Costume violet, carré grisonnant, masque protocolaire… C’est dans les locaux de sa production que Wes Anderson nous accueille pour nous parler de son nouveau film, The French Dispatch. En salles ce mercredi 27 octobre, cette chronique journalistique franco-américaine a d’abord été présentée au Festival de Cannes. Le film a été décalé de nombreuses fois à cause de la pandémie, rendant son attente un peu plus longue.
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Porté par un casting de rêve incluant Benicio del Toro, Léa Seydoux, Adrien Brody, Tilda Swinton, Frances McDormand, Timothée Chalamet, Lyna Khoudri, Bill Murray, Owen Wilson, Christoph Waltz, Jason Schwartzman, Mathieu Amalric, Elisabeth Moss ou encore Edward Norton et Willem Dafoe, The French Dispatch nous fait voyager dans le temps à travers les pages d’un magazine américain.
De la production du film à ses prochains projets en passant par ses choix artistiques, on a discuté longuement avec Wes Anderson, le réalisateur audacieux qui ne s’arrête jamais. Le voilà de retour en France après avoir bouclé le tournage de son nouveau film en Espagne.
Konbini | Comment c’était l’Espagne ? On a appris que vous aviez eu des problèmes avec la météo.
Wes Anderson | Oui, il y a eu une tempête, mais c’était super, malgré la fatigue. Le tournage était spectaculaire car nous vivions tous ensemble. On était un groupe très proche. Je travaillais tous les jours, contrairement au casting, qui n’est appelé que selon les scènes à tourner. Du coup, ils étaient ensemble tous les jours, c’était un très gros groupe.
Nous avons construit un grand plateau et tout le monde était investi dans le prétendu monde du film. Il y avait beaucoup de challenges car, tous les jours, il y avait quelque chose à faire et je n’étais pas tout à fait sûr que ça marche. Au final, tout s’est bien passé et nous avons pu faire tout ce qui était prévu. À la fin, nous étions très tristes de nous quitter et de nous dire que tout cela allait disparaître. C’est comme une tragédie.
Quand vous créez ce genre d’univers, comme dans tous vos précédents films, est-ce que c’est un moyen de contrôler et d’anticiper les problèmes ?
Quand je fabrique mes films, je me pose deux questions : “Comment on peut le faire ?” puis “Comment peut-on faire pour que ce soit efficace ?” Depuis vingt-cinq ans, je me sers de mes mauvaises expériences sur les tournages pour anticiper les problèmes, apprendre de nos erreurs et trouver un système pour que tout fonctionne. Ensuite, je fais en sorte que ça devienne le plus fun possible pour moi et pour les autres. Mais je ne fais pas un film si je ne vais pas pouvoir être content de filmer. Je préfère ne pas le faire.
Quel est votre premier souvenir avec la France ?
Quand j’avais 13 ans, j’avais un ami qui a quitté le Texas pour venir habiter en France. Il m’envoyait des lettres avec des enveloppes très différentes de celles que nous avions aux États-Unis. C’était très étrange, car tout ce qu’il décrivait était différent. Avant de découvrir le cinéma français, j’ai vu des peintures françaises et suivi des cours de français. Le premier film français que j’ai vu, c’est Les Compères, une comédie un peu bête avec Gérard Depardieu. Mais, à 17 ans, j’ai découvert d’autres films qui ont complètement transformé ma vision du cinéma.
Quand vous étiez enfant et adolescent au Texas, avez-vous eu le sentiment que vous auriez dû habiter à une autre époque comme le personnage d’Owen Wilson dans Midnight in Paris ou dans The French Dispatch ?
Quand tu vois une image d’un endroit que tu ne connais pas, vingt-cinq ans ou quinze ans plus tôt, tu crois que c’est mieux. Mais je n’ai pas l’impression que j’aurais aimé vivre à une autre époque. J’aime le travail des journalistes Tom Wolfe ou Joseph Mitchell, mais je me suis surtout imprégné des journalistes qui étudient leur ville comme cette Belge, Lucy Sante, qui a écrit un ouvrage sur New York, où elle a vécu. Elle se penche sur l’histoire de la ville, ses criminels et décrit son ventre sauvage. Elle a écrit de façon similaire sur Paris.
