Comment faire de la satire quand la situation est tellement ubuesque que la réalité dépasse ce qui se faisait de plus farfelu et cru en termes de parodie ? Le contexte politico-social de ces dernières années, à l’heure des fake news, de Trump et consorts, rend l’exercice difficile.
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Matt Stone et Trey Parker, les créateurs de South Park, l’ont d’ailleurs annoncé il y a trois ans déjà : la série ne peut plus continuer à se moquer de la réalité comme elle le faisait auparavant, celle-ci ressemblant désormais trop à celle décriée dans le dessin animé depuis plus de vingt ans. Ils ont néanmoins sorti un double épisode spécial sur la pandémie particulièrement succulent.
Borat souffre du même constat. Sorti en 2006, le film a choqué la planète entière à l’époque avec ses séquences en caméra cachée folles, où des citoyens américains dévoilaient sans timidité leur antisémitisme/sexisme et plus encore. Un vendeur de voitures qui répond très sérieusement quand on lui demande quel modèle est le plus efficace pour tuer des gitans, des étudiants qui clament qu’il devrait y avoir de l’esclavage et que les minorités ont tous les pouvoirs… Une face de la société qu’on ne voyait pas encore, ou plutôt qu’on n’osait pas regarder.
Quatorze ans plus tard, non seulement ces voix sont désormais connues et entendues, mais sont presque devenues monnaie courante. Alors, comment faire une suite ? En allant plus loin ? En dévoilant autre chose ? Sacha Baron Cohen essaie quelque chose, et c’est en partie réussi, en partie raté. Mais cette suite de Borat demeure importante.
Retour au bercail
Le film démarre avec ce cher Borat, qui est en prison sur sa terre natale. La raison ? Le film que le gouvernement lui a commandé il y a une dizaine d’années a certes fait un carton à travers le monde, mais a ridiculisé la nation kazakhe, et le journaliste est depuis devenu la risée du pays.
Mais le Premier ministre a besoin de lui : il ne comprend pas pourquoi il ne fait pas partie du cercle des dirigeants et amis de Trump (Bolsonaro, Duterte, Poutine, Kim Jong-un et “Kenneth West”, entre autres). Pour se faire bien voir du président McDonald Trump, le ministre missionne Borat d’aller faire une offrande à Mike Pence, histoire d’être dans les petits papiers.
Problème : en arrivant sur place, il se rend compte que le singe, qui leur servait de ministre de la Culture et qui était le cadeau en question, a été mangé pendant le transport par la fille de Borat, Tutar (Maria Bakalova). Il décide alors d’offrir cette dernière au vice-président américain. Le film raconte donc le périple pour offrir l’adolescente à Pence, en plein milieu de la pandémie de Covid-19.
Deuxième problème : avec le succès du film, la plupart des Américains connaissent Borat, lui qui veut pourtant faire sa mission incognito. Il va alors devoir se déguiser. Un beau prétexte, en réalité tout à fait justifié, qui permettra à Baron Cohen de sortir parfois de son personnage et de revêtir d’autres personnalités, comme il a tant l’habitude de le faire.
Alors, disons-le tout de suite : oui, Borat 2 est moins fort que le premier. Déjà, l’effet de surprise du premier n’est plus là. Pour aller plus loin, l’acteur doit encore plus (trop ?) scénariser ce qui entoure ses sketchs en caméra cachée. C’est moins naturel, donc. Mais ce n’est pas là que réside l’intérêt de cette suite.
L’absurde réalité
Dire que Baron Cohen est simplement allé plus loin serait simpliste. Ce sequel fait plus que ça. Déjà, il faut le rappeler, il a été tourné en un temps record pendant la crise sanitaire. Écrit rapidement, monté encore plus vite. Le tout en abordant tout un prisme de sujet divers et d’actualité – Jeffrey Epstein, le blackface de Trudeau, les fake news et même le Covid-19. Et c’est en ça que le film est intéressant.
Car il agit comme une capsule temporelle. On y voit Mike Pence parler de “15 cas seulement recensés” de Covid-19. Depuis, les États-Unis ont dépassé les 200 000 morts. On parle du confinement. Il voit des anti-masques, et va à un rassemblement. Oubliez Dany Boon et les autres, il est là le film sur le confinement, et plus encore sur la crise sanitaire. La fin vient désamorcer ça, avec un plot twist forcé mais qui ajoute un aspect comique pas inintéressant.
