Andrew Garfield, super-héros malgré lui

Andrew Garfield, super-héros malgré lui

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(© Le Pacte)

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Par Manon Marcillat

Publié le , modifié le

Parcours d’un acteur en crise de foi.

Pour la seconde fois de sa carrière, Andrew Garfield, 38 ans, décroche une nomination pour l’Oscar du Meilleur acteur. Cette fois-ci, c’est pour son incarnation tragi-comique de l’auteur-compositeur de génie Jonathan Larson dans la comédie musicale Tick, Tick… Boom!, signée Lin-Manuel Miranda. Cheveux en pétard et capital sympathie inégalé, il nous a transportés dans le tourbillon de ce personnage de trentenaire angoissé par son désir absolu de création. Passant du rire aux larmes et du chant à la danse avec une aisance qu’on aurait pu lui soupçonner, Andrew Garfield a mis tout son cœur et son intensité au service de l’univers burlesque et fantaisiste du musical.

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C’est Tu ne tueras point, cinquième réalisation de Mel Gibson, qui lui valut sa première nomination pour la statuette du Meilleur acteur en 2017 pour son rôle de jeune américain patriote désireux de servir son pays lors de la Seconde Guerre mondiale, refusant néanmoins de porter une arme génératrice d’une violence incompatible avec ses croyances religieuses.

Avant ce rôle de soldat en prise à des dilemmes moraux, Garfield a été abonné aux rôles d’âmes sensibles et tourmentées, d’abord en enfant meurtrier repenti dans Boy A, en enfant-clone élevé dans le but unique de donner ses organes dans Never Let Me Go, puis, bien sûr, en Eduardo Saverin, le cofondateur de Facebook trahi par son meilleur ami Zuckerberg, le seul à apporter un peu de moralité au monde impitoyable de The Social Network.

À l’origine, Garfield avait rencontré Fincher dans l’objectif d’incarner Mark Zuckerberg lui-même, mais le réalisateur n’aurait pas voulu “gâcher le potentiel de Garfield pour incarner un personnage qui se comporte comme s’il avait le syndrome d’Asperger”. Ce fut pourtant ce rôle d’ami trompé qui le révélera aux yeux du grand public et c’est cette fragilité qui attirera l’attention des producteurs de Spider-Man, le rôle de sa vie et son éternel fardeau.

Crise de foi

Fin 2014, la filiale américaine de Sony, studio de production de Spider-Man, est victime d’un piratage massif de ses données : 173 132 courriels envoyés ou reçus par des employés du groupe sont mis en ligne. Parmi eux, un mail relatait un incident impliquant le pourtant très affable Andrew Garfield. Selon l’auteur du mail, l’acteur aurait refusé de quitter sa chambre d’hôtel pour assister à une conférence de presse des studios devant annoncer le troisième opus des aventures de l’homme araignée par Marc Webb (qui sera finalement annulé suite à l’échec critique et commercial du second volet).

Si l’acteur a prétendu être sujet au jet-lag pour faire l’école buissonnière, il s’agissait peut-être en réalité de son premier aveu de faiblesse. D’abord euphorique à l’idée d’incarner Peter Parker, son idole d’enfance, performance pour laquelle il a également pu mettre à profit ses aptitudes d’ancien gymnaste, Andrew Garfield n’admettra pas immédiatement que l’expérience ne fut pas à la hauteur de ses attentes et de son investissement pour le personnage.

Si l’acteur divise, c’est parce qu’il est souvent à la limite de la démesure devant la caméra. Mais qui peut lui en vouloir lorsque, hors des plateaux, l’investissement pour son rôle n’a d’égal que l’admiration qu’il porte au super-héros qui l’a accompagné toute son enfance ? Pour Garfield, Spider-Man n’est autre que de la mythologie moderne. Pour se préparer au rôle de sa vie, il a notamment lu l’œuvre des mythologues Joseph Campbell et James Hillman. “Quand j’y repense, j’ai peut-être un peu trop intellectualisé le rôle”, admettra-t-il plusieurs années plus tard.