Pour The French Dispatch, vous avez tourné à Angoulême. Depuis combien de temps vouliez-vous faire un film en France ?
J’ai déjà réalisé un court-métrage en France il y a presque vingt ans, qui s’appelle Hôtel Chevalier. C’était super, on a tourné pendant deux jours et depuis, j’ai toujours voulu y refaire un film. Il y a beaucoup de choses que j’ai toujours voulu voler dans les films français. Il y a plein d’idées qui m’ont inspiré et que j’avais envie de partager pour qu’elles deviennent les miennes et que mes films soient meilleurs. Ensuite, quand j’ai commencé à vivre ici, j’ai eu mes propres idées grâce à mon expérience en tant qu’étranger.
Comment avez-vous travaillé en anglais et en français ?
Je voulais vraiment que les acteurs parlent leur propre langue et qu’il y ait une partie en français. J’ai toujours été surpris par une chose : quand il y a de grands acteurs qui parlent un langage qui n’est pas le leur, ils ne sont plus de grands acteurs. C’est une chose très commune. Je préfère que tout le monde parle comme il sait le faire.
Parfois, dans le film, il y a deux personnes qui ont une conversation où l’une parle français et l’autre anglais. Quand on a commencé le tournage, plusieurs personnes m’ont demandé si j’allais laisser ça comme ça. Je répondais que ça m’arrivait tout le temps dans la vie, que j’avais plein de conversations comme ça. Je savais que j’aurais plein d’Américains dans le film et qu’ils parleraient anglais. Parfois, Mathieu Amalric parle un peu anglais, mais c’est parce qu’il est super bon [rires].
Vous travaillez d’ailleurs très souvent avec les mêmes acteurs et actrices au fil de votre œuvre. Est-ce que ça vous permet de travailler plus sereinement ?
Je ne dirais pas que je me sens plus à l’aise, mais c’est amusant. Quand je trouve un acteur ou une actrice que j’adore et avec qui j’ai une bonne expérience, je vais commencer à regarder qui pourrait être dans le film, et je vais d’abord vers les personnes que je connais. Mais je pense que j’aime aussi avoir une sorte de réunion, de groupe fidèle pour travailler.
Sur le tournage de The French Dispatch, aviez-vous un endroit où tout le casting était rassemblé, comme sur le tournage de The Grand Budapest Hotel ?
Oui, pendant le tournage, nous avons tous vécu à l’hôtel Saint-Gelais à Angoulême. C’est un tout petit hôtel, mais tout le monde est très sympa. Nous y étions la semaine dernière car nous avons projeté le film en avant-première à Angoulême. J’étais avec Bill Murray, qui y a passé deux nuits. Moi, je suis rentré à Paris pour voir ma famille. Mais le premier truc que j’ai fait en retournant à Angoulême, c’est d’aller à l’hôtel Saint-Gelais pour dire bonjour à tout le monde.
C’est là que nous dînions tous les soirs. Je me souviens de Benicio del Toro qui, au début, me disait qu’il ne voulait pas descendre dîner avec tout le monde parce qu’il voulait rester seul pour travailler son texte et qui, finalement, est descendu tous les soirs en disant “je ne veux pas louper le dîner car ça serait un peu comme si je loupais le dîner des Golden Globes. Il y a tellement de gens avec qui j’ai envie de parler”.
Rassembler tout le monde au même endroit, c’est donc une partie du process. Vous faites ça à chaque fois ?
Oui, à chaque fois, et c’est la seule façon dont j’ai envie de travailler désormais. Nous avons commencé à travailler comme ça en Inde, quand on a tourné The Darjeeling Limited. Tout le casting séjournait ensemble, avec d’autres personnes, et ça a très bien fonctionné. On a fait un peu la même chose sur le tournage de Moonrise Kingdom. Il y avait une maison où je vivais avec Bill Murray, Edward Norton, Jason Schwartzman, le directeur de la photographie, le monteur, etc. Ce n’était pas assez grand pour toute l’équipe, mais maintenant, on essaie toujours de trouver un endroit où rassembler tout le monde. Pour le film que je viens tourner en Espagne, nous avons réussi à trouver un très grand hôtel pour tout le monde.
