La gouaille de Charlie Chaplin, le jazz de Django Reinhardt mais aussi l’héroïsme d’Alfreda Markowska, qui sauva des enfants de la Shoah : à Marseille, une exposition d’une ampleur inédite retrace les contributions des Roms, Manouches et Gitan·e·s à l’histoire politique et artistique européenne. Au Mucem, “Barvalo : Roms, Sinti, Manouches, Gitans, Voyageurs…” durera jusqu’au 4 septembre 2023.
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“Barvalo”, un mot romani, une langue commune parlée par les ancêtres venu·e·s d’Inde de ces différents groupes constituant désormais la plus grande minorité d’Europe, forte, selon les estimations, d’environ 12 millions de personnes. “Barvalo signifie ‘riche’ spirituellement ou matériellement, comme le sont les cultures romani, mais par extension ‘fier'”, dit Julia Ferloni, conservatrice au Mucem.
Cette fierté, Cristian Padure, Rom roumain enseignant-chercheur à l’université de Bucarest, l’a ressentie en voyant la façade du Mucem et en traduisant en romani l’ensemble du catalogue de l’exposition réunissant 200 œuvres et archives de musées et collections privées européennes ou créées spécialement par des artistes contemporain·e·s roms, gitan·e·s ou voyageur·se·s.
“Qu’un musée national européen comme le Mucem organise une exposition d’une telle ampleur est une reconnaissance. C’est très émouvant”, témoigne le linguiste de Roumanie, pays où les Roms furent réduit·e·s en esclavage durant 500 ans, du XIVe au XIXe siècle. Des archives roumaines montrent par exemple une annonce mettant en vente “une jeune tsigane” pour 29 pièces.
L’exposition retrace d’autres persécutions contre ces populations, comme les carnets anthropométriques français, assimilant les gens du voyage – qui se nomment eux “voyageur·se·s” – à des malfaiteurs en les fichant, facilitant leur déportation durant la Seconde Guerre mondiale. Les Nazis et leurs alliés ont tué jusqu’à 500 000 Roms, selon le musée de la Shoah à Washington D.C. Rom autrichienne, Ceija Stojka (1933-2013), rescapée de trois camps de concentration, a peint cette page sombre longtemps restée sous silence.
Conçue avec les Roms
Mais l’exposition montre aussi la résistance du voyageur français Raymond Gurême, des Roms tchèque Josef Serinek ou polonaise Alfreda Markowska. Condamnée au travail forcé sur les voies ferrées vers Auschwitz, elle sauva 50 enfants juif·ve·s et roms. “Nous aussi, nous avons des aïeux qui ont combattu dans toutes les guerres, les voyageurs sont des hommes et des femmes qui servent leur pays”, insiste Sylvie Debart, foraine sinti française, dont le grand-père, Marius Janel, fut un résistant reconnu.
“Les voyageurs, malheureusement, sont médiatisés uniquement quand ils mettent leur caravane” quelque part, “pas quand ils ont servi dans une guerre”, regrette celle qui est une des guides de “Barvalo”. “Cette exposition est unique car c’est la première fois que l’histoire, l’art et la culture romani sont présentés avec une telle visibilité, mais surtout parce qu’elle a été conçue par les communautés roms, avec leurs spécialistes, artistes et guides”, souligne Jonah Steinberg, maître de conférences à l’université du Vermont, à l’origine du projet après avoir noté combien les musées ignoraient les Roms.
“Pour une fois, nous avons pu participer à écrire l’histoire qui est dite sur nous”, se réjouit Anna Mirga-Kruszelnicka, directrice adjointe de l’Institut européen pour les Arts et la Culture Rom, qui a participé à ce projet avec 18 personnalités, pour beaucoup romani. Emanuel Barica, Rom de 28 ans, a dessiné cette histoire sur un vaste panneau mural.
Y apparaissent les visages d’une partie de ces Manouches, Gitan·e·s et Roms dont le travail et la lutte l’inspirent et qui “serviront peut-être à combattre les préjugés” : Charlie Chaplin, Django Reinhardt, qui joua avec les plus grands jazzmen, Pierre-André Gignac, footballeur gitan de l’équipe de France, ou Alina Serban, première femme dramaturge rom à entrer au répertoire d’un théâtre national en Roumanie, après une enfance dans un taudis, et dont le trophée de meilleure actrice d’Allemagne en 2020 est exposé. “‘L’exposition Barvalo’ peut permettre à des jeunes Roms de trouver l’estime de soi”, souligne Luna de Rosa, artiste italienne qui cacha un temps son identité face à “l’antitsiganisme”.