Absence de scénario, pauvreté de la psychologie des personnages et appât du gain, l’acteur qui, deux ans auparavant, tournait sous la direction du très méticuleux David Fincher, ira de déconvenues en désillusions sur le plateau de Spider-Man, aux premières loges du grand cirque hollywoodien. Son implication pour le projet ira donc en diminuant et conduira à l’échec critique du second opus.

“J’étais un garçon naïf et j’ai grandi d’un coup. Comment ai-je pu imaginer une seule seconde que ça serait une expérience pure ? Il y a des millions de dollars en jeu et c’est ça qui guide le navire. Je suis tombé de haut et ça m’a brisé le cœur”, finira-t-il par avouer. Pourtant, à chaque interview depuis et quel que soit le film qu’il défende, l’inévitable question de son potentiel retour dans les collants de Spider-Man lui est posée. Costume qu’il finira par renfiler en 2021 avec No Way Home, comme pris au piège de la toile de l’homme-araignée.

Rédemption

Juste après sa décevante expérience du blockbuster, comme pour se racheter ou faire honneur à ses idéaux premiers, Andrew Garfield produira son premier film, 99 Homes, un thriller engagé dans lequel il tient également le rôle principal aux côtés de Michael Shannon. Dans une Amérique post-krach boursier et frappée par la crise des logements, il est un jeune père célibataire et idéaliste expulsé de chez lui par un agent immobilier crapuleux avec qui il va devoir faire affaire.

Mais c’est Martin Scorsese qui lui offrira l’antidote ultime à la crise de foi causée par Spider-Man en l’envoyant en retraite silencieuse dans un monastère jésuite du Pays de Galles, barbe hirsute, cheveux longs et délesté de 18 kilos pour la préparation finale de Silence, que le réalisateur a tourné juste après Le Loup de Wall Street, comme si tous deux avaient besoin d’une bonne dose d’austérité pour se remettre de la démesure.

Une nouvelle fois surinvesti dans son rôle, Garfield a préalablement étudié aux côtés d’un prêtre jésuite pendant une année, a pratiqué les méditations d’Ignace de Loyola et entrepris un pèlerinage. Deux ans plus tard, en 2018, c’est dans un tout autre genre de croisade qu’il se lancera dans Under the Silver Lake, où David Robert Mitchell, le réalisateur du paranoïaque It Follows, l’embarquera dans les méandres glauques d’un Los Angeles complètement décadent sur les traces de sa voisine disparue.

Outre un thriller arty, le film se voulait également une critique de cette fabrique à rêves à la fois fantasmée et cauchemardesque, où son personnage de trentenaire paumé en quête de célébrité traîne ses Converse usées comme beaucoup d’autres anges déchus de cette cité où toutes les folies sont permises. Une ambition qui fera écho deux ans plus tard à celle de Gia Coppola dans l’indigeste Mainstream auquel Andrew Garfield a également pris part, opérant par la même occasion un virage pour se frotter aux rôles d’anti-héros qu’il avait évités depuis le début de sa carrière.

Il est ici Link, un jeune homme fantasque grâce auquel l’acteur a pu laisser libre cours à toute sa démesure, dans une critique acerbe de la mise en scène des réseaux sociaux où la surenchère de l’humiliation règne en maîtresse, bien que sa performance se soit retrouvée noyée sous des couches de filtres et autres effets esthétiques pesants. Mais, dans la filmographie de Garfield, le film s’inscrit dans le prolongement de sa réflexion sur la notoriété. En 2016 déjà, il analysait :

“Le poison est dans l’eau depuis longtemps. Depuis la naissance d’Hollywood et l’arrivée d’Edward Bernays [le pionnier des relations publiques aux États-Unis, ndlr], les relations publiques et la propagande moderne. On est tous dans la même position car on peut tous faire notre auto-promotion. Les gens sont récompensés avec de l’argent et la célébrité et c’est exactement la bonne proportion de vide pour mener une vie égocentrée.”

Si on espère que, dimanche, sa prestation dans Tick, Tick… Boom! sera récompensée, on serait également curieux de connaître son avis sur le grand cirque médiatique des Oscars.