Quand vous travaillez sur de nouveaux projets, avez-vous une routine spécifique pour trouver l’inspiration ?
En général, j’ai besoin de faire des recherches pour savoir sur quoi j’écris. J’ai souvent de premières idées qui me donnent envie d’écrire, mais je dois généralement en rassembler beaucoup plus pour imaginer le film. C’est amusant parce que je crois toujours que je veux faire le film le plus simple possible, alors que la simplicité n’est pas nécessairement ce qu’exige un film. Qu’il dure 90 minutes ou deux heures, peu importe, il faut toujours beaucoup en faire. Il doit être assez complexe pour être puissant sur toute la durée.
Pour The French Dispatch, j’ai par exemple montré la ville à différentes époques. Avec Owen Wilson, nous avons regardé des centaines et des centaines d’images du musée de Paris. J’ai regardé des photographies de Charles Marville et Eugène Atget, qui ont documenté Paris au début de l’époque haussmannienne, mais aussi de vieux films, qui restent le meilleur moyen de découvrir comment était Paris parce qu’ils capturaient accidentellement des choses que personne ne prendrait la peine de photographier ou de peindre car elles font partie de la vie derrière le film.
Est-ce que vous faites un lien entre le fait que vous venez de Houston, une ville récente, et que vous vous êtes intéressé à Paris, chargée d’histoire ?
Je suis sûr qu’en étant originaire d’un endroit aussi nouveau que Houston, Paris ou New York m’apparaissent comme des villes particulièrement romantiques et séduisantes. Même Los Angeles, c’est une ville nouvelle mais les habitants se soucient de leur histoire. Houston doit être à peu près aussi vieux que Los Angeles, mais personne ne valorise l’histoire de son architecture. On valorise son identité, mais pas les choses qui ont été construites.
Terminons sur Timothée Chalamet, qui lui aussi possède cette double culture franco-américaine. Comment expliquez-vous qu’il est aussi bon dans The French Dispatch que dans Dune, qui est un blockbuster de science-fiction ?
Je pense qu’il fait la même chose quand il fait un film ou un autre. J’ai travaillé avec beaucoup d’acteurs qui font des petits films et des grands films. Il est très jeune, Timy, mais je l’ai adoré dans les films dans lesquels je l’ai vu. Il semblait être la personne parfaite pour jouer ce rôle car, grâce à sa double culture, il a pu rediriger le groupe de différentes manières, avec les acteurs qui parlaient français. C’était un plaisir de travailler avec lui.
En France, on parle de films “wesandersoniens”. Êtes-vous agacé par ces critiques qui réduisent vos films à vos choix artistiques reprenant des plans symétriques et des couleurs pastel ? Ou, au contraire, vous êtes fier d’avoir été innovant et créatif ?
Ce n’est pas une chose à laquelle j’accorde beaucoup d’attention. Quand je fais un film, je veux raconter une histoire de la façon la plus engageante et la plus intéressante possible. Si je veux que la scène soit effrayante, je me demande ce qui la rendrait effrayante, si je veux qu’elle soit marrante, je me demande ce qui la rendrait encore plus marrante. Je me demande comment donner aux acteurs un espace pour jouer et pour me surprendre.
Ce qui rend mes films connectés, ce sont des choses dans lesquelles je ne m’investis pas trop. Ce que je veux vraiment, c’est que ce soit clair et que ça fonctionne. C’est aussi simple que ça : comment transformer ce que j’ai écrit en un film, sans faire trop d’erreurs. Quand je commence un nouveau film, j’ai l’impression que je fais quelque chose que je n’ai jamais fait avant. Le sujet est souvent très différent, mais la façon dont je visualise les choses est souvent similaire, je suis un peu bloqué. C’est moi, mais ce n’est pas vraiment un choix.