En 2011, la Peak TV ne porte pas encore ce nom (c’est John Landgraf, le président de FX Networks qui, en 2015, nommera ainsi ce nouvel âge d’or), mais on peut déjà en sentir ses effets sur nos écrans. Ce vieux cadavre qu’était alors la série d’horreur allait bientôt connaître un revival inattendu. On ne sait pas vraiment comment il est tombé en désuétude. En revanche, on sait comment il a ressuscité : American Horror Story, le thriller psycho-sexuel comme le décrivaient alors ses créateurs Ryan Murphy et Brad Falchuk, a changé la donne. Dans son sillage, ce sont des dizaines d’autres séries flippantes, plus ou moins réussies, qui ont vu le jour. C’était une véritable explosion dans un genre longtemps laissé à l’abandon et que personne n’aurait pu prédire… sauf peut-être John Landgraf.
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Le succès ne se fait pas attendre et la formule, diablement efficace, de l’anthologie permet à la série de se renouveler à chaque saison et donc, de perdurer. Dix ans après son lancement, la sortie de chaque nouveau chapitre est d’ailleurs toujours un événement. Malgré une baisse remarquée des audiences lors de la dernière saison en date, 1984, elle a su conserver un public toujours aussi fidèle et totalement sous le charme. Savamment marketée, avec une promo volontairement cryptique, la série distribue ses indices au compte-gouttes, renouvelant à chaque fois l’intérêt des fans pour son étrangeté devenue légendaire. En dehors de quelques semaines plus calmes dans l’année lorsque les infos se font plus rares, il ne se passe généralement pas deux mois sans un teaser, une annonce de casting, ou un message énigmatique de Ryan Murphy sur son compte Insta.
Ce génie sadique nous tient en laisse et distribue la carotte ou le bâton à l’envi. Il a fait de nous ces bitches et on adore ça. Et les plaisirs masochistes ne s’arrêtent pas là. La marque de fabrique d’American Horror Story, c’est de nous émoustiller avec des scènes ou des allégories ouvertement sexuelles, tout en inspirant le dégoût, la violence et l’horreur dans la même seconde. La série nous place de facto dans la position de pervers et c’est très inconfortable. Il y a quelque chose de l’ordre de l’auto-flagellation (un supplice que ne renieraient évidemment pas les créateurs de la série) qui nous pousse sans cesse à prêter le flanc de la sorte. Murphy et Falchuk sont nos dealers de frissons en tous genres et nous sommes totalement à leur merci.
© FX
American Horror Story marque les esprits, et offre surtout une plateforme rêvée à toute une ribambelle d’acteurs et d’actrices, glamour à mort, pour expérimenter toutes sortes de personnages. Pourtant, d’un point de vue purement narratif, ce n’est pas une grande série. Mais peu importe, c’est un blockbuster. Elle règne sans partage sur le genre tout entier depuis dix ans et ne compte pas céder son trône. La dernière fois qu’on avait eu aussi peur devant une série, c’était probablement devant The X-Files dans les années 90. Une série culte mais dont les héritières sont restées très discrètes. L’anthologie de Ryan Murphy et Brad Falchuk, elle, a fait toute une ribambelle de rejetons en convainquant les diffuseurs que oui, il y avait bien une appétence du public pour l’horreur et que non, le genre ne se limitait pas à un seul modèle, un seul format, une seule façon de faire peur. Un an avant son lancement, en 2010, The Walking Dead dépoussiérait les zombies, un sous-genre de l’horreur, un peu à part. Elle n’a jamais trop eu à s’inquiéter de la concurrence : même avec des audiences en déclin au fil des ans, personne n’a pu rivaliser avec ses morts-vivants.
American Horror Story, elle, ne s’épuise pas. Chaque saison, l’intérêt est renouvelé. Il ne faut jamais sous-estimer la valeur d’une image choc. Et ça, la série de Murphy et Falchuk en a à revendre. Et surtout, pour s’assurer qu’aucune autre n’empiète sur ses plates-bandes, elle déploie ses tentacules en trustant tous les sous-genres, toutes les créatures, toutes les époques. Si demain, une autre série décide de raconter l’histoire d’un cirque de freaks sous l’angle de l’horreur, ou sur un asile tenu par des nonnes abusives, elle sera immédiatement comparée à AHS… et on ne donne pas cher de sa peau. Combien d’entre vous avaient entendu parler du Cecil Hotel et de son passé sordide avant qu’American Horror Story ne s’approprie son histoire et en fasse une ode, dérangée et dérangeante, au vieil Hollywood ?
