Aux portes de la finale, c’est finalement Mathieu Lagarde, moitié du binôme fraternel inédit de cette saison de Top Chef, qui s’est incliné sur l’épreuve des défis. Si Hugo a défié ses concurrents autour d’un produit atypique — la racine d’endive — et que Danny a emmené ses adversaires sur les terres moléculaires, Mathieu a voulu piéger ses deux opposants en leur imposant le travail complet du faisan. Une épreuve en accord avec sa cuisine brute et régressive, qui n’a finalement pas suffi pour le qualifier.
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Arrivé dans la compétition avec son frère Jacques, Mathieu a quitté la Nouvelle-Zélande, où il évolue dans le meilleur restaurant du pays, pour se confronter aux critiques de Top Chef. Au sein de la brigade de Glenn Viel, Mathieu signe un parcours admirable qui le plaçait en finale dans la tête de pas mal de téléspectateur·rice·s. Fort d’une cuisine de goût affirmée et maîtrisée, Mathieu a autant marqué la saison pour son humour parfois lunaire que pour ses plats audacieux, en témoignent sa langue de veau façon “sucette” ou sa caille crucifiée en défense de la chasse, plat qui lui aura malheureusement valu un tollé sur les réseaux.
On est revenu avec lui sur son parcours, sur cette polémique autour du Phénix, sur sa participation inattendue à Top Chef et sur sa relation avec le chef Glenn Viel.
Konbini | Ton parcours dans Top Chef a été évidemment lié à celui de ton frère Jacques, avec qui tu formais le premier duo familial de l’émission. Tu aurais pu faire l’émission sans lui ?
Mathieu | On a été contactés tous les deux pour le casting. Quand on s’est décidés à le passer, on s’est dit que quel que soit le résultat, si l’un des deux était pris, il devrait jouer le jeu et faire l’émission. Donc on était tous les deux prêts psychologiquement à faire Top Chef, quoi qu’il arrive. Et, surprise, finalement on a eu la chance d’être sélectionnés tous les deux et c’était un vrai bonus. Mais si l’un de nous deux avait été sélectionné et pas l’autre, on l’aurait fait quand même.
Au moment où on te propose de passer le casting pour Top Chef, tu vivais une vie tout à fait différente en Nouvelle-Zélande, loin de Paris. Tu étais réticent, au début ?
C’est simple : j’ai dit non. [Rires] J’ai dit que je n’avais pas le temps, que c’était hors de question, que je n’étais même pas en Europe, que j’étais dans un monde totalement différent à cette époque. Au final, j’en ai discuté avec des amis qui m’ont poussé à le faire, en me disant que c’était une occasion à ne pas rater.
Et ton frère, Jacques, a été plus facile à convaincre ?
C’est moi qui lui ai téléphoné, en lui disant que j’avais été contacté. Il m’a répondu que lui aussi, et je lui ai simplement répété ce que mes amis m’avaient dit à moi : il fallait qu’on le fasse, c’était une occasion à ne pas rater. Au final, on s’est tous les deux retrouvés sur le tournage, et c’était une expérience incroyable, avec une ambiance au top et des rencontres inoubliables.
Au-delà d’une belle expérience, Top Chef c’était aussi pour toi l’opportunité de défendre une cuisine plus brute et régressive dans le concours à une époque où la fine gastronomie est souvent mise en avant. C’était important pour toi ?
Je savais que j’étais capable également de proposer cette cuisine fine et plus gastro, mais quand c’est le cas, j’aime avoir le temps, j’aime que ce soit parfait, avoir l’occasion de faire des erreurs, de réessayer, etc. Et les contraintes du concours ne me permettaient pas tout ça, donc j’ai préféré rester à fond dans le goût, avec une cuisine instinctive qui ne me ressemble pas forcément, en sachant que je suis plutôt dans la réflexion, en temps normal. De tous les plats proposés sur l’émission, je n’en avais jamais préparé aucun auparavant.
Tu as un caractère atypique, dans le sens où on t’a découvert très timide et introverti en début d’émission, avant de découvrir quelqu’un de beaucoup plus ouvert sur les autres à la fin. Top Chef, ça t’a aidé à briser ta carapace ?
J’ai toujours été un peu bloqué, socialement. Au tout début, le fait d’avoir les caméras braquées sur moi, de ne connaître personne sur le plateau, c’est assez déstabilisant. D’autant plus que je suis quelqu’un de réservé, quand je ne connais pas les gens, je ne donne jamais toute ma personne. Je ne sais pas si vous vous souvenez de l’épisode où ma mère est venue, mais on voit qu’elle est très discrète. Je suis comme elle. Je peux rigoler avec des inconnus, bien sûr, mais je ne donne jamais trop de moi-même. J’ai besoin de me sentir à l’aise pour me laisser aller, et c’est arrivé vers la fin de l’émission.
