Au cours du Festival de Cannes, Konbini vous fait part de ses coups de cœur ou revient sur les plus gros événements de la sélection.
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Les Linceuls, c’est quoi ?
On ne fera pas l’affront de rappeler la carrière en deux temps de l’immense cinéaste David Cronenberg, d’abord féru de body horror et d’une horreur charnelle et sensorielle, avant de chercher à sonder l’âme humaine à la place des corps dans les années 2000.
Il y a deux ans, sortait Les Crimes du futur, son retour aux corps malmenés, torturés, mais toujours avec une fascination sincère. Un film testament, qui parlait de lui, de son rapport à la création, à l’industrie hollywoodienne et qui citait la quasi-totalité de son œuvre. On se demandait bien ce qui allait pouvoir faire suite dans la carrière du réalisateur.
Débarque sur la Croisette et en Compétition officielle Les Linceuls (The Shrouds dans son titre original). C’est l’histoire d’un homme, dont l’invention d’un tissu enveloppant les cadavres enterrés sous sol permet aux proches de voir le corps se décomposer et qui va être mis à mal par des saboteurs.
Qui se cache derrière ces actes de vandalisme ?
Pourquoi c’est bien mais difficile à apprécier ?
Différemment que pour son précédent, Les Linceuls est un film difficile à approcher et à aborder — surtout si on ne connaît pas son auteur. Loin du résumé de carrière qu’était Les Crimes du futur, celui-ci parle de et évoque directement Cronenberg. Pour la faire courte, le réalisateur a perdu en 2017 sa femme, avec laquelle il était marié depuis 43 ans. Il explique bien volontiers qu’il ne s’est jamais remis de la perte de cette dernière.
Le personnage principal du film, Karsh, est un alter ego évident de Cronenberg. Vincent Cassel lui ressemble comme deux gouttes d’eau (il a les mêmes cheveux gris en arrière, la même attitude, c’est troublant). Dans le film, Karsh a inventé cette technologie parce qu’il n’arrive pas à accepter le décès de sa femme et a besoin de la voir tous les jours, de la fréquenter, de savoir qu’elle est encore là, quand bien même son corps est en putréfaction.
Donc déjà, il faut savoir l’intimité dans laquelle nous plonge le réalisateur des corps déchirés, pour approcher au mieux le film. D’autant plus qu’après une introduction émouvante et une scène d’explication du dispositif qui met les larmes aux yeux, le réalisateur change complètement de disque.
On part sur un thriller paranoïaque mais sans réelle tension, à la mise en scène très froide, chirurgicale et pas loin d’être classique (à l’exception des représentations en 3D des cadavres, et d’une scène de sexe, unique moment de vie de ces 2 heures de mort à l’écran), où l’émotion ne ressort jamais. Est-ce que ce profanage de sépultures 2.0 est dû à des concurrents chinois, à des militants écolos islandais qui ne veulent pas de son dispositif, à un ancien amant de sa femme, ou du frère de cette dernière ?
C’est peut-être là que le film va perdre le plus de spectateur·rice·s : le film devient mal-aimable, le cinéaste mettant une distance entre ses personnages et le public et empêchant toute émotion, volontairement — sans que ce soit de la fausse pudeur pour autant. Alors on retrouve ses inquiétudes sur son époque, où l’on croit bien trop facilement aux complots, où les IA inquiètent (ce qui n’est pas toujours subtil par ailleurs), le tout entremêlé de ce qui fait son ADN cinéphilique, de Freud à la métamorphose.
Le problème est ce dispositif si peu généreux, qui épouse la dureté du deuil de son protagoniste. Les dialogues sont parfois redondants, à raison, mais ça peut agacer. Certaines réactions semblent étranges, presque clichées, comme pourrait le ressentir une personne trop mal pour avoir des interactions sociales normales.
Est-ce le film ou Cronenberg a poussé les potards de l’expérimentation trop loin ? C’est possible. S’il ne touche pas autant, il demeure un objet d’étude riche thématiquement.
On retient quoi ?
L’acteur qui tire son épingle du jeu : Vincent Cassel, absolument glaçant en copie conforme du cinéaste.
La principale qualité : Beaucoup trop touchant de sincérité sur le deuil de sa moitié.
Le principal défaut : Trop fouillis et froid dans sa mise en scène.
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : Difficile à dire… disons que Les Crimes du futur est une bonne base.
Ça aurait pu s’appeler : Grave Tech.
La quote pour résumer le film : “En se plongeant dans son propre deuil, David Cronenberg livre son film le plus personnel, mais aussi le plus difficile d’accès, que vous soyez néophyte ou non.”