Tu as “oublié” de lire Les Fausses Confidences et le bac de français, c’est demain ? Pas de panique, on te résume le livre, et au passage, on te donne quelques pistes de lecture qui feront, à n’en point douter, leur petit effet auprès des interrogateurs.
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Alors…
Marivaux est un auteur du XVIIIe siècle, aka le 18e siècle pour ceux qui ont un doute, aka le siècle des Lumières, aka le siècle où on remet en cause les rois, la religion, le système, et tutti quanti. Et comme beaucoup d’auteurs du XVIIIe siècle, Marivaux se demande : “Osti d’criss de tabarnak d’câlisse de viarge, mais c’est quoi cette société de marde ?*”
Alors, pour répondre à cette vaste question, il écrit des comédies où il dénonce l’hypocrisie, l’injustice et l’obscurantisme de sa société. Des comédies où reviennent inlassablement les thèmes de la morale et de l’amour. Des comédies parmi lesquelles, en 1737, on compte Les Fausses Confidences.
Ça parle de…
Dorante, un pauvre peuchère qui a perdu tous ses pesos et qui court chez une gadji pour lui demander du travail. La gadji en question, c’est Araminte, et non seulement Dorante veut lui demander un travail, mais il veut aussi la demander en mariage. Nous pouvons donc en conclure que nous sommes en présence d’un sacré charo.
Arrivé chez Araminte, il retrouve Dubois, son ancien valet qui, depuis la faillite de son maître, travaille aussi ici : “Araminte”, visiblement, c’est l’ancien nom de Pôle emploi. Dorante confie alors à Dubois ses ambitions. Ce dernier lui dit que c’est vraiment une super bonne idée mais que ça va pas se faire tout seul parce qu’Araminte, c’est pas Joe le clodo non plus.
Du coup, le plan, c’est de se mettre la domestique d’Araminte dans la poche pour pécho sa maîtresse. Bref, du marivaudage en bonne et due forme : ça chafouine, ça gossipe, ça se chine, et ce serait le crime parfait si la domestique, qui s’appelle Marton, ne tombait pas amoureuse de Dorante.
Pendant ce temps-là, Araminte craquotte pour Dorante et l’engage. Sauf qu’Araminte n’a pas le droit de craquer pour n’importe qui parce qu’Araminte est noble : autour d’elle, tout le monde la pousse à épouser le comte Dorimont, qui est très, très riche. La mère d’Araminte et Marton sont à deux doigts de la convaincre quand Dubois se faufile et chuchote à Araminte que Dorante l’aime en secret. Et ça, ça change tout.
Bim, deuxième acte : Dorante confie à son oncle qu’il est amoureux mais il ne veut pas dire de qui, sinon ce serait beaucoup trop simple. Pendant la confession, Araminte et sa domestique Marton sont cachées chacune de leur côté, et chacune pense que c’est d’elle que Dorante est amoureux. Voilà, comme ça, c’est bien compliqué, on adore.
Ce serait une scène de Friends, Brooklyn Nine-Nine ou New Girl, on serait pas follement étonnés. Dans les sitcoms, il y a toujours un moment où les personnages écoutent aux portes, comprennent mal quelque chose et s’enlisent dans un gros quiproquo. En fait, en trois siècles, l’humour n’a pas tant changé que ça.
Bref, on toque à la porte de la maison : c’est le livreur et il a un paquet pour Dorante, mais comme Dorante n’est pas là, c’est Marton qui réceptionne. Tout le monde veut savoir ce qu’il y a dans le paquet, ça se chamaille, et en fin de compte, Araminte ordonne à Marton d’ouvrir le paquet pour savoir ce qu’il y a dedans, et devinez ce qu’il y a dedans ? Un portrait d’Araminte.
Récapitulons : Araminte sait que Dorante l’aime, mais Dorante, lui, ne sait pas qu’Araminte est au courant ; Marton ne comprend rien et la mère d’Araminte a peur que sa fille soit amoureuse d’un vulgaire valet ; tout ça sous l’œil amusé de Dubois, l’ancien valet de Dorante, qui fait tout pour qu’Araminte et Dorante finissent ensemble. Bref, c’est le bordel.
Sur ce, Araminte met un coup de pression monumental à Dorante en prétendant que finalement, elle a choisi d’épouser le vieux comte riche. Ça lui plaît, à cette bougresse, de voir son amoureux suer, mais bon, on s’amusait comme on pouvait, à l’époque. Dorante se met à genoux, chouine et, attendrie, elle finit par lui dire : “SIKE ! Je t’ai pranké ! En vrai, je te kiffe aussi.”
Acte III : quand elle apprend tout ça, la mère d’Araminte veut dégager Dorante. Ce à quoi Araminte s’oppose fermement, bien entendu. Après des machinations de-ci de-là, Dorante finit par expliquer à son amoureuse que toutes les choses bizarres qu’il a faites depuis le début n’étaient que pour atteindre son cœur. Ça fonctionne. Ce n’est pas explicite, mais on se doute bien que les deux vont se marier et que tout va s’arranger. Tout est bien qui finit bien, comme toujours dans les comédies.
Et c’est intéressant parce que…
L’amour et le comique triomphent à la fin.
Ça peut sembler ballot à dire, mais ça a son importance : face à une société aristocratique inflexible, butée sur ses traditions et incarnée ici surtout par la mère d’Araminte et l’oncle de Dorante, la quête d’amour et de bonheur l’emporte.
Ce dénouement heureux, où le mariage d’amour l’emporte sur le mariage de raison, est au XVIIIe siècle pour Marivaux une façon de dénoncer le système trop rigide d’une société à deux doigts d’imploser, une société qui se divise de plus en plus.
C’est du marivaudage en bonne et due forme.
Cette division se traduit par deux langages : le langage aristocratique, celui de l’obligation, lourd, grave, et celui du marivaudage, celui des sentiments, léger, subtil. Les quiproquos, les faux-semblants, les “fausses confidences”, les déguisements, le jeu en général font partie de cette danse que Marivaux aime tant mettre en scène, comme dans L’Île des esclaves, et qui permet de dénoncer en riant. L’apparente légèreté du marivaudage a en partie une visée politique.
Théâtre et stratagème sont entremêlés.
Et cette visée est en grande partie incarnée dans Les Fausses Confidences par Dubois, l’ancien valet de Dorante. En organisant les complots, les intrigues, les stratagèmes, il joue le rôle de metteur en scène. Dans un renversement ironique, c’est le bas de l’échelle sociale, un valet, qui mène tout le monde à la baguette : par la ruse et la stratégie, il va faire triompher les vrais sentiments contre les désirs nécrosés de la société aristocratique. Comme Marivaux, par le théâtre.
* Marivaux n’était absolument pas québécois mais si je veux lui donner un accent, qui va m’arrêter ?