Comment tu décrirais ta relation avec le chef Glenn Viel ?
Dès le départ, j’ai senti un bon feeling. Je sentais qu’il avait une bonne aura, et on a directement accroché naturellement. J’ai adoré travailler avec lui, et il a mon respect éternel, parce qu’en tant que cuisinier il m’a énormément appris, et en tant que personne il a le cœur sur la main. C’est vraiment un bon gars, quoi. Un vrai, vrai bon gars. Et à un certain moment de la compétition, j’ai commencé à me battre pour lui, et j’ai adoré le faire. Ma raison d’avancer dans Top Chef c’était pour mon frère, et pour Glenn Viel.
Au niveau de l’esthétique de tes plats, tu as réussi à être subversif en restant régressif. Je pense notamment à la langue de bœuf façon “sucette” ou surtout ton fameux plat “Phénix”, un choix politique qui défendait la chasse avec une caille crucifiée et fleurie. Au moment de le préparer, ce plat, tu savais qu’il serait si controversé ?
Pas vraiment. Au moment de défendre la chasse, j’ignorais la portée que ça aurait. À la suite de la diffusion de l’épisode, j’ai reçu une tonne de messages négatifs. Avec du recul, je me suis dit que c’était une question de culture, que l’Europe n’était pas familière avec la chasse, alors qu’en Nouvelle-Zélande on se nourrit réellement de la vie sauvage.
Aujourd’hui, tu regrettes cette prise de position dans l’émission ?
Non. Je voulais juste rester fidèle à moi-même : j’adore la chasse, et c’était naturel d’en défendre les valeurs. Je trouve ça plus gratifiant de te lever toi-même à quatre heures du matin avant le lever du soleil, de trouver un bon spot, d’avoir le courage d’aller tuer un animal pour le ramener chez toi. Tu as plus d’honneur, tu as plus de connexions avec la vérité et avec la nature. C’est hypocrite de me critiquer parce que je défends la chasse, alors que les gens ne font que manger des produits dont ils ne connaissent ni l’origine, ni les moyens d’abattage. Je ne dis pas que toutes les viandes d’élevage découlent d’un mauvais traitement, mais je pense que c’est une question d’honneur. Pour moi, c’est plus sauvage de consommer des produits qui viennent d’abattoirs, produits en masse dans des conditions de merde, que de choisir quelque chose de réellement “sauvage” comme la chasse. Et ça, c’est quelque chose qui ne changera jamais en moi.
Toutes ces critiques, ça t’a touché ?
C’est vrai que ça m’a affecté deux-trois minutes, parce que c’était une première pour moi, tous ces inconnus qui déversent leur haine. Mais, au final, je m’en fous. Je préfère être vrai et en accord avec moi-même, que de faire semblant et être hypocrite.
Tu es fier d’être resté fidèle à ta philosophie culinaire dans Top Chef, envers et contre tout ?
Je suis fier d’avoir pu marquer par la simplicité, d’avoir proposé des plats simples qui ont fonctionné grâce à leur effet sur le palais. C’est ça, la cuisine que j’aime et que j’ai été fier de défendre. Quand je pense à mon taco, en première épreuve, c’est tellement basique, et j’ai quand même réussi à avoir les trois chefs qui me sélectionnent. J’aime le fait que le visuel ne bluffe pas forcément, mais que le goût fasse le travail. Même la fameuse tartine, qui m’a apporté un double coup de cœur, visuellement ce n’est pas joli, c’est une tartine [rires], mais au moment de goûter, il se passe quelque chose.
Toi et ton frère Jacques vivez d’un côté et de l’autre du globe. C’était comment de le retrouver sur Top Chef ? Ça vous a donné des idées pour la suite ?
Retrouver mon frère dans Top Chef m’a fait réaliser que le temps passait vite, et qu’il fallait que je le retrouve, qu’on recommence à travailler ensemble. On a déjà bossé ensemble des années par le passé en France, en Australie et en Nouvelle-Zélande, et le retrouver sur Top Chef m’a fait réaliser que toutes ces belles choses entamées à deux méritaient qu’on s’y remette. Donc en septembre je quitte la Nouvelle-Zélande et je le rejoins en Espagne, tout en gardant en tête qu’on est très ouverts pour revenir en France si une opportunité se présente. Mais quoi qu’il arrive, on le fera à deux.