Le 20 octobre 1995, le rappeur Akhenaton issu du groupe marseillais IAM sort son premier album, Métèque et mat. Cette première envolée en solo l’emporte vers des terrains plus personnels, spirituels et historiques. En 1995, Akhenaton est déjà une personnalité du rap français, notamment avec le succès de “Je danse le Mia” à l’été 1994, achevant de placer Ombre est lumière comme un album charnière du rap français.
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Dans Métèque et mat, Akhenaton va décortiquer son histoire familiale, ses origines et ses passions. Il va déconstruire son attirance pour les États-Unis dans “L’Americano”, premier extrait de l’album qui prend sa source dans un morceau napolitain d’après-guerre, “Tu Vuò Fa’ l’Americano” de Renato Carosone.
Cette nouvelle version d’Akh continue de moquer quelque part la fascination pour le modèle américain dans le cinéma notamment. Ainsi, il utilise plusieurs fois des extraits du film Scarface de Brian De Palma. Le parcours entre Cuba et Miami du fameux Tony Montana joué par Al Pacino fait écho avec celui des Italiens du Sud partant pour le Nouveau Monde au début du siècle dernier.
Le modèle américain vu de Naples
Comme sur l’ouverture “La Cosca”, Akhenaton réutilise cet inconscient collectif pour le transposer à son univers personnel, comme dans Le Parrain ou bien Il était une fois en Amérique, le dernier film d’un autre modèle d’Akhenaton, Sergio Leone, un réalisateur italien qui a beaucoup traité le rêve américain. L’oeuvre de Sergio qui est aussi citée en hommage dans le clip de “L’Americano”, tout comme celle de Coppola.
Akhenaton a passé beaucoup de temps à New York dans les années 1980, croisant les plus grands acteurs du rap de l’époque, enregistrant ses premiers morceaux. Il place donc dans ce morceau une sorte de bilan de toutes ces années entre Marseille et New York, entre désillusion et nostalgie.
Car Akhenaton remet cette “vie de rêve” à l’américaine dans son contexte de la diaspora italienne à New York, la liaison avec la mafia napolitaine ou sicilienne et le melting-pot marseillais de toutes ces origines. Au final, en le replaçant dans son identité, Akh est un des premiers rappeurs français à utiliser l’univers mafieux tel qu’il était développé par Kool G Rap par exemple à New York. La vision européenne en plus.
Akh et son comparse Nick Sansano, son ami producteur et arrangeur qui a travaillé notamment pour Sonic Youth et Public Enemy, vont jusqu’au bout du concept dans la production. Sur “L’Americano”, il sample “Nottingham” de Squallor, un groupe italien funky un peu provocateur qui parlait ouvertement de sexe.
Dans l’ensemble, l’Italie et plus largement la Méditerranée sont au centre du récit de Métèque et mat. L’univers musical est tout autant influencé par ces lieux, parfois parsemé de touches orientales. Ce mélange si précieux a été créé directement à Naples, en totale immersion. Akh et Nick y cherchent leur matière première et l’autarcie nécessaire pour créer cette œuvre complexe.
Souvent, Akhenaton reprend cette dérision et cet humour décomplexé qui caractérisent le rap d’IAM au début des années 1990. “Je suis peut-être…” est ainsi un autoportrait acerbe et pince-sans-rire où il se moque de sa maigreur et de sa dentition. Encore une nouveauté dans le rap français, où la compétition et la confiance en soi sont très souvent de mise. Parfois, Akhenaton teinte cet humour d’une couleur plus sociale, comme sur “Éclater un type des Assedic”.
Une mélancolie profonde et une autodérision libératrice
L’album devient vraiment introspectif sur le morceau éponyme “Métèque et mat”, ainsi que sur d’autres titres plus mélancoliques comme “Au fin fond d’une contrée…” ou “Lettre aux hirondelles”, avec toujours des histoires très imbriquées, ouvrant un livre très dense sur l’histoire méditerranéenne.
Et la technique est toujours au rendez-vous, pleine de références et d’indépendance, comme sur le titre “La Face B”, un hymne hip-hop originel. Mais c’est surtout la suite mythique du clip “L’Americano” qui va ouvrir le rap marseillais et français vers un autre horizon avec “Bad Boys de Marseille”.
Reprenant l’univers du film French Connection de William Friedkin, qui se passe entre New York et Marseille, ce nouvel extrait de Métèque et mat est en fait un remix du morceau de l’album. C’est l’avènement d’un nouveau groupe, de nouvelles têtes jeunes et fougueuses, la Fonky Family. En dévoilant ce groupe, Akhenaton développe aussi sur Métèque et mat un passage de flambeau qui va être essentiel au développement du rap marseillais des années 1990.
Avec ce premier album en solo, Akhenaton s’affirme comme un rappeur fort et ancré, peut-être le premier à utiliser une identité totalement méditerranéenne et européenne face à l’ogre américain. Il reste aussi le point d’entrée pour une nouvelle ère du rap marseillais, voire du rap français de la deuxième partie des années 1990, notamment pour son côté mélancolique, son univers spirituel chargé d’histoire et ses storytellings poussés.