Furieuses, audacieuses ou malheureuses, les toiles de Dana Schutz sont toujours colorées. En peinture, l’artiste états-unienne nous emmène dans des contrées dystopiques et inexplorées où le morbide s’avère étrangement gai. Jusqu’au 11 février 2024, le Musée d’Art Moderne de Paris présente “Dana Schutz. Le monde visible“, la première grande exposition française de l’artiste qui expose une soixantaine d’œuvres. C’est l’occasion de (re)découvrir cinq choses que vous ne savez (peut-être) pas au sujet de la peintre et sculptrice figurative.
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Elle dépeint des scènes d’autocannibalisme
Dana Schutz part souvent d’une idée, d’un adverbe, d’un adjectif ou d’une projection avant de commencer à peindre. Dans sa célèbre série Frank From Observation, l’artiste se place comme le témoin du dernier homme sur Terre et l’imagine à travers douze toiles. Pour Self-Eaters, Dana Schutz est partie d’un tout autre point de départ : comment une personne s’y prendrait pour manger son propre visage ? Par quoi commencerait-elle ? Les yeux ? Le nez…? Cette série étrange met en scène une race cannibale et autosuffisante, où ces individus supposément humains ingurgitent leur propre corps et se reconstruisent à partir de leurs propres restes, indéfiniment.
Dana Schutz, Face Eater, 2004. (© Jason Mandella/CFA Berlin/Thomas Dane Gallery/David Zwirner)
Elle a peint le cercueil ouvert d’Emmett Till
En 2016, Dana Schutz peint Open Casket, une toile qui représente le cercueil ouvert d’Emmett Till, un garçon africain-américain de 14 ans qui fut enlevé, torturé et assassiné après avoir été accusé d’avoir fait des avances à une femme blanche en 1955, dans un Mississippi ségrégué. Ces faits furent démentis par la plaignante des années plus tard. Pour montrer le racisme, la barbarie et le lynchage subis par les personnes noires, la mère d’Emmett Till choisit d’organiser ses funérailles avec le cercueil ouvert. L’image du visage défiguré d’Emmett Till devint un symbole du mouvement des droits civiques.
Présentée à la biennale de Whitney en 2016, Open Casket, de Dana Schutz, suscita des polémiques et manifestations afin de faire retirer la peinture. L’artiste fut vivement critiquée pour sa position de femme blanche profitant de la souffrance noire pour la mettre en scène. L’artiste s’est justifiée de cette façon : “Je ne sais pas ce que c’est que d’être Noire en Amérique, mais je sais ce que c’est que d’être mère. Emmett était le fils unique de Mamie Till. L’idée qu’il arrive quoi que ce soit à votre enfant dépasse l’entendement. […] Il est facile pour les artistes de s’autocensurer. De se convaincre de ne pas faire quelque chose avant même d’avoir essayé. Il y avait de nombreuses raisons pour lesquelles je ne pouvais pas, je ne devais pas faire cette peinture… Mais l’art peut être un espace d’empathie, un moyen de connexion”.
Dana Schutz, Beat Out the Sun, 2018, The Labora, Hartland & Mackie Collection. (© Jason Mandella/CFA Berlin/Thomas Dane Gallery/David Zwirner)
Elle écoute des débats conservateurs qui l’agacent et la tiennent éveillée
Comme une grande partie de la population, Dana Schutz se réveille à grandes doses de caféine. Mais comme cela ne suffit pas toujours à résister à la fatigue, elle écoute également beaucoup d’émissions de radio. Lorsque l’artiste continue de travailler jusque tard dans la nuit, elle passe à des débats un peu plus vigoureux, qui l’agacent et dont elle ne partage évidemment pas les opinions. “Je peux écouter des débats de droite simplement pour m’énerver : ça me tient éveillée”, confiait-elle à l’autrice Mei Chin pour Bomb Magazine.
Elle a peint l’autopsie de Michael Jackson quatre ans avant sa mort
“Je pensais à la peinture comme une photographie qui n’aurait pas encore été prise. J’ai posé toutes ces questions autour de la mort de Michael Jackson : comment meurt-il ? Quel âge a-t-il ? Quelle forme a-t-il ? À quoi ressemble-t-il nu ? Il a fini par simplement ressembler à un homme mort”, détaille Dana Schutz au sujet de sa démarche lors de la création de sa peinture Autopsy of Michael Jackson, réalisée en 2005. Quatre ans plus tard, telle une prophétie, le roi de la pop mourrait prématurément d’une overdose de médicaments et passait effectivement sur la table d’un médecin légiste.
“Quand je faisais le tableau, je savais que [Michael Jackson] pourrait mourir un jour – je veux dire, tout le monde meurt. Je savais donc dès le départ que cette peinture était […] hypothétique. Je pensais qu’il serait peut-être plus intéressant de me tromper de scène (parce que tout a été imaginé) plutôt que de tomber juste. J’aurais pu peindre [Michael Jackson] sous n’importe quelle forme imaginable (il changeait constamment de toute manière), ou j’aurais pu le peindre à 80 ans. Mais il m’a semblé juste de le peindre plus ou moins tel qu’il était en 2005″, racontera plus tard l’artiste dans Art Review.
Dana Schutz, Men’s Retreat, 2005, Green Family Art Foundation. (© Jochen Littkemann/Adam Green Art Advisory/CFA Berlin/Thomas Dane Gallery/David Zwirner)
Ses couleurs reflètent toutes les tensions qui se jouent sur ses toiles
Dans ses toiles, qui représentent des récits ou éléments fictifs, Dana Schutz pense la couleur comme un matériau. Celle-ci est flamboyante, dégoûtante, extravagante ou déroutante et témoigne d’une maîtrise indéniable de l’artiste dont les œuvres sont chargées de tension, de sensibilité, d’optimisme et d’une dose de glauque.
Dans son livre All of a Sudden: Things That Matter in Contemporary Art, le professeur, curateur et auteur allemand Jörg Heiser évoque ainsi les couleurs de Dana Schutz : “Les images de Schutz privilégient une palette soigneusement choisie de vomi, de moisissure, de pourriture, entre rose et violet, turquoise et olive, ocre et merde”. On ne l’aurait pas mieux dit.
Dana Schutz, Swimming, Smoking, Crying, 2009, collection Nerman Museum of Contemporary Art, Johnson County Community College, Overland Park, Kansas, don de Marti et Tony Oppenheimer et de la OppenheimerBrothers Foundation. (© Jason Mandella/CFA Berlin, Thomas Dane Gallery/David Zwirner)
L’exposition “Dana Schutz. Le monde visible” est à voir jusqu’au 11 février 2024 au Musée d’Art Moderne de Paris.
Konbini, partenaire du Musée d’Art Moderne de Paris.