Boxeur et peintre autodidacte, Rakajoo interroge nos mondes intérieurs et extérieurs

Boxeur et peintre autodidacte, Rakajoo interroge nos mondes intérieurs et extérieurs

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© Rakajoo/Photo : Cédric Balaguier

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Par Konbini avec AFP

Publié le , modifié le

Exposé au Palais de Tokyo, le peintre "questionne les contours poreux de l’identité nationale", souligne le musée.

En 2020 déjà, Baye-Dam Cissé, alias Rakajoo, nous rapportait sa détermination à donner la parole et visibiliser “un panel large de personnes”. À travers son art, il continue de raconter le monde qui l’entoure et celui qui l’habite. “Persévérer et ne pas se laisser déterminer par son environnement familial ou social” : c’est la devise du peintre autodidacte acharné et boxeur, 37 ans, auquel le Palais de Tokyo, à Paris, consacre une première exposition en solo, “Ceinture Nwar”, jusqu’au 7 janvier 2024.

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Une dizaine de toiles colorées, figuratives et allégoriques, au style sûr, mêlent personnages et lieux de vie urbains, intégrant des images animées. Elles voisinent avec des planches de sa première BD Entre les cordes, à paraître chez Casterman, et des portraits, dont celui de sa mère, décédée en 2019. Un “parcours de vie temporel et géographique, dans lequel chacun doit pouvoir trouver ses propres références”, explique à l’AFP ce trentenaire né à Saint-Denis, qui s’est heurté à nombre d’obstacles.

© Rakajoo/Photo : Cédric Balaguier

Son surnom, Rakajoo, “tête de mule” en wolof, lui “correspond bien” car “tout est accessible à celui qui le souhaite réellement”, dit-il au Boxing Beats, club de boxe d’Aubervilliers où il s’entraîne quotidiennement pour les championnats de France de boxe anglaise. Découvert “par hasard”, c’est devenu son “temple de l’esprit”, avec “le Sacré-Cœur, le Louvre et le musée d’Orsay” où il se rendait “gratuitement” adolescent pour se “libérer l’esprit”.

À 9 ans, Rakajoo, qui dessine “tout le temps”, atterrit avec sa mère, son frère et sa sœur dans un logement de “24 mètres carrés” du XVIIIe arrondissement de Paris, suite à une expulsion de Seine-Saint-Denis. Souvent dehors, il va “voir les peintres de Montmartre et les musées, se passionne pour la peinture”, mais il est aussi “très en colère” et ne “comprend pas” pourquoi sa famille vit dans ces conditions, “avec des toxicos dans la cage d’escalier et [sa] mère qui envoie tout son argent au bled”, se souvient-il.

“Français noir”

En 3e, il souhaite s’orienter vers les arts appliqués, on lui conseille de “dessiner des circuits électroniques”. Après un “bac techno”, il se heurte encore à des refus. Intégrer une école d’art coûte “trop cher”. “Je refusais de subir les choix des autres alors je me suis pris en main”, poursuit celui que ses proches décrivent comme “curieux”, “perfectionniste” et d’une “incroyable persévérance”. Au Boxing Beats, il a “canalisé [sa] colère” et “appris à [se] discipliner en allant au bout des choses”.

C’est son “mentor et entraîneur”, Saïd Bennajem (qui fut celui de Sarah Ourahmoune, médaillée d’argent aux Jeux Olympiques de Rio en 2016), qui lui passe sa toute première commande en peinture en 2007 : une fresque sur la boxe pour la salle. “J’ai pu me projeter au-delà du ring en m’étalant sur les murs”, un espace aux dominantes rouges et noires, où son portrait de l’icône Mohamed Ali saute aux yeux.

Ce projet, financé par la fondation d’Arnaud Lagardère, le propulse dans le monde du travail : le film d’animation puis une start-up d’applications mobiles de jeux qu’il fonde mais dans lesquels il ne se reconnaît pas. Parallèlement, résolu à persévérer en peinture, il s’est reconnecté au Sénégal, pays de ses ancêtres mais où on le considère “comme un blanc, avec le cul entre deux chaises”. À Paris, regrette-t-il, où il organise des expositions avec un collectif, “Français noir, ni Africain d’Afrique, ni Afro-Américain, [il] ne rentre pas non plus dans les cases du monde de l’art institutionnel”.

© Rakajoo/Photo : Cédric Balaguier

Kourtrajmé, Ladj Ly et JR

Son salut viendra de l’école Kourtrajmé, fondée par le réalisateur Ladj Ly à Montfermeil, dont il intègre la section Art et images créée par le street-artiste JR. Cette formation rapide et gratuite s’adressant à de jeunes talents n’ayant pas eu accès aux écoles d’enseignement supérieur fait naître en lui “l’essentiel : un sentiment d’appartenance à une histoire collective”, dit-il.

Exposé avec l’école au Palais de Tokyo, où il peint sur ce qui lui “fout la haine”, il est repéré par la galeriste Magda Danysz, figure de proue de l’art contemporain et urbain, qui lui propose de le représenter. Aujourd’hui, Rakajoo vit de son art et dit avoir trouvé “l’équilibre”. Il rêve de fonder à son tour au Sénégal “un sanctuaire avec des animaux, qui soit aussi un espace éducatif protégé”.

© Rakajoo/Photo : Cédric Balaguier

Vous pouvez retrouver le travail de Rakajoo sur son compte Instagram