Cannes : avec Bird, Andrea Arnold se surpasse pour s’envoler toujours plus haut

Cannes : avec Bird, Andrea Arnold se surpasse pour s’envoler toujours plus haut

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Par Manon Marcillat

Publié le , modifié le

Après Fish Tank et American Honey, la réalisatrice britannique renoue avec la chronique adolescente, la poésie en prime.

Au cours du Festival de Cannes, Konbini vous fait part de ses coups de cœur ou revient sur les plus gros événements de la sélection.

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Bird, c’est quoi ?

La papesse du cinéma britannique est doublement de retour sur la Croisette. Après avoir été triplement récompensée du Prix du jury pour Red Road en 2006, Fish Tank en 2009 et American Honey en 2016, elle revient pour présenter en compétition officielle Bird, son sixième long-métrage, et recevoir le Carrosse d’or pour l’ensemble de sa carrière à la Quinzaine des cinéastes.

Deux ans après Cow, l’unique parenthèse documentaire de sa carrière donnant à voir le quotidien de vaches laitières, Andrea Arnold pose une nouvelle fois sa caméra dans son Kent natal pour raconter l’histoire de Bailey (Nykiya Adams), une adolescente de 12 ans vivant avec son père adolescent Bug (Barry Keoghan) et son frère Hunter (Jason Buda) dans un squat au nord du comté. Son quotidien violent et abîmé va basculer lorsqu’elle va rencontrer Bird (Franz Rogowski), un mystérieux vagabond, qui va veiller sur elle comme Bailey veille, à sa façon, sur sa famille décomposée puis recomposée.

Si, avec ce film, la cinéaste renoue avec sa terre natale en même temps qu’avec sa veine sociale, en filmant une attachante galerie de personnages à la marge, elle s’éloigne de son style naturaliste pour s’aventurer pour la première fois dans un chemin fantastique et onirique qui nous a totalement chamboulés. Avec Bird, Andrea Arnold se surpasse pour s’envoler toujours plus haut.

Pourquoi c’est bien ?

Wasp, Fish Tank, Cow et désormais Bird, le règne animal d’Andrea Arnold n’est ici plus une métaphore, puisqu’une véritable faune vit et cohabite sous sa caméra. Dans son environnement bétonné du sud de Londres, Bailey encapsule tout ce qu’elle peut de nature et de poésie urbaine sur son téléphone, elle-même filmée comme un insecte dans son bocal, débordante de rage et parcourant la ville tous azimuts, suivie au plus près et sans jamais faiblir dans son quotidien tourbillonnant d’adolescente, de sœur et d’enfant courage par la caméra énergique et électrisante de la cinéaste de 63 ans.

Bug, son père fantasque et négligent, a, lui, les insectes dans la peau, tatoués à l’encre bleue sur son corps et son visage. Il va se remarier, et pour financer la fête, il compte sur un crapaud à la soi-disant précieuse bave hallucinogène dont il espère faire commerce et qu’il stimule en chansons. L’animal aime “Yellow” de Coldplay mais pas “Murder on the Dancefloor”. Éclats de rire très méta dans la salle de projection et seule fausse note – évidemment volontaire – dans la bande originale du film, toujours aussi réussie.

Cet art de la séquence improbable, Andrea Arnold le transcende pour extraire Bird d’une tradition de réalisme social très britannique, à la Ken Loach, Shane Meadows ou Alan Clarke. Tout d’un coup, sous les pavés, la poésie. Et derrière la précarité, la marginalité et la violence éclosent également une beauté qui nous a saisis et des répliques qui nous restent en tête, comme : “personne n’est personne”, que le demi-frère de Bailey lui assène.

Pour incarner cette fragile poésie, la réalisatrice – qui a toujours fait des merveilles pour faire cohabiter l’énergie brute d’acteurs adolescents avec les meilleurs talents du cinéma indépendant – a abattu sa meilleure carte : Franz Rogowski, figure du cinéma d’auteur allemand malléable à merci, physique cabossé, infiniment vulnérable autant qu’il peut être inquiétant, timbre de voix guttural teinté d’un zézaiement enfantin et véritable appétence pour l’économie de mots et la physicalité généreuse.

Il est l’oiseau du titre, ce marginal qui dit avoir grandi dans le même quartier que Bailey, et tandis qu’elle jongle entre sa grande famille dysfonctionnelle et décomposée, lui va essayer de recomposer la sienne. Mais surtout, il devient cet ami, peut-être imaginaire, qui va à son tour veiller sur l’adolescente, en équilibre sur les toits des immeubles de la ville, à la façon de l’ange déchu des Ailes du désir de Wim Wenders. Cette année encore, l’animal règne à Cannes.

On retient quoi ?

L’actrice qui tire son épingle du jeu : Nykiya Adams, dans une première performance brute et intense.
La principale qualité : sa poésie inattendue.
Le principal défaut : en s’attardant plus qu’à son habitude sur la forme, le fond est peut-être plus convenu.
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : Fish Tank et American Honey d’Andrea Arnold, Rocks de Sarah Gavron, Sweet Sixteen de Ken Loach.
Ça aurait pu s’appeler : Le Règne animal, le retour.
La quote pour résumer le film : “Sous les pavés, la poésie.”