L’humour grotesque par la caméra cachée pour forcer le trait, c’est un peu la recette de la comédie depuis le début. Il y a parfois des gags lourdingues, mais qu’importe. Cela apporte presque un peu de légèreté face au reste, malgré tout pas facile à regarder. Car le film témoigne d’une Amérique à la ramasse et, à deux semaines des élections présidentielles, cela le rend encore plus lourd de sens. Il ne peut plus choquer aussi facilement que le premier, mais Baron Cohen peut faire une chose : faire en sorte que les États-Unis se regardent droit dans les yeux.
On trouve, pêle-mêle, une gérante d’un salon de beauté à laquelle on demande quelle couleur de peau Tutar peut atteindre grâce à des UV sans que cela ne choque une famille raciste, une vendeuse qui doit choisir une robe et crie “Non, mais qui veut dire oui”, un chirurgien esthétique qui mime un nez de juif, une pâtissière qui écrit sur un gâteau “Les juifs ne nous remplaceront pas” avec des petits smileys, un prêtre anti-IVG qui rassure Borat alors qu’il pense avoir fait tomber sa fille enceinte… Et tellement plus. Tout ça sans que personne ne bronche. Même quand il porte un costume de KKK à un rassemblement du Parti républicain, ça attire les regards, certains font la tronche, mais aucun individu ne va empêcher le bonhomme d’entrer.
Plus audacieux, et malheureusement dangereux, que jamais
L’audace de certaines blagues frôle la folie. Mais ce sont celles-ci qui sont les plus intéressantes. Pas les plus drôles, mais les plus pertinentes et les plus puissantes sur le fond. Peu de personnes, encore moins dans la sphère du star system, oseraient se déguiser en Trump à un discours de Mike Pence durant le CPAC (équivalent de l’université d’été du Parti républicain américain), avec une jeune fille sur l’épaule, en criant, devant des milliers de militants, qu’il a une fille à lui offrir. La séquence est effrayante, mais n’est pas la plus dangereuse.
Tandis qu’il se fait passer pour un chanteur pour repérer sa fille, il monte sur scène à un rassemblement anti-confinement. Il est face à des militants lourdement armés. Il expliquera au Time qu’il portait un gilet pare-balles, quand bien même ces protections ne peuvent rien faire face à des armes semi-automatiques. En sortant de scène, il s’est fait poursuivre. Il saute alors dans une voiture alors que des militants cherchent à l’attraper, à le bloquer, et tapent sur le véhicule. “J’ai eu de la chance de m’en sortir en un seul morceau”, explique-t-il. Cela se ressent dans le montage. Il n’a pas pu aller au bout de certaines séquences. D’où l’aspect scénarisé qui se sent plus que sur le premier.
Au final, une scène restera de ce film. Celle avec l’ancien maire de New York, avocat de Donald Trump. Une interview organisée par Tutar, qui finit dans une chambre d’hôtel, et où le bonhomme s’allonge et met sa main dans le pantalon de la jeune fille avant que Borat n’intervienne et mette fin à ce qu’il se trame. Une séquence qui fait déjà scandale, pour laquelle l’incriminé essaie de se défendre. Mais les images sont glaçantes, et nul ne pourra le nier.
L’une des qualités de cette suite est de réussir à aborder certains thèmes déjà rencontrés dans le premier volet avec un point de vue moderne. Car depuis le premier Borat, #MeToo est passé par là. Et mine de rien, ça change pas mal de choses. Mais Baron Cohen a l’intelligence de montrer la misogynie ambiante, et de la dénoncer, tout en abordant une résolution différente : des femmes républicaines vont ouvrir l’esprit de la jeune Tutar sur les droits des femmes (!), et cette dernière va permettre au Kazakhstan d’être, ironiquement, plus féministe que les États-Unis. Fortiche.
Alors oui, c’est moins subtil, plus grossier, mais étrangement plus pertinent et nécessaire. Baron Cohen pouvait-il faire autrement ? Sans doute pas. Devait-il le faire ? Totalement. Ce film aura-t-il un impact sur l’élection comme le souhaite le comédien britannique ? Difficile à dire. Mais au fond, qu’importe. Vu le contexte, bien que moins choquant, ce Borat 2 fait bizarrement plus mal. Et c’était à coup sûr le but de Sacha Baron Cohen.
Mission réussie.