La seule série qui, de mémoire récente, a pu la côtoyer sur le terrain de la hype horrifique, c’est The Haunting of Hill House. Alors qu’elle adopte la même forme, l’anthologie avec un cast fidèle, et le même thème que Murder House, la maison hantée sur plusieurs générations, elle s’est pourtant immédiatement distinguée de son aînée. Plus mélancolique, plus classique aussi. Tout le monde a salué la beauté de sa mise en scène et sa puissance émotionnelle. Pourtant, malgré un plébiscite aussi bien public que critique, The Haunting n’est toujours pas, après deux saisons, le rouleau compresseur qu’est American Horror Story depuis sa toute première apparition sur nos écrans. Sa diffusion en blocs sur Netflix a évidemment un impact sur l’espace qu’elle occupe dans nos pensées. Sortir une saison d’un coup, au lieu de la distiller sur une dizaine de semaines, lui confère une durée de vie dans les conversations plutôt limitée. Quinze jours, tout au plus, avant qu’une autre nouveauté ne vienne remporter le grand match du buzz sur les réseaux sociaux. American Horror Story, du fait de sa diffusion plus traditionnelle d’un épisode par semaine, se paye une présence moins éphémère.
© FX
En 2016, Channel Zero apportait aussi une alternative très intéressante au genre. Davantage introspective et métaphorique, et moins portée sur le gore, la série de Nick Antosca, hélas annulée par SyFy au bout de quatre saisons, ne manquait pas non plus d’arguments. Certaines de ses scènes sont encore gravées dans nos rétines. Louée par la critique, elle a également bénéficié d’un bon bouche-à-oreille. Mais sa destinée ne dépassera jamais la petite aura confidentielle d’une série qu’on se refile presque sous le manteau. Sa diffusion sur une petite chaîne câblée, qui n’a pas l’envergure de FX, n’a clairement pas aidé. Plus récemment encore, Servant, ovni lancé sur Apple TV+ en 2019, reste l’objet de fascination d’une minorité de sériephiles, ce qui n’enlève rien, là non plus, à ses qualités formelles. Pendant ce temps, les adaptations de romans de Stephen King, le maître incontesté de l’horreur, parviennent à peine à susciter l’intérêt. De Castle Rock à The Outsider, en passant par Mr Mercedes ou dernièrement Lisey’s Story (actuellement sur Apple TV+), les rares qui ont suscité l’enthousiasme ces dernières années peinent à attirer les foules.
On peut admirer l’hégémonie incontestée d’American Horror Story, et s’inquiéter à la fois de la place écrasante qu’elle prend. Rares sont les séries qui parviennent à exister dans le même espace télévisuel. Plus rares encore sont les propositions originales qui tentent une approche différente : l’audace a déjà du mal à payer dans cette industrie, car c’est un risque que bien des diffuseurs refusent de prendre, mais en plus, quoi qu’elles fassent, AHS l’a probablement déjà fait avant. On souhaite bon courage aux auteur·rice·s qui espéraient placer, chez une chaîne, un show sur les sirènes : la saison 10, baptisée Double Feature et qui débarque le 25 août, s’attaquera, entre autres, au mythe des naïades, des créatures déjà peu présentes sur nos petits écrans. Si même le Covid n’a pu ralentir la course folle de la franchise American Horror Story — qui prépare non seulement son retour avec Double Feature, mais a aussi étendu un peu plus son emprise avec son tout premier spin-off, American Horror Stories le 15 juillet dernier — on se demande bien ce qui pourrait un jour stopper la série. FX n’a en tout cas pas l’intention de se priver de sitôt de sa poule aux œufs d’or puisqu’elle a signé pour treize saisons… minimum !
La saison 10 d’American Horror Story sera diffusée prochainement sur Canal+.