’écran.
Mais c’est bien ?
En assumant les codes presque passés de la comédie romantique des années 1970 – sa photographie orangée, ses zooms, ses gros plans, ses poèmes récités, ses ballades enneigées – et sa structure narrative aussi simple que son titre, Monia Chokri nous installe immédiatement dans une familiarité réconfortante et nous avertit que le cynisme ne sera pas de la partie. Les enjeux du film seront ailleurs.
“L’important pour moi dans le film, c’était qu’il y ait de la tendresse et de la douceur. Sophia, Xavier et Sylvain sont des quarantenaires donc ils sont calmes. Je ne voulais pas faire un film sur la toxicité, je voulais extraire l’amour de la toxicité, ce qui ne les empêche pas de se déchirer.”
Simple comme Sylvain est une comédie mélancolique qui réussit à être à la fois philosophique, sexy et sexuelle. Sophia enseigne la philosophie et se passionne pour l’analyse du sentiment amoureux : est-il indissociable du désir ? N’est-il qu’une manifestation du désir sexuel ? Que signifie l’amour platonique de Platon ? Si son savoir académique ne semble pas beaucoup l’aider, il offre aux spectateurs des clés de compréhension, vient nourrir la réflexion sur la nature des scènes d’amour et de sexe qu’on voit à l’écran et séquence le film à la manière d’un cours magistral, l’ennui en moins.
“J’ai d’abord pensé la trajectoire charnelle et personnelle du personnage et, ensuite, j’y ai apposé des théories philosophiques. Mais tout ce que j’ai lu en philosophie m’a aidée à construire le récit émotionnel de Sophia, c’est un mélange. Mais dans La Femme de mon frère, je m’étais déjà beaucoup inspirée de la philosophie, notamment italienne.”
Outre les préceptes philosophiques qu’elle maîtrise, Sophia observe les couples de son entourage, comme autant de petites fenêtres sur le sentiment amoureux, qui ne semblent qu’accentuer son trouble : le couple de ses beaux-parents, soumis à la vieillesse et la perte de mémoire, les relations amoureuses de son jeune frère, aux antipodes du couple qu’elle forme avec Xavier, et le film prend ainsi des airs de variations sur l’amour.
Les scènes de sexe sont également une des réussites majeures du film. La puissance du désir entre Sophia et Sylvain est évidente mais la caméra de Monia Chokri préserve toujours son actrice, dont jamais on ne voit le corps. L’érotisation passe par le regard qu’elle porte sur lui et la seule paire de fesses qu’on voit dans le film est celle de Sylvain.
“Concernant les fesses de Pierre-Yves Cardinal, j’ai pensé cette image comme une inversion du Mépris de Godard. Tout le monde se souvient du corps de Brigitte Bardot mais personne ne peut dire où se trouve celui de Michel Piccoli dans cette scène, ni même s’il est nu ou habillé. Dans mon film, c’est Sophia qui est habillée et qui prend exactement sa position.”
Sensuelle et émouvante par ses personnages, énergique et drôle par ses dialogues, la mise en scène de Monia Chokri, d’une grande intelligence, déploie toute sa virtuosité dans sa dernière scène, où Sophia choisira une troisième voie dans une séquence finale enfin silencieuse, après tout le chaos, seulement en jeu de regards, de miroirs, dans le froid et la nuit d’une station-service.
On retient quoi ?
L’actrice qui tire son épingle du jeu : l’incroyable Magalie Lépine-Blondeau, de tous les plans
La principale qualité : son humour
Le principal défaut : peut-être sa masculinité un peu clichée
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : Juste la fin du monde pour ses scènes de repas agitées, La Femme de mon frère de Monia Chokri, Love Story d’Arthur Hiller
Ça aurait pu s’appeler : Coup de foudre dans les Laurentides
La quote pour résumer le film : “Une comédie romantique, mélancolique et philosophique”
Article écrit à Cannes en mai 2023 et mis à jour le 8 novembre 2023.