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Avant d’être une mini-série en huit épisodes disponible ce mercredi 22 février sur Disney+ en France, Fleishman a des ennuis était un livre à succès écrit par Taffy Brodesser-Akner en 2019. Cette dernière, qui adapte ici son propre roman, est une journaliste du New York Times, connue pour ses longs portraits de célébrités ou personnalités publiques. Il n’est pas si étonnant de retrouver dans ses personnages de fiction une appétence à creuser au plus profond de leur psyché, les dévoilant au fur et à mesure jusqu’à les mettre complètement à nu.
C’est à travers une intrigue a priori banale de divorce que la série débute : à 41 ans, Toby Fleishman (interprété par Jesse Eisenberg) goûte pour la première fois au célibat, après avoir consacré 12 années de son existence à construire une vie maritale et parentale qui l’a petit à petit ostracisé. Pour lui, ce sera l’occasion de renouer avec d’anciennes amitiés, de retrouver une vie sexuelle “épanouie”, et même d’établir des liens plus intimes avec ses enfants. C’est sans compter sur le fait qu’il ne sait pas où son ex-femme se cache, ni pourquoi il se retrouve seul avec une charge mentale qu’il n’avait jamais subie de la sorte…
Jusque-là, le procédé est classique et semble même être du déjà-vu, en centrant son histoire sur un personnage masculin et ses désirs jusqu’au désarroi. Cependant, il est rare de voir sur le petit écran le portrait d’un homme en proie aux doutes quant à son rôle de père, qui cherche désespérément à se (re)trouver malgré une place sociale avantageuse (il est médecin et d’un milieu aisé). Il est encore plus rare que toute cette mise en place soit commentée par le regard d’une femme (la narratrice), qui nous invite à ne pas croire tout ce que l’on voit. Nous comprenons rapidement que ce gaze qui avantage les hommes n’est pas toujours synonyme de vérité : le scénario nous invite à aller plus loin.
La quarantaine et ses aléas
Dès les premières minutes du visionnage, rien n’est très clair. On se demande si c’est une comédie, un drame, les deux ? Est-ce que ce fameux Toby est réellement le personnage principal ou est-ce Rachel (campée par Claire Danes), ou ses deux vieux amis Libby et Seth (joué·e·s par Lizzy Caplan et Adam Brody), ou plutôt cette narratrice qui semble omnisciente (également la voix de Lizzy Caplan) ? On pourrait même évoquer New York comme personnage métaphorique où tout se joue : une ville tentaculaire qui va trop vite.
© FX Networks
Celle-ci compartimente les gens et leur compte en banque, appartement, métier et cercle amical comme ses rues perpendiculaires, où chaque individu peine à trouver sa juste place, jusqu’à parfois devoir la quitter pour une vie soi-disant plus paisible sinon moins trépidante, à quelques kilomètres en train. Cette dimension rappelle les meilleures comédies romantiques d’un certain Woody Allen, dont les personnages se promènent, sont souvent en extérieur ou dans des lieux mythiques de la ville, sans oublier les discussions existentielles à rallonge qui invitent la religion comme pensée philosophique.
En réalité, tous ces personnages visibles ou plus en retrait ont leur importance à des degrés différents. Le formidable casting de la série permet de s’identifier rapidement à des acteurs et actrices connu·e·s du grand public et dont la carrière a évolué sous nos yeux. Ils sont si bien castés qu’ils ont à peu près le même âge que leur personnage respectif, tous et toutes dans leur début de quarantaine, dans ce parfait entre-deux : pas encore vieux, plus tout à fait jeunes.
La série annonce un divorce mais il s’agit d’autre chose : plusieurs thèmes s’entrecroisent sans qu’on ne parvienne tout de suite à le comprendre. Il est tout autant question d’amour et de mariage en tant que position sociale, que de santé mentale, de sexualité (ou son absence), de l’ennui d’une vie familiale en banlieue, de la perte d’ami·e·s qu’on pensait connaître. Le fil rouge est véritablement le temps qui passe et la quarantaine qui impose de remettre ses choix en question, ou du moins de s’interroger : à quel moment le cours de la vie nous échappe ?
Troubles dans la maternité
Plus qu’une série sur le middle age ou sur le déclin de couples plan-plan qui ne se voient plus, Anatomie d’un divorce est un hommage aux “mauvaises mères”, notamment au stéréotype qu’on s’en fait. Celles dont la parole n’est jamais entendue, sinon du point de vue d’autrui. Celles qui essayent de faire mieux, mais se retrouvent face à la dure réalité de la vie où chacun roule pour sa pomme. Celles qui ont vraisemblablement tout pour s’épanouir : de l’argent, une maison, un métier passion et pourtant… Il suffit de gratter un peu pour comprendre que rien de tout cela n’est vrai, sinon durable.
© FX Networks
C’est dans les épisodes 7 et 8 que toute l’intrigue prend son sens. Il faut tenir la distance et s’accrocher au fil de petites anecdotes qui paraissent anodines, mais qui sont en réalité disséminées pour nous faire comprendre que le diable est dans les détails, les disputes, les regards et les silences. Libby et Rachel ont une voix et on va enfin les entendre, ce qui nous laisse penser qu’elles étaient déjà présentes mais sans qu’on ne fasse vraiment attention à elles. C’est grâce à la première que les téléspectateur·rice·s parviendront à mieux cerner la deuxième, et grâce à Rachel que Libby arrivera à exprimer ce qui la tourmentait sans savoir l’articuler. Ensemble, elles feront face au refus de leur mari et de leur entourage de les considérer dans leur entièreté. Malgré elles, leurs échanges seront le premier pas vers une libération intérieure qu’elles n’arrivaient pas à atteindre.
Qu’elles vivent un post-partum ou une baisse d’ambition, pour consacrer tout (ou presque rien) à leurs enfants et à leur partenaire, ce sont deux femmes sur lesquelles on pose un regard moral sur ce qu’elles auraient trop fait ou pas assez. L’une s’est trop consacrée à sa carrière pour maintenir une vie sociale bourgeoise, quand l’autre est devenue ce qu’elle redoutait le plus dans un cocon de riches banlieusards déconnectés de la réalité. Dans les deux cas, personne ne leur demande comment elles vont (vraiment), ni ne cherche à savoir qui elles sont réellement. Et si tout cela n’était qu’une crise passagère de la quarantaine, du genre féminin, du désir ? La série réussit le pari de nous emmener plus loin délicatement, sans jamais nous prendre par la main, tout en donnant les réponses que chacun pourra trouver à son endroit. Il fait de ses personnages féminins des êtres plus complexes que ce qui transparaît.
À l’instar de Saint Omer ou de The Lost Daughter, cette série s’inscrit plus globalement dans une mouvance cinématographique et sérielle qui replace les mères et les femmes en général dans une autonomie qui a longtemps été délaissée au profit de lectures simplistes et stéréotypées. Il y a là l’écho d’une génération de femmes scénaristes et réalisatrices qui ne souhaitent plus avoir le second rôle.
La série Anatomie d’un divorce est disponible dès ce 22 février sur Disney+.
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