“Aujourd’hui, la police m’arrêterait tout de suite” : connue pour ses performances transgressives dans l’espace public, la pionnière féministe du body art Valie Export, 83 ans, déplore une “société devenue très restrictive”. “À part marcher, on n’a plus le droit de faire grand-chose dans la rue”, estime dans un entretien à l’AFP l’artiste autrichienne, qui fait l’objet d’une importante rétrospective à Vienne. “C’est un retour en arrière […], le monde entier est en train de changer.”
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Le musée Albertina expose jusqu’au 1er octobre plus de 160 œuvres, entre photos, films, installations et sculptures, mettant en lumière sa démarche avant-gardiste et pluridisciplinaire au fil de plusieurs décennies. Cheveux rouges et robe colorée, Valie Export soulève un paradoxe : alors que la place des femmes dans la société ne cesse de grandir, sa liberté de créer était plus vaste dans son pays corseté par le catholicisme après la guerre.
Née Waltraud Lehner à Linz en 1940 et envoyée dans une école religieuse par sa mère célibataire, elle est “impressionnée” dans son enfance par le rituel de la messe et les passages obligés au confessionnal. “J’aimais le beau cérémonial”, raconte-t-elle. “Cela a certainement influencé mon expression performative.” Se sentant exclue des lieux de pouvoir, elle a très vite dénoncé les structures patriarcales, amnésiques sur leur responsabilité durant le nazisme dans ce pays natal d’Adolf Hitler.
“Panique génitale”
Valie Export a alors fait de son corps un outil de protestation, en utilisant les arts visuels, la photographie ou les installations pour exprimer sa frustration. Ainsi en 1968, la jeune artiste attache une boîte munie d’un rideau autour de son buste nu, comme un “minicinéma”. Les passant·e·s sont invité·e·s à introduire leurs mains pendant un temps chronométré pour lui toucher la poitrine. À travers cette expérimentation intitulée Tapp und TastKino (“Ciné taper-tâter”), elle interroge le voyeurisme habituellement protégé par l’obscurité.
Un an plus tard, elle se déplace hirsute et kalachnikov à la main entre les rangées d’un cinéma de Munich, vêtue d’un pantalon découpé à l’entrejambe, exposant au public son pubis à hauteur d’yeux. Beaucoup fuient, causant une “panique génitale” – titre du happening. Sa témérité lui vaut des réactions violentes, des poursuites en justice, des insultes nombreuses et des lettres de menace.
Le but n’était pas de “choquer le bourgeois”, explique aujourd’hui cette légende vivante bien connue du monde de l’art, mais plutôt de questionner les règles, de susciter par “des actes de rébellion” la réflexion sur “les processus d’oppression des femmes” et les images normatives de la féminité. D’où son pseudonyme, écrit en lettres majuscules et emprunté à la très virile marque de cigarettes Smart Export, comme pour se débarrasser d’un patronyme arbitrairement hérité. Son militantisme, qui fait écho à l’ébullition du courant radical de l’actionnisme viennois de sa jeunesse, s’évapore avec l’âge dans un travail plus conceptuel. Comme en 2007, lorsqu’elle filme ses cordes vocales pendant sa lecture d’un texte, pour démontrer les liens entre le corps et la voix.
Première femme à représenter l’Autriche avec Maria Lassnig en 1980 à la biennale de Venise, Valie Export a connu une reconnaissance internationale tardive. Ses œuvres ont maintenant rejoint les grandes collections du Centre Pompidou à Paris, du Tate Modern à Londres ou du Museum of Modern Art à New York. Un centre regroupant ses archives a aussi été inauguré dans sa ville natale